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07H30 - lundi 25 juillet 2011

Grand entretien OI : lutte anti-terroriste – jusqu’où peut-on aller ? Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Action européenne contre le terrorisme répond à nos questions

 

 

Si la problématique est loin d’être nouvelle, la mort de l’ancien leader d’Al Qaïda, Oussama Ben Laden sous les balles américaines a remis au goût du jour une question que certains se posent avec inquiétude : quels actes peuvent être justifiés au nom de l’antiterrorisme? Coordinateur pour l’Union Européenn de la lutte conte le terrorisme, Gilles de Kerchove a accepté de répondre à nos questions.

 

L’expression « Guerre contre le terrorisme » est souvent utilisée, bien que le mot « guerre » fasse allusion à une situation juridiquement bien définie. Le terrorisme requiert-il l’application du droit militaire international ?

Selon l’approche européenne, comme exprimé par exemple dans les décisions cadres de l’UE relatifs a la lutte contre le terrorisme, le terrorisme est un crime, et donc un acte répréhensible par la loi, qui réclame une enquête, une poursuite en justice, enfin plus globalement, un procès. Il n’y a, pour le terrorisme et dans le droit européen, aucun règlement spécial, aucune dérogation. Cela suppose que la loi pénale couvre au plus près des comportements tels que la provocation publique, le recrutement et l’entrainement des recrues qui sont inhérentes à l’activité terroriste. Les réactions aux attaques de Madrid et de Londres sont représentatives de l’approche de la justice pénale classique.

Nous ne partageons par conséquent pas l’approche de Global War on Terror/Global War against Al Qaeda , concepts développés par l’administration Bush, c’est à dire l’application du droit international humanitaire aux affaires de terrorisme en dehors des conflits armés spécifiques comme par exemple en Afghanistan.

L’UE et les États-Unis discutent en détail les questions relatives au droit international dans la lutte contre le terrorisme dans un dialogue entre les conseillers juridiques du Département d’Etat depuis 2006, un dialogue fructueux qui a permis de mieux comprendre nos points de vues respectifs sur le cadre juridique international relatif à la lutte contre le terrorisme. L’UE a exprimé de sérieuses objections à l’encontre du paradigme global de guerre, à l’interrogation renforcée, aux centres de détentions secrets, et à Guantanamo. Nous saluons fortement la décision du président Obama de mettre fin à ces politiques et à fermer Guantanamo. Nous partageons tout à fait le point de vue du président Obama que dans le long terme, on ne peut être efficace dans la lutte contre le terrorisme que si on respecte le droit international et les droits de l’homme, parce que sinon les politiques dans la lutte contre le terrorisme risquent de contribuer à la radicalisation. Nous soutenons fortement les tentatives de Barack Obama de rapprocher le paradigme américain du modèle classique qui consiste à promouvoir le système pénal classique pour les procès contre les suspects terroristes. C’est dans cette optique que l’UE a mis en place en 2009 un cadre pour aider le Président Obama à fermer Guantanamo, qui a permis aux Etats membres d’accueillir 20 ex-détenus en Europe. L’UE a aussi contribué aux task forces mises en place par le Président Obama chargées de revoir les politiques de détention, d’interrogation et de transferts dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

La vison européenne condamne alors la politique américaine au Moyen Orient et la traque armée des terroristes d’Al Qaïda qui aura abouti, entre autres, à la mort de Ben Laden?

Il faut bien distinguer les différentes situations auxquelles les services américains comme européens peuvent avoir à faire face. Si nous demandons de manière générale l’application du droit pénal, certaines zones du globe sont plongées dans de violents conflits armés au sens du droit international humanitaire, comme par exemple en Afghanistan.

L’application du droit international humanitaire est justifiée dans un tel conflit. Mais comme je l’ai dit auparavant, l’Union Européenne ne soutient pas l’approche d’un conflit armé global contre Al Qaïda au sens juridique. Il n’y a pas un champ de bataille global. Concernant la mort de Ben Laden, il est difficile d’entamer une analyse juridique sans connaitre les détails de l’opération. Basées sur l’information disponible, les circonstances de cette opération qui avait pour but de remettre Oussama Ben Laden à la justice, semblent avoir rendu impossible l’arrestation de ce dernier vivant.

Les conflits armés qui agitent un État justifient donc que des moyens militaires soient systématiquement employés pour combattre le terrorisme?

Là encore, le problème est plus complexe. Lorsque je suis allé à Kaboul, la ville a été victime de plusieurs attentats. Ils étaient le fait de groupes talibans, des insurgés donc, et visaient des installations militaires. Donc ces actes pouvaient être considérés comme des actes de guerre, ce qui n’est en soi pas illégal en droit international des conflits armés. En revanche, lorsque les attentats visent et atteignent des civils, nous sommes face à un crime de guerre dont le responsable doit être jugé.

Il faut ensuite prendre également en compte l’intensité des conflits auxquels nous devons faire face. Pour reprendre l’exemple du Pakistan, nous assistons à une insurrection d’une grande violence. Aussi, dans ces situations bien précises, il est envisageable que des moyens militaires puissent être employés pour lutter contre le terrorisme.

 

Si l’application du droit pénal semble si délicate à appliquer dans des zones où le terrorisme est si actif, pourquoi adopter cette approche plutôt que « l’american way »?

On partage avec les États-Unis l’opinion que le droit international humanitaire est applicable dans les conflits armés, donc aux actes de terrorisme commis dans le cadre des conflits armés. Par contre, en dehors de conflits armés spécifiques, il n’y a aucune raison de ne pas appliquer l’approche judiciaire. Le droit international humanitaire a des conséquences sur la détention qui ne sont pas faites pour des situations de paix, comme par exemple en Europe, aux États-Unis et dans la plupart des pays du monde. L’État de droit et les droits de l’homme sont applicables et ne permettent pas la détention prolongée sans procès pénal, par exemple.

Tout d’abord parce que même dans le cas du terrorisme, le droit pénal international est parfaitement bien défini et approprié. Ensuite, j’estime qu’une procédure pénale est primordiale. Pour les auteurs tout d’abord; en effet, un procès revient à les juger pour un crime grave, et à les considérer comme des criminels, ce qui signifie que nous refusons de les voir comme des combattants, luttant au nom d’un idéal insensé et mortifère. Et vous remarquerez qu’Al Qaïda n’a pas fait, et ne fera sûrement pas l’éloge des auteurs des attentats de Madrid. Et ce, parce qu’ils ont été jugés dans un procès régulier pour un crime atroce. Le choix de la procédure pénal est donc un moyen de « déglamouriser » le terrorisme, qui peut avoir un ascendant chez les jeunes.

La procédure pénale est nécessaire également pour les victimes de ces attentats. Lorsqu’un terroriste commet un attentat, il n’a généralement qu’une idée fixe qui est d’atteindre la société, une idée qui l’obsède au point d’oublier totalement les conséquences humaines de son acte. Les procès donnent la parole aux victimes, et les remettent au premier plan de ces terribles évènements.

Qui parle de lutte contre le terrorisme parle d’une lutte contre une guerre secrète et souterraine. Aussi les moyens de surveillances sont-ils tout aussi secrets. Ne peut-on pas craindre que cette surveillance constitue un danger pour les droits individuels?

Les États qui ont un sens de l’impérium suffisant veillent à se doter d’organismes de collecte et d’analyse des renseignements efficaces et à les faire contrôler par des organes parlementaires.

Notons par ailleurs qu’en Europe, les exigences liées au respect de la vie privée sont très fortes. Les articles 7 et 8 de la Charte des Droits Fondamentaux et l’article 8 de la Constitution Européenne des Droits de l’Homme sont sur ce point très clairs. Le Parlement Européen est également très vigilant. D’ailleurs, ce souci de protection de la vie privée est une source de frictions avec nos alliés américains, qui n’appliquent le Privacy Act qu’à eux-mêmes, ne considérant pas, contrairement à nous Européens, que le droit à la vie privée soit un droit fondamental dont bénéficient tous les citoyens quelle que soit leur nationalité. Nous travaillons actuellement à trouver un accord sur ce plan.

Une législation concernant la préservation des données recueillies et traitées par les autorités répressives est en cours d’adoption. Les constantes innovations technologiques – information en nuage, puces RFID, réseaux sociaux – nous poussent en effet à remettre fréquemment nos lois à jours. Ce souci de protection des données et des informations, permet un meilleur partage des informations sensibles au sein même de l’Union Européenne.

Néanmoins, notre besoin d’information et d’amélioration de notre surveillance est croissant. Il y a une dizaine d’années, nous faisions principalement face à des organisations structurées, à la hiérarchie quasi militaire, tels qu’Al Qaïda ou AQMI. Si bien entendu ces organismes restent actifs, de nouvelles menaces plus difficiles à prévenir ont fait leur apparition. On assiste maintenant à des formes de terrorismes plus endogènes, dans le sens où des « loups solitaires » se forment eux-mêmes et agissent seuls, rendant leur appréhension beaucoup plus difficile. Il est également très difficile de prévenir les agissements des jeunes qui partent dans les camps d’entrainement terroristes en zone de djihad, et qui reviennent chez eux formés . On procède alors à une méthode de détection des comportements suspects, en donnant à la police l’accès à de nouveaux types d’information ( accès à des informations bancaires ou des compagnies aériennes). Il faut cependant veiller à ne pas tomber dans une société de surveillance. Aussi, chaque liberté donnée aux services de surveillances et de sécurités s’accompagne d’un renforcement du cadre juridique.

 

Le renforcement et le durcissement de la lutte anti-terroriste, directement liés à la recrudescence des activités terroristes, n’ont-ils pas, d’un point de vue mondial, entrainé un certain recul du respect des droits de l’homme?

Comprenez déjà que, s’il n’existe pas réellement un droit de l’homme à la sécurité comme il existe un droit au respect de la vie privée. L’attente de tout citoyen d’une protection de la part de l’État est très forte. Il y a peu, les sondages d’opinion en Europe plaçaient le souci de la sécurité avant celui de l’emploi. La demande de sécurité est donc très importante et je reste convaincu qu’elle est parfaitement conciliable avec la liberté de chacun dans des démocraties européennes qui sont, à mon sens, assez fortes et assez solides pour s’éviter toute dérive sécuritaire. En revanche, ce n’est pas forcément le cas d’autres États où la lutte anti-terroriste peut attenter aux libertés fondamentales. Indéniablement, dans nombre de pays, chaque avancée dans le domaine sécuritaire se paie « cash » en termes de libertés individuelles.

Cet état de fait représente pour nous plusieurs défis. En premier lieu, nous devons veiller à ce que nos aides ne soient pas employées à museler les oppositions dans les pays concernés. S’il est nécessaire, dans les zones à risques, de muscler les systèmes de sécurité et de surveillance anti-terroriste, il est encore plus primordial de juguler toute les dérives que ce renforcement peut engendrer. Nous n’avons, par exemple, pas hésité à retirer notre aide au Yémen – une zone où Al-Qaïda se révèle être pourtant très active – lorsque que nous avons assisté aux excès du gouvernement et de ses services.

L’aide directe n’est pas notre seul moyen d’intervention. Le développement démocratique et économique de ces pays constitue une très bonne prévention contre la menace terroriste. A titre d’illustration, l’appel à la démocratie qui a soulevé une partie du Nord de l’Afrique et du Moyen Orient est un bon remède à la tentation terroriste. Et il est fort probable que si l’on s’appliquait à développer le Nord-Mali, à aider et à protéger les tribus nomades, on leur éviterait la tentation des recruteurs d’Al-Qaïda ou des groupes de trafiquants de drogues. Je suis intimement convaincu de l’efficacité du couple développement/sécurité.

L’Europe a aboli la peine de mort, notamment pour juger les pires des criminels qui s’avèrent parfois être les auteurs de crimes terroristes ; les États-Unis et d’autres pays dans le monde y sont favorables. Que fait la diplomatie européenne aux États qui la pratiquent encore pour les dissuader d’y recourir dans le jugement de ces criminels?

Nous sommes très actifs sur ce plan. Je ne m’occupe par directement de cette question, mais plusieurs de mes collègues sont engagés dans un combat permanent sur ce terrain. La commission européenne s’est même portée partie dans une affaire traitée par la Cour Suprême des États-Unis où il était question de l’imposition de la peine de mort à des personnes mineures. Aussi, sur ce sujet, il n’y a aucune hésitation ni timidité de la part de l’Europe.

Propos recueillis par Romain Leduc

Photos :

– en une : des détenus dans le camp de Guantanamo

– texte : scène de chaos lors des attentats de Madrid le 11 mars 2004

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