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09H04 - jeudi 8 décembre 2011

Le Japon de l’après-Fukushima : entretien avec le politologue Toru Yoshida

 

Rencontre avec Toru Yoshida, professeur de sciences politiques à l’université d’Hokkaido, et spécialiste de la vie politique française et japonaise.


L’opinion publique japonaise a-t-elle encore les yeux rivés sur Fukushima ?

Toru Yoshida : Les médias japonais continuent à s’intéresser de très près aux suites de Fukushima, mais en se focalisant sur la responsabilité des hommes politiques dans la catastrophe. Alors que les Japonais sont surtout inquiets du sort des sinistrés et ont peur de la contamination de la nourriture par des substances radioactives. A cause de ce décalage, beaucoup de personnes vont chercher des informations sur Twitter ou Facebook, avec les risques inhérents de propagation de rumeurs sans fondement qui amplifient les angoisses et entretiennent l’hystérie collective. Il suffit de surfer sur le net japonais pour constater cette perte de sens.


Le Japon a changé de premier ministre japonais le 2 septembre dernier : Yoshihiko Noda a remplacé Naoto Kan. Se démarque-t-il de son prédécesseur sur la question du nucléaire ?

Toru Yoshida : La seule chose que l’on peut dire de Yoshihiko Noda, c’est qu’il a un caractère opposé à Naoto Kan. C’est quelqu’un qui cherche le consensus, qui est modeste et reste sobre, en essayant de diviser le moins possible. Il essaye donc de surpasser la question nucléaire, très clivante, au risque parfois de la négliger. Il faut noter aussi que M. Noda est le premier chef de gouvernement issu de la Matsushita Seikei Juku, une école crée par le fondateur de la société Panasonic, et qui a pour but avéré de former des hommes d’Etat. Les élus sortant de cette institution, et ils sont de plus en plus nombreux, commencent à transgresser le modèle classique des partis politiques, ce qui montre bien une évolution des mentalités. Mais M. Noda n’est pas l’archétype des élus formés dans cette structure : les anciens élèves de Matsushita Seikei Juku ont l’image d’être à la fois idéalistes et prétentieux.


Les mouvements populistes profitent-ils du marasme que connaît la classe politique et la société japonaise ?

Toru Yoshida : Oui, la preuve en est l’élection à la « préfecture » (NDLR : le Japon est divisé en 47 préfectures) d’Osaka, la deuxième ville du pays, de Toru Hashimoto, le fondateur du mouvement populiste Osakai Ishin no Kai (« Mouvement de restauration d’Osaka »). Trois ans après avoir été élu, il a démissionné pour préparer sa candidature à la mairie, en mettant à sa place une personne issue de son mouvement. On se croirait dans la Russie de Poutine ! Le discours de M. Hashimoto est clairement démagogique, mais il a toujours milité contre les centrales nucléaires, ce qui l’a rendu populaire face à une classe politique qui peine à retrouver la confiance. Aujourd’hui, son mouvement qui prône la « rupture » ne peut plus être ignoré.


Comment la classe politique japonaise peut-elle regagner la confiance de l’opinion publique ? Les citoyens japonais croient-ils encore à leurs dirigeants ?

Toru Yoshida : Le niveau de défiance envers les hommes politiques est très haut au Japon, même en comparant avec les autres pays développés. Selon les sondages, les Japonais avaient encore confiance ces dix dernières années dans les politiques de développement technologique et de prévention des catastrophes naturelles. Ces politiques dépassaient les clivages et semblaient réunir tous les électeurs. Mais même ces formes de consensus, naturelles hier, sont remises en cause depuis le séisme du 11 mars. Au Japon comme ailleurs, le clivage droite / gauche classique semble devenir obsolète. Cela me fait penser à la formule du sociologue américain Daniel Bell : le gouvernement, tel qu’il est actuellement au Japon est « trop petit pour résoudre les grands problèmes de la vie citoyenne, et trop grand pour résoudre les petits problèmes. » Il serait donc salutaire que le Japon réfléchisse et débatte de manière plus approfondie au concept de « gouvernance globale », ce qui sera sans doute un défi commun pour l’ensemble de la classe politique.

Propos recueillis par Damien Durand

Photos

Titre : des Japonais se font contrôler par un compteur Geiger (DR)

Article : le premier ministre Yoshihiko Noda (DR)

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Le musée de Fukishima. DRLe Louvre à Fuhushima ? Le Louvre à Fuhushima ? Le musée de Fukishima. DR
Le Musée du Louvre est à l’origine d’une initiative culturelle et solidaire avec Fukushima en annonçant au mois de janvier la tenue d’une exposition itinérante dans les régions sinistrées par le tsunami…