
Opinion Internationale : Arnaud Benedetti, bonjour. Je m’adresse au fondateur du comité de soutien pour la libération de Boualem Sansal et je précise que vous lancez ces jours-ci la Nouvelle Revue Politique (NRP).
Quel soulagement : Boualem est de retour en France…
Arnaud Benedetti : Un vrai bonheur, parce que c’est l’accomplissement d’un combat d’une année, avec des doutes, des espoirs, des moments de tergiversations, parfois des tensions. Et le retour de Boualem en France, pays où il souhaitait s’installer, c’est une nouvelle qui est non seulement merveilleuse, mais qui démontre qu’il faut rester déterminé lorsqu’on se bat pour libérer un homme, injustement et arbitrairement arrêté.
C’est aussi une récompense pour tous ceux, au-delà d’ailleurs du comité de soutien, qui se sont mobilisés en France, en Europe, parfois en Amérique latine, au Québec, et qui n’ont rien lâché sur les principes. Ils ont tenu, et le résultat nous fait dire que, quand une cause est juste, il faut toujours « rester à son poste de combat », comme le disait le grand historien Marc Bloch.
N’est-ce pas une victoire un peu amère ? Parce qu’il reste un Français détenu en Algérie, Christophe Gleizes, un journaliste. Ensuite à cause de l’imbroglio politique qui a entouré sa libération : libéré en Allemagne, arrivé en France presque en catimini, reçu par le président de la République à l’Élysée sans une photo…
Vous avez raison de rappeler que le sort de Christophe Gleizes nous préoccupe et nous inquiète. Dès que nous avions appris la condamnation de ce jeune journaliste, dont on a ignoré la présence en Algérie pendant presque un an, nous avons tout de suite associé son nom à celui de Sansal.
Il est évident que, si nous nous réjouissons de la libération de Boualem, nous continuons dans le même temps à exiger la libération de Christophe Gleizes. On espère qu’il pourra rentrer très rapidement et retrouver sa famille.
Quant aux conditions de la libération de Boualem, nous avons vu très rapidement, dans cette longue année, que la relation franco-algérienne, étant ce qu’elle est, constituait un nœud qui empêcherait une libération rapide.
Nous avons toujours préconisé, parmi les différents leviers, la médiation européenne, la médiation internationale. La piste allemande avait été évoquée très rapidement dès le début de son incarcération, comme une piste à exploiter. Là, clairement, elle a été décisive.
Le rôle de l’ambassadeur d’Allemagne en Algérie, Georg Felsheim, et du président allemand, M. Steinmeier, ont été capitaux. Sans les Allemands, Boualem Sansal n’aurait peut-être pas été libéré. Cela ne veut pas dire que les Français n’ont pas été associés, mais clairement, c’est aussi grâce à la République fédérale d’Allemagne, à ses dirigeants, à son président, à son corps diplomatique, que l’on doit ce retour.
Ce drame, cette année de détention, n’est-elle pas une invitation lancée aux Français à mieux découvrir l’œuvre de Boualem Sansal, mais aussi à s’interroger sur les divisions que son sort a suscitées dans notre pays ? En Allemagne, en Belgique, dans d’autres pays, il est unanimement respecté. En France, beaucoup moins, et ces divisions franco-françaises ont sans doute retardé sa libération…
En effet, en Allemagne, Boualem est un écrivain très reconnu, puisqu’il a obtenu le prix littéraire le plus prestigieux, le grand prix de la paix des libraires allemands, décerné en 2011 A la foire du livre de Francfort le plus grand événement au monde réunissant libraires éditeurs auteurs et professionnels de l’édition. Il a été traduit au-delà de l’Allemagne, mais c’est vrai que sa renommée et sa réputation sont très fortes outre-Rhin, tout autant qu’en France.
Il faut signaler aussi que l’Académie belge a joué un rôle non négligeable en faisant de lui l’un de ses membres il y a quelques semaines.
Ensuite, concernant la France, je veux quand même saluer le côté positif : il y a eu une mobilisation importante d’écrivains, de parlementaires, de maires, de leaders d’opinion, d’acteurs associatifs. Ils ont largement participé à ce combat et permis que, durant toute cette année, on n’oublie pas Boualem Sansal.
Sans cette mobilisation impulsée en France, laquelle a été internationale puisque notre comité de soutien était international, il ne serait certainement pas libre aujourd’hui, en tout cas pas dans ces conditions.
Ensuite, sur le fond, vous avez raison de rappeler que Boualem est un lanceur d’alerte. Depuis plusieurs décennies, il nous met en garde contre les menaces et les risques auxquels nos sociétés sont confrontées : le risque de l’islamisme, du fondamentalisme, de la communautarisation, etc.
Il est évident que cette parole forte a pu parfois déranger en France. Quand vous êtes un écrivain comme Boualem, un écrivain qui regarde le réel en face, il est évident que vous ne pouvez pas plaire à tout le monde. C’est une forme de dissidence. Il est tout aussi dissident en Algérie qu’en France, parfois vis-à-vis de certains milieux. Mais c’est surtout un grand combattant de la liberté.
Savez-vous, à l’heure où l’on se parle, quand vous le rencontrerez ?
Le plus rapidement possible. Il vient d’arriver, on sait qu’il est éprouvé par cette année de détention, même s’il est fort moralement et psychologiquement. On va le voir très rapidement, mais pour l’instant on lui laisse le temps de se remettre, de profiter de sa famille, c’est très important.
Le temps de son expression avec le comité de soutien viendra très vite, évidemment, mais c’est lui qui sera le maître du temps en la matière, et on lui laisse cette maîtrise. C’est tout à fait normal.
Permettez-moi de vous dire, Arnaud, ô combien, face à cette prise d’otage qu’ont constitué son arrestation et sa détention arbitraire, le seul moyen de sauver un détenu d’opinion, c’était de faire du bruit, de protester. Pour m’être occupé d’octobre 2005 à mai 2007 des infirmières bulgares et du médecin palestinien condamnés à mort en Libye, et dont notre priorité a consisté à les faire sortir de l’oubli après déjà, fin 2005, six années de détention et de condamnation à mort, votre comité, cher Arnaud, a joué ce rôle de mobilisation. Sans vous, la détention de Sansal aurait pu durer des années. Un rôle que, dans le temps, jouaient des organisations de défense des droits de l’homme comme Amnesty International. Sa libération doit beaucoup aux femmes et aux hommes de votre comité. La liberté finit toujours par triompher.
Propos recueillis par Michel Taube




















