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10H00 - jeudi 11 juin 2015

Entretien avec Sébastien Velut, ancien directeur de l’IHEAL

 

 

 

Sébastien Velut, actuel directeur de l'IHEAL (jusqu'en septembre prochain).

Sébastien Velut, ancien directeur de l’IHEAL 

Quelle est la place de la recherche sur l’Amérique latine dans l’ensemble de la recherche française ?

Sébastien Velut : Les relations scientifiques entre la France et l’Amérique latine sont vastes, notamment avec certains pays qui ont été émetteurs d’exilés vers la France dans les années 70 et jusque dans les années 80, rapidement le Brésil et puis surtout l’Argentine et le Chili.

Cet exil a beaucoup nourri notre relation scientifique qui est incarnée notamment par Claude Lévi Strauss mais aussi des personnes comme Alain Touraine qui a consacré sa thèse au Chili et est revenu en France. 

Au regard de la forte tradition de coopération avec l’Afrique due à des raisons que l’on connaît bien, notamment de proximité linguistique qui n’existe pas avec l’Amérique latine, nous avons en Amérique latine des institutions de recherche et universitaires qui sont plus consolidées que les institutions africaines. 

La recherche française s’est restructurée depuis dix ans et je dirais que les partenariats ou la recherche sur des aires géographiques éloignées n’ont pas été forcément prioritaires par rapport à des thématiques d’intérêt général. On préfère soutenir un projet qui travaille sur la jeunesse aujourd’hui plutôt que sur la jeunesse au Chili. Les projets de recherche actuels en France procèdent davantage d’une approche thématique que géographique et cela peut parfois contribuer à mettre au second plan les coopérations établies avec l’Amérique latine. 

 

Quel est votre regard en tant que géographe et géopoliticien sur les enjeux de recherche liés à l’Amérique latine ? 

Pour moi, l’approche de la géographie est très liée aux espaces, à leurs ressources, à leur configuration physique et cette dimension est très peu présente dans les approches des sciences sociales. 

Par exemple, si on prend le thème de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et qu’on ne comprend pas ce que sont les points de passage, les villes jumelles, le désert du Sonora, cette barrière naturelle, on ne se rend pas compte de ce que peut être l’expérience des migrants ou la confrontation à cette barrière. 

Si on n’a pas cette idée des contraintes de la distance, de l’éloignement, des contraintes climatiques, de temps, d’altitude, des risques naturels, il manque quelque chose. 

Ceci dit, la géographie n’est rien si elle est seule, donc elle doit fonctionner avec la science politique, la sociologie et toutes les sciences humaines.

 

Vous venez de terminer votre mandat de directeur de l’IHEAL : quel bilan en tirez-vous? Quels ont été les moments marquants et les éventuelles difficultés rencontrées ? 

Les festivités organisées pour les 60 ans de l’IHEAL en décembre dernier ont été un des moments forts pour le rayonnement de l’institut. La ministre de la justice, Christiane Taubira, est venue. C’est une reconnaissance de notre position qui est au-delà de l’académique et c’est très important pour l’IHEAL puisque ce n’est pas uniquement un lieu de recherches et de formation. C’est un lieu de rencontres, de débats et de passage, c’est l’Amérique latine à Paris à sa façon.  

Pour moi, les moments forts de l’institut ont été liés à des rencontres importantes. Par exemple, il y a deux ans nous avons eu le passage d’une association colombienne de femmes pour la paix en Colombie, Tejedoras de vida, une rencontre très forte. 

L’année dernière, nous avons eu la visite d’un prêtre mexicain qui gère des maisons d’accueil pour les migrants qui arrivent d’Amérique centrale et qui trouvent ainsi des points de relais. Ces témoignages ont été extrêmement forts et dépassent évidemment les aspects académiques. 

On a également eu l’an dernier la venue de la commission colombienne qui travaille sur la mémoire historique et qui a fait un rapport : Basta ya! sur la mémoire des violences en Colombie. Que signifie reconstruire une mémoire ? Que veut dire s’entretenir avec des gens qui ont vécu des exactions, des déplacements ? Comment on met ensuite en place des politiques publiques pour reconstruire le pays ? Ces questions ne furent pas qu’académiques… 

Un deuxième point est que notre marque de fabrique doit être d’apporter des éléments nouveaux au débat scientifique sur la connaissance de l’Amérique latine. Par exemple, il y a deux ans, David Dumoulin a publié un livre sur le multiculturalisme en Amérique latine, une question qui se pose aussi en France et en Europe. De mon point de vue, il est important de « déprovincialiser » la pensée française qui est très auto-centrée et d’ouvrir un peu les fenêtres : l’Institut doit avoir cette mission. 

Enfin, j’espère avoir donné envie aux étudiants d’aller connaître cet ensemble sud-américain. Je crois qu’on est là pour ouvrir des possibilités.  

 

Dans une interview récente pour Opinion Internationale, Alain Rouquié, président de la Maison de l’Amérique latine à Paris, insiste sur l’indépendance et les Lumières comme valeurs communes entre la France et l’Amérique latine. Pour vous, quelles seraient ces valeurs communes ? 

J’insisterais sur la démocratie qui est aussi une façon de dire Les Lumières. Prenez l’Argentine par exemple : cette dernière adopte les bases d’une Constitution démocratique quand la France est sous le Second Empire. Il y a une antériorité de certains régimes démocratiques en Amérique latine par rapport à la démocratisation en Europe et une réflexion parallèle sur le sens d’un régime républicain. 

De plus, quand on parle de démocratie, on n’évoque pas simplement la démocratie formelle mais aussi les questions liées à ce régime politique, comme par exemple : que signifie être citoyen, comment le devient-on, que fait-on pour que les gens puissent accéder à la citoyenneté?

En termes de valeurs partagées, je parlerais pour ma part de l’humanisme. Autrement dit, nous sommes dans des sociétés qui possèdent les mêmes traditions chrétiennes, repensées par des philosophies héritières des Lumières et qui insistent sur l’individu. Ce sont des filiations qui sont parallèles et, en Amérique latine comme en France, on met en avant la valeur de l’individu, de la personne humaine, ce qui n’est pas forcément le cas partout dans le monde. En Amérique latine, la thématique des droits de l’homme fait sens, comme en France. 

 

Pensez-vous que l’Amérique latine peut être précurseur pour certains modèles politiques en France ? Notamment avec le concept de démocratie participative qui y a vu le jour…

Oui certainement. Si on prend la démocratie participative, c’est sûr qu’en dépit de la sympathie que l’on peut avoir pour la maire de Paris actuelle, le dispositif de participation qu’elle met en place n’est qu’une pâle copie de quelque chose qui a déjà plus de 25 ans en Amérique latine. 

Avec le multiculturalisme aussi, l’Amérique latine est en avance. Je suis très frappé par les innovations constitutionnelles en Bolivie et en Equateur qui vont en ce sens mais qui restent néanmoins à évaluer. 

Enfin, nous venons de remettre un doctorat honoris causa à la présidente du Chili Michelle Bachelet en visite en France : nous voulons ainsi reconnaître sa capacité à gouverner pour transformer en profondeur la société chilienne. 

 

Propos recueillis par Claire Plisson, Jean Darrason et Michel Taube

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