Edito
12H30 - vendredi 6 mai 2011

Anthologie de l’abolition de la peine de mort. Texte 3 : Discours sur la mort et la condamnation de Charles de Franchillon, Baron de Chènevières, exécuté en place de Grève, par arrêt de la Cour du Parlement de Paris pour crime de sortilège et de magie, du jeudi 14 mai 1626.

 

Ce n’est pas sans raison que la Cour de Parlement a fait défense à tous juges et officiers de son ressort de faire exécuter définitivement les jugements par eux donnés contre les accusés de crimes de sortilège, portant condamnations de peines corporelles, vu les grands abus qui s’y peuvent commettre et qui même s’y commettent tous les jours. Car les crimes susdits n’étant la plupart du temps commis qu’en cachette, l’on n’en peut rien savoir, si ce n’est par conjecture, ou bien par les charges de ceux qui s’en trouvent convaincus. Quand c’est par simple conjecture, il faut de nécessité que l’accusé confesse le crime pour être condamné, ce qui advient ou volontairement, ou par force ; si c’est par force, on peut l’imputer à la faiblesse de la personne ou à la violence des tourments, si c’est volontairement, à la mélancolie des esprits, laquelle blessant l’imagination, persuade de mille absurdités (comme cette sorte de folie est assez commune) la personne qui en est affligée. Mais quand c’est par la charge de ceux qui sont convaincus de sortilège ou de magie, qu’un autre en est soupçonné, il peut arriver que ces âmes noires et méchantes qui ne contractent avec l’ennemi du genre humain que pour exercer leurs vengeances et qui meurent dans l’impénitence ordinairement, ne feront point difficulté d’accuser du même crime ceux qu’elles auront en haine pour s’en venger à tout le moins en mourant. De là vient que, le plus souvent, en pensant faire punition des coupables, on fait mourir de pauvres innocents. D’ailleurs, il y a des juges de si mauvaise conscience et tellement possédés d’avarice (aussi bien que beaucoup d’autres) que le bien d’un homme est capable de le rendre atteint devant eux du mal du monde le plus grand. Ce que je ne dis pas sans l’avoir vu, m’étant trouvé dans une certaine ville de Lorraine où d’un grand nombre d’accusés de sorcellerie, dont j’entendis l’interrogatoire et les réponses, on ne fit mourir que ceux qui avaient (comme on dit communément) de quoi se faire pendre, encore concernent-ils des choses ridicules que c’était pitié de les entendre.

Toutefois (comme la calomnie trouve toujours à mordre sur les actions les plus sincères) il s’est trouvé des personnes qui ont eu l’impudence de blâmer le Parlement de la froideur qu’il témoigne à faire justice des pauvres misérables qu’on soupçonnait des crimes susdits, ne considérant pas que ceux qui tiennent en main les balances de l’équité ne doivent rien faire témérairement ni à la volée, mais peser mûrement toutes choses, s’abstenir quelquefois (par manière de dire) de châtier les coupables de peur de faire mourir les innocents. La charge est de telle importance qu’il est presque nécessaire de s’être trouvé dans la peine pour savoir les difficultés qui s’y rencontrent ,et quiconque en parle autrement, ressemble à celui qui veut parler de la guerre et ne s’est jamais trouvé aux occasions. Que si la Cour n’est pas toujours portée à toutes sortes de rigueur contre les magiciens et sorciers, cela n’a été que faute de témoignages suffisants pour les convaincre. Car en cette sorte de crimes, aussi bien que pour les autres, où la vérité du fait s’est clairement remarquée, le Parlement n’a jamais abandonné sa sévérité et sa justice accoutumées.

Et sans aller chercher des preuves de mon dire dans tant d’arrêts solennels, tant vieux que modernes, connus de tout le monde, je ne veux alléguer, pour en faire foi, que la condamnation et punition exemplaire de Charles Franchillon, Baron de Chènevière, gentilhomme de bonne maison, mais dont je tairai le nom des parents pour le respect de leur qualité, lequel de fraîche mémoire s’est trouvé atteint et convaincu de crimes si énormes que la Cour s’en est refusé la connaissance, jugeant n’être pas bon que le public sut des méchancetés auparavant inouïes, imitant en cela Solon législateur des Athéniens qui n’ordonna point de peine contre celui qui tuerait son père ou sa mère, croyant qu’il n’y aurait pas d’hommes assez dénaturés pour en venir jusque-là. C’est pourquoi on a brûlé son procès avec son corps, comme il est porté par sa sentence dans laquelle il se voit que c’est pour avoir présenté requête à Belzébuth, Prince des Diables, contenant plein d’impiétés et de blasphèmes contre Dieu et son honneur. Il ne faut pas douter que des paroles il ne soit passé jusqu’aux effets, mais l’abomination et l’énormité de celles-ci ont été si monstrueuses que la Cour en ayant voulu supprimer la mémoire, semble nous défendre de nous en enquérir plus avant. En cela nous lui témoignons notre obéissance et nous contenterons de remarquer en cette mort honteuse la justice de Dieu qui ne laisse jamais rien d’impuni, quoiqu’il tarde, et que c’est folie à l’homme d’abandonner son créateur, pour s’adonner au destructeur de la race humaine, au Père du mensonge, dont les promesses quelque apparence de vérité qu’elles aient et de quelques effets qu’elles soient suivies pour un temps, ne tendent qu’à nous tromper à la fin, pour nous précipiter dans les ténèbres éternelles. Certes le Baron de Chènevières devait être content de l’honneur et des richesses que sa naissance lui avait attribués, sans se laisser emporter aux tentations de l’ambition, de l’avarice et de la curiosité, desquelles Satan s’est aidé comme d’instruments pour le perdre, ou bien s’il avait tant d’ennui de s’enrichir et de devenir grand, il devait y procéder légitimement, et parvenir aux charges par la vertu, par les charges aux richesses et aux honneurs. Il était parvenu à une vieillesse honorable, si elle n’eût pont été souillée de tant d’impiétés, mais Dieu qui n’avait retenu son courroux que pour le rendre plus violent, et différé la vengeance que pour en redoubler la rigueur, l’a finalement attrapé lorsqu’il y pensait le moins et l’a fait mourir d’une mort ignominieuse et violente, alors qu’une fin naturelle l’attendait de jour en jour. Toutefois il ne faut pas que nous désespérions de son salut, si les crimes sont grands, la miséricorde du Tout-Puissant est encore plus grande, l’abyme de ses miséricordes engloutit l’abyme de nos iniquités. Et sans la démesurée grandeur de nos forfaits, l’immense grandeur de ses compassions ne paraîtrait pas tant. Non qu’il faille nous fier là-dessus et faire mal comme dit Saint Paul, afin que bien en advienne : car Dieu ne fait pas à tout le monde la grâce de se repentir, et il est impossible que personne soit sauvé s’il n’a repentance de ces fautes. Le pêché contre le Saint Esprit (qui n’est autre chose que l’impénitence) n’étant pardonné ni en ce monde ni en l’autre. Soyons donc sages aux dépens d’autrui, de peur que ce soit par nos propres malheurs, vu qu’il n’est pas temps de l’être après coup, et faisons profit tant de l’exemple présent que de ceux que nous avons vu par le passé pour rendre gloire à Dieu le Père de nous tous, lequel tout bon et miséricordieux qu’il est, fait souvent servir la perte d’un seul au salut de plusieurs.

Amen

© Anthologie littéraire intégrale de l’abolition de la peine de mort : textes rassemblés et réunis par Armelle Cazeaud, édition par Françoise Garnier-Cargemel. Pour les Editions Michel Taube.

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