La Citoyenne
11H10 - vendredi 19 décembre 2014

Nashwa El Shazly, le courage acharné

 

 

« Elle ne savait pas que c’était impossible, donc elle l’a fait ». Il est inconcevable pour une femme mariée de quitter seule et enceinte l’Égypte pour aller travailler en France, étudier à l’ENA en même temps et revenir travailler dans la justice. Voilà l’exploit de Nashwa El-Shazly. Un grand coup qu’elle a frappé non sans mal. Dans l’ambiance feutrée d’un grand hôtel de Marrakech où a lieu le Forum Mondial des Droits de l’Homme, cette talentueuse juriste qui nous reçoit avec simplicité.

Nashwa El Shazly

Nashwa El Shazly

Il faut comprendre que le système judiciaire égyptien est presque exclusivement masculin. De père en fils, les magistrats se succèdent, bien que la constitution ouvre officiellement les carrières dans la justice aux femmes. Plusieurs jeunes femmes se sont vues refuser l’accès au Conseil d’État – exclusivement masculin – sans motif, et lorsque la présidente du Conseil national pour les femmes a voulu s’y interposer, on l’a accusée d’ingérence. Cette situation n’a pourtant pas découragé Nashwa El Shazly, jeune bachelière, de se mobiliser pour ouvrir une filière en droit à l’université d’Alexandrie, d’où elle sort avec les honneurs, deuxième de sa promotion, mention Bien. Le Graal judiciaire lui tend les bras quelques années plus tard, en 2007 : un master en Droit des Affaires Internationales au Caire et en lien avec Paris Dauphine – dont elle sort major et avec la mention Très Bien – lui ouvre la porte vers une carrière de magistrate.

Être femme et magistrate en Égypte ? Une quarantaine de personnes sur 12 000. Il faut plutôt chercher dans la trentaine pour calculer le nombre d’heureux élus admis à l’École Nationale d’Administration chaque année par la filière internationale. Nashwa est aussi passée par là. Cette fille d’un professeur à la faculté de médecine et d’une mère au foyer avait entendu ces trois lettres magiques à plusieurs reprises, via le directeur de son double cursus avec Dauphine.

En 2012, elle rompt un rythme de croisière pour partir Outre-Méditerranée. La jeune substitut du Parquet Administratif quitte ses enquêtes sur la corruption des agents publics et les cours de droit qu’elle donne dans deux universités d’Alexandrie pour retourner sur les bancs du côté de Strasbourg.

Cette année là, la révolution de 2011 n’a pas transformé la condition de la Femme en Égypte. La justice égyptienne enquête sur les agressions sexuelles de la Place Tahrir, les tests de virginité et autres violences sexuelles qui toucheraient 85% des Egyptiennes selon l’ONU. Quelle n’est donc pas la surprise de Nashwa quand elle apprend juste avant son départ pour la France qu’elle est enceinte. Elle fait dans l’euphémisme : « ce n’était pas facile pour moi, en Égypte, la tradition veut que la future mère soit accompagnée de ses proches dans ce moment ».

« Je tiendrai bon » 

Alors que son entourage a déjà du mal à comprendre sa décision de reprendre des études, la voir partir seule en France en attendant un bébé est vu d’un mauvais œil. Et la voilà qui fait ses bagages pour Strasbourg. Son mari lui apporte un soutien sans faille dans cette période où même les plus intimes lui tournent le dos et ne comprennent pas cet homme qui laisse partir son épouse enceinte à l’étranger. « Quelque chose d’exceptionnel pour un homme arabe », commente-t-elle.

Dès son premier jour dans la prestigieuse institution, elle met de côté tout sentiment de culpabilité : « je tiendrai bon », annonce-t-elle. Sa grossesse ne compromettra pas ses études, et vice-versa. Insatiable, elle s’inscrit en même temps dans un master d’administration publique générale à l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg.

Elle fait son premier stage chez le défenseur des droits, à l’époque Dominique Baudis. « Là bas, ils n’allaient jamais me refuser sous prétexte que j’étais une femme enceinte ! », lance-t-elle. En cinq mois, plongée dans les dossiers liés aux discriminations ou aux droits des enfants elle apprend énormément. « Comment traiter à l’amiable plusieurs conflits, voilà ce qui me passionnait », résume-t-elle. Plusieurs personnes l’inspirent. Jeoudi Habib, médiateur dans cette institution complète les cours instructifs de médiation que lui prodigue en même temps Stephen Bensimon à la Catho. On peut faire un parallèle avec la nécessité d’une justice moins radicale en Égypte, entre condamnations à mort des pro-Morsi et abandon des charges contre Hosni Moubarak.

A quatre jours de la fin de son stage, elle accouche. Une petite Aline voit le jour. Le prénom français n’est pas là pour hasard : Nashwa veut rendre hommage à cette culture française à laquelle elle devient « liée éternellement ». Sa mère la rejoint immédiatement pour garder sa petite-fille, tandis que sa fille franchit cette nouvelle étape de son interminable parcours. Bien qu’accompagnée par ses camarades de promotion, elle vit des instants difficiles : « C’est à ce moment, après toutes ces nuits passées seule enceinte, que je me suis sentie forte ».

Ambitions pour la Femme

L’énarque ne s’arrête pas en si bon chemin : direction, fin 2013, la préfecture de police de Paris. Elle y découvre une égalité homme-femme qu’elle ne voit pas en Égypte : à peine arrivée, le secrétaire général de l’époque, Éric Morvan, lui réserve une place en crèche. A ses yeux, « un bel exemple d’égalité des sexes ». Son passage est d’autant plus marquant qu’elle demande à suivre la police sur le terrain. La voilà qui accompagne les agents de la Brigade Anti Criminelle (BAC) dans leurs sorties de nuit ou encore les sapeurs-pompiers. Abattant un travail acharné, elle travaille aussi sur diverses réformes administratives et passe un mois à la police judiciaire. Son passage 36 Quai des Orfèvres lui donne une autre perspective de la justice. « Un moment très important dans mon parcours », dit-elle. Elle est reconnaissante envers ces personnes capitales qui l’ont convaincue de continuer à choisir son avenir. On trouve sa famille. On trouve Nathalie Loiseau, la directrice de l’ENA. On trouve aussi Bernard Boucault, son prédécesseur qu’elle retrouvera préfet de police de Paris et qui compte parmi les « ouvreurs de porte » qu’elle remercie. Achevant ses dix-huit-mois dans la promotion Jean De La Fontaine de l’ENA, elle boucle son master à Sciences Po Strasbourg dans la foulée. Une page se tourne.

« Je rêve de voir un pouvoir juridictionnel mixte. Je ne parle pas qu’en tant que magistrate, mais aussi comme la mère d’une fille qui deviendra femme » : quand elle revient en Égypte et retrouve à temps plein son poste à Alexandrie à la rentrée 2014, Nashwa est plus déterminée que jamais à se battre. Se battre pour permettre aux femmes de son pays d’avoir son parcours. Ceux qui lui avaient tourné le dos sont maintenant surpris et admiratifs. Ses parents, sa sœur et son mari sont fiers de celle qu’ils qualifient de « femme forte », et se sont aussi familiarisés avec la France à force de faire l’aller-retour avec Strasbourg ou Paris.

Nashwa El-Shazly, désormais un modèle dans son pays, ne veut pas s’arrêter là. Elle veut aller plus loin. « Les mentalités évoluent lentement. Il faut instaurer des quotas temporaires, pour le début et sur la base du mérite », propose-t-elle. Ses convictions ne s’arrêtent pas au féminisme. Elle souhaite aussi s’impliquer dans la lutte contre la corruption, son pays se classant 117ème sur 177 sur l’échelle des pays les moins corrompus.

Parmi ses nombreux projets, on n’est donc pas surpris de l’entendre parler d’une association de promotion des droits des femmes. Reconnaissante envers ses parents pour l’éducation qu’elle a reçue, elle compte bien transmettre à sa fille ces valeurs d’indépendance et cette confiance en soi qui lui a permis de tenir et d’arriver à ce stade. « Elle fera ce qu’elle veut, tout en respectant les limites de notre culture », synthétise-t-elle, je veux qu’elle apprenne et qu’elle voyage, je voudrais qu’elle découvre aussi la France ». C’est tout le mal qu’on peut souhaiter à la petite Aline et à toutes les égyptiennes qui pourront s’inspirer de sa mère.

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