Afriques (2)
14H46 - mardi 21 février 2012

L’œil de Doro Sy sur les élections sénégalaises

 

Doro SY

Doro SY, porte-parole de la coordination du parti socialiste sénégalaise en France : « La morosité de notre campagne en France est liée à la situation politique au Sénégal ». A moins d’une semaine de l’élection présidentielle, la campagne électorale sénégalaise en France est dans une situation de morosité.

 

Porte-parole de la coordination du Parti socialiste sénégalais en France, Doro SY essaie de donner des explications. Il revient aussi sur certains points du programme de son candidat, Ousmane Tanor Dieng, destinés à éclairer les Sénégalais de l’extérieur. Dans cet entretien, le socialiste sénégalais a abordé les différentes stratégies mises en place pour que son parti remporte l’élection présidentielle ici, en France.

 

La campagne électorale qui a démarré depuis quelques jours ne semble pas être animée comme celle de 2007 ? Est-ce que c’est votre avis ?

Je vous remercie de me permettre de m’exprimer dans les colonnes d’Opinion internationale. Je pense que c’est une bonne opportunité de s’adresser à la communauté internationale et aux Sénégalais. En effet, cette campagne est particulière. Elle pose 2 problématiques. La première, c’est la candidature du président, longtemps contestée par une large opinion au Sénégal, mais que le Conseil constitutionnel a validée. Donc, ce combat continue chaque jour. Le M23 le prend en charge. Parallèlement, les partis de l’opposition ont accepté d’aller aux élections tout en ne reconnaissant pas la candidature du président Wade. Donc, effectivement, cela nous met dans une situation assez particulière, où l’on mène 2 combats très cohérents. Mais cette particularité crée une richesse dans le débat politique sénégalais.

 

Vous avez dit que la campagne électorale s’inscrit dans une situation particulière. Mais l’enjeu de cette élection l’est tout autant. Est-ce que cela ne devrait pas être une motivation supplémentaire pour animer davantage la campagne électorale ?

C’est cette particularité, qu’est la situation politique du Sénégal, qui crée ce semblant de morosité. L’opposition, regroupée dans le cadre du M23 veut aller jusqu’au bout, c’est-à-dire impulser un combat commun contre la candidature du président Wade. Mais cela n’empêche les partis politiques – je parle au nom du PS – de continuer à militer pour défendre nos idées dans le cadre de ces élections. Le Parti socialiste sénégalais a commencé à adresser tout ce qui est budget et logistique, au niveau des sections, des sous-sections, des comités, des départements et des régions. Je pense que la campagne va décoller autour du 16 février (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 13 février 2012). L’engagement du PS vis-à-vis du M23 va être respecté jusqu’au bout. A partir du 16 février commenceront  les débats et les échanges sur les programmes des candidats.

 

Attendez-vous toujours votre budget de campagne ?

Nous sommes un parti d’opposition. Mais nous n’avons jamais attendu nos instances dirigeantes du Sénégal pour fonctionner. Ici, nous avons la particularité de travailler avec des partis frères, comme le Parti socialiste français qui nous a énormément aidé en termes de logistique, de transports. Pour le reste, les membres de la coordination se sont cotisés pour pouvoir démarrer la campagne électorale en France.

Depuis dix jours que nous avons commencé, nous sommes allés à Bordeaux, Rouen, le Havre, Mante-la-jolie, les Mureaux. La semaine prochaine, nous allons à Caen pour essayer d’amplifier le travail que font nos sections au niveau des provinces.

Ici, en France, notre démarche est de responsabiliser les sections pour animer la campagne. Mais au niveau central, c’est-à-dire Paris, la coordination fera des visites au niveau des foyers et de tous les endroits, comme le 18e arrondissement, qui sont considérés comme des lieux de concentration des Sénégalais.

Pour être honnête avec vous, un projet de budget a été fait et envoyé à Dakar. En principe, on devrait le recevoir dans le courant de cette semaine.

 

Ce retard de la mise en place effective de ce budget n’influe-t-il pas dans le déroulement de la campagne ?

Cela n’impacte aucunement notre campagne. Nous avons toutes les affiches, tous les supports thématiques de notre candidat et son programme. C’est le Parti socialiste français qui nous a énormément aidé dans ce cadre.

Pour le reste, on a participé individuellement. Lorsque le budget additionnel viendra de Dakar, cela nous permettra de continuer le travail. Nous avons un seul crédo au niveau de la coordination : on compte d’abord sur nous. C’est qu’une campagne présidentielle demande beaucoup plus de moyens. Mais ce que nous voulons c’est, le jour des élections, avoir les moyens d’aider nos militants à se déplacer pour venir voter. C’est ça qui est plus important pour nous.

 

Justement est-ce que dans le projet de budget que vous avez envoyé à Dakar, vous avez prévu les frais du transport de vos militants ?

Absolument ! Notre stratégie, c’est de laisser nos sections faire le travail d’information et d’explication au niveau de leurs bases. Au niveau central, c’est le bureau de la coordination et ses membres qui parcourent Paris et sa région. Mais le plus lourd de notre budget va être destiné au transport et au confort de nos électeurs pour qu’ils puissent venir voter en masse le 26 février. C’est que qui compte le plus pour nous.

 

Vous avez évoqué du soutien du Parti socialiste français. Est-ce que cela ne vous gêne pas ?

Non, cela ne nous dérange pas. Vous savez que même notre pays est soutenu par ses partenaires. Mais cela n’empêche pas son indépendance. Dans le cadre d’une démarche privée, donc des partis politiques, nous avons des liens de coopération, notamment avec le Parti socialiste français qui nous aide. Mais ce n’est pas cette aide qui entachera notre indépendance, notre autonomie, notre liberté de penser. C’est dans le cadre d’une coopération normale entre partis frères. Nous sommes fiers d’avoir ce genre de coopération avec le PS français.

 

On sait qu’ici en France, la bataille électorale sera rude entre les différents partis sénégalais représentés. Avez-vous des chances de gagner ?

Nous pensons sincèrement que nous devons remporter ces élections et nous y croyons. Pourquoi ? Parce que les Sénégalais ont fini par comprendre que la politique de Wade est désastreuse. Ils ont également pris conscience du fait que cette politique est également celle des suppôts du président sortant qui ont été là il y a quelques années. Ils ont participé pleinement en 2007 à la campagne de Wade pour le faire élire. Sur le plan des idées, de la posture politique, nous avons toujours combattu le président. On ne peut dire cela pour tous les partis politiques d’opposition. Je demande à tous ceux qui sont contre Wade de voter pour le Parti socialiste, pour vrai changement. Nous avons fait ce travail de sensibilisation depuis une dizaine d’années de manière permanente. Par rapport aux retours que nous avons, on avons espoir que nous allons gagner ici en France.

 

Mais il y a de grosses pointures comme Moustapha Niasse, Macky Sall et même le président Wade qui sont aussi représentés  en France. Ne vous les craignez pas ?

Je pense que les membres du PS sénégalais pensent avant tout à l’intérêt général du Sénégal et non à une seule ethnie. Lorsqu’ils seront élus, ils agiront pour l’ensemble des sénégalais. Aujourd’hui, le propos n’est pas d’avoir des attitudes ethnicistes ou d’amitié, mais d’agir pour l’intérêt général, qui transcende toutes ces attitudes subjectives et ne participent pas à la consolidation de notre République. Je pense que le candidat, Ousmane Tanor Dieng, reflète toutes ces qualités d’homme d’Etat et d’homme républicain.

 

Les autres candidats revendiquent les mêmes valeurs…

Lorsqu’on voit les autres réagir, notamment par rapport aux confréries religieuses, on peut en douter. Mais le candidat du Parti socialiste est à équidistance de tous ces communautarismes religieux ou autres.

 

Les sondages ne sont pas autorisés. Mais dans l’ambiance générale de la campagne électorale ici, en France, le candidat Macky Sall est donné favori. Ne risque-t-il pas de vous devancer largement ?

On verra ! Les gens disent – je ne le dis pas et le Parti socialiste sénégalais non plus – que Macky Sall a mené une campagne électorale communautariste en France, pour que les Peul votent pour lui. Je suis Peul, mais je suis dans l’opposition. Je ne pense pas qu’il ait un discours pouvant décider les Peuls à voter pour lui.

Connaissant les Peuls et leurs valeurs, je pense que ce qui est important pour eux, c’est la consolidation de la nation sénégalaise. Les gens pensent que Macky Sall va gagner en France parce que les Peuls vont voter pour lui. C’est une mauvaise image qu’on veut lui donner. Il vaut beaucoup plus que ça. Son discours est articulé sur les valeurs de la République, de l’unité et de rassemblement de toutes les ethnies.

 

Est-ce que ce n’est pas plutôt parce qu’il y a beaucoup plus de militants dans cette ethnie et qu’elle est donc plus représentative dans la population immigrée sénégalaise ?

Je ne le crois pas. Nous sommes allés dans beaucoup de villes françaises. Quand on rencontre les Peuls et qu’on leur dit qu’on pense qu’ils vont voter pour Macky Sall, ils nous répondent : « Pourquoi vous dites cela ? Pourquoi cette stigmatisation des Peuls ? ». Les Peuls feront leur choix, ils le feront sans mettre en avant leur ethnie.

 

Quelles sont vos relations avec les autres partis politiques de l’opposition ici en France ?

C’est dans le cadre de Benno Siggil Sénégal (S’unir pour redresser le Sénégal, Ndlr). Vous savez que Benno n’est finalement pas parvenu à trouver une candidature unique. Une partie soutien Moustapha Niasse et l’autre notre candidat Ousmane Tanor Dieng.

Les gens feront leur choix. Au premier tour, les Sénégalais diront leur préférence, entre Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng. Mais celui qui sera au deuxième tour sera soutenu par tous les autres candidats de l’opposition. L’essentiel, c’est de sortir du régime pernicieux du président Wade. Mais nous gérons nos relations avec intelligence et sainement. De toute façon, ça n’a jamais été dans l’animosité et de la confrontation. Nous avons travaillé dans le cadre de nos manifestations contre la candidature du président sortant. Ce qu’il faut savoir, c’est que sur la scène politique sénégalaise, il y a le camp de Wade et le camp de l’opposition. Et dans le camp de l’opposition, on connaît les uns et les autres et l’essentiel, c’est de faire partir Wade et d’instaurer une gouvernance publique efficace.

 

Quelle est la différence entre une campagne électorale sénégalaise en France par rapport à une menée au Sénégal ?

Il y a une différence dans l’approche. L’élite est beaucoup plus alerte sur le contenu des programmes. Elle est à l’écoute et a une idée de ce que doit être un comportement public des hommes politiques. Elle a aussi des problèmes qui lui sont spécifiques. Il s’agit entre autre de la continuité de leurs droits acquis en France. Comme les allocations familiales, la couverture sanitaire.

Ousmane Tanor Dieng a proposé de créer un accord-cadre avec la France pour la continuité de ces droits. Beaucoup de nos compatriotes qui sont en France n’ont pas de titre de séjour et veulent en obtenir un pour rester et travailler ici. Le Président Wade a signé un accord avec le gouvernement français pour l’expulsio, de ces Sénégalais. D’ailleurs, par le biais de ce même accord, tout immigré africain en France peut être expulsé au Sénégal. Si notre candidat gagne les élections, il va dénoncer cet accord.

Autre point, les voitures de plus de 5 ans dont Wade a interdit l’exportation. Cette interdiction sera levée si nous gagnons les élections. Il suffira seulement d’une visite technique validée ici en France et au Sénégal. Tout le reste est contenu dans des propositions adaptées qui peuvent participer à changer la vie des Sénégalais en France.

 

Si l’on lève cette interdiction, est-ce que vous avez mesuré les conséquences sur les entreprises automobiles sénégalaises qui emploient une grande partie de la population ?

Avant que cette mesure ne soit prise par le président Wade, ces entreprises existaient et n’étaient pas affectées. Je pense que l’interdiction n’a fait que diminuer le train de vie des Sénégalais, notamment en matière de transport. Il a pris cette mesure pour protéger une certaine industrie qui participe à un système d’affaires au Sénégal.

 

Certains candidats comptent revoir le dispositif diplomatique du Sénégal en réduisant notamment les consulats et les ambassades. Votre candidat est-il dans le même état d’esprit ?

C’est un diplomate de carrière et il en connaît la valeur. Le Sénégal doit avoir une diplomatie de proximité et de développement économique. Quand on voit la cartographie diplomatique, on constate qu’il y a des ambassades et des consulats qui ont été créés par prestige. Alors que certaines représentations diplomatiques ne sont pas justifiées. Je pense qu’il faut une diplomatie efficace, qui puisse être légitimée par une forte présence sénégalaise ou des relations économiques importantes.

 

Votre candidat va-t-il revoir le nombre de consulats sénégalais en France ?

Absolument. C’est vrai qu’on a une forte communauté sénégalaise en France. Mais je pense qu’il faut harmoniser notre dispositif consulaire. Il y a certaines zones où la représentation consulaire doit être revue.

 

Les 4 consulats sénégalais en France sont Paris, Bordeaux, Marseille et Lyon. Faut-il revoir ce dispositif ? Faut-il en supprimer au point de demander, par exemple, à un Sénégalais de Bordeaux, de Marseille ou de Lyon de venir faire ses papiers d’état-civil à Paris ?

Il faut les réorganiser. Par exemple, les Sénégalais qui sont à Avignon dépendent de Paris. C’est une incongruité. On doit y réfléchir pour que nos consulats soient efficaces et efficients.

 

Moustapha Barry

Le fil Burundi du 28 mai au 19 juin 2015

Suivez l'actualité du Burundi, où la candidature de l'actuel président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat présidentiel a mis le feu au poudre et menace de provoquer une guerre civile.