
Monsieur le maire de Saint-Joseph, pourquoi êtes-vous l’un des rares élus de Martinique à ne pas participer au Congrès des élus ouvert hier par Serge Letchimy, président de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) ?
D’abord, je ne suis pas le seul à ne pas y participer : nous sommes plus d’une vingtaine d’élus à avoir fait ce choix. Mais je suis sans doute le seul à l’assumer publiquement. Certains ont préféré se faire porter pâle, d’autres avaient sans doute de vrais empêchements, et d’autres encore partagent mon opposition sans l’exprimer ouvertement.
Je crois pourtant que le moment est important. Certains pensent qu’il n’y a pas « le feu au lac », parce que tout ce tumulte n’aboutira à rien sans l’expression de la volonté populaire. Mais à mes yeux, cette initiative n’est pas opportune. Il y a d’autres priorités dans une situation nationale déjà très chahutée.
Relancer ce débat institutionnel maintenant donne le sentiment à la population que nous ne prenons pas la mesure de ses attentes : répondre au coût de la vie, à l’insécurité, au manque d’eau, aux difficultés de transport.
Nous devons nous concentrer sur les raisons et les dossiers concrets pour lesquels nous avons été élus. Or, j’ai le sentiment qu’on cherche à faire diversion : plus les élus échouent, plus ils tentent de trouver des excuses extérieures à leurs responsabilités. C’est devenu une constante.
Ce Congrès des élus — que Serge Letchimy a présenté au départ comme le “Congrès de la rupture” — n’est-il pas une fuite en avant, quand on voit l’état de déliquescence financière et organisationnelle de la CTM ?
Absolument. C’est ce que j’appelle faire diversion. Ce Congrès, c’est un peu l’auberge espagnole : chacun y vient chercher ce qui justifie sa présence. Certains veulent se donner des airs de progressistes, d’autres ne veulent pas trahir leur engagement initial pour l’autonomie ou l’indépendance, et d’autres encore profitent de l’occasion pour semer le trouble dans les esprits.
La réalité, c’est que beaucoup de ces élus cherchent à remettre en cause le lien national. Ils veulent donner le sentiment que la France serait un obstacle au bien-être des Martiniquais. C’est dangereux, car cela nourrit l’idée que la République serait un carcan, alors qu’elle est notre garantie de solidarité.
Cette fuite en avant n’est pas aussi encouragée par Emmanuel Macron et Manuel Valls ? Le président de la République a encouragé, fin septembre, la relance du débat sur l’avenir institutionnel des Outre-mer, et Manuel Valls parle de “démétropolisation”.
Non, je ne mettrais pas la responsabilité sur eux. Il est normal, et même souhaitable, que les représentants de la Nation soient à l’écoute des élus locaux. Si les élus martiniquais expriment une volonté commune, il est légitime qu’ils soient entendus.
C’est donc à nous, ici, d’être vigilants. Nous savons à quel point ces débats peuvent être dangereux pour l’unité nationale. Il faut empêcher que cette dérive aille trop loin.
Donc, si Serge Letchimy décidait de consulter la population martiniquaise après son Congrès, feriez-vous campagne contre ses desseins de rupture ?
Oui, bien sûr. J’attendrai de connaître le contenu exact, mais si, comme je le crois, il s’agit de faire avaler à la population un projet fondé sur l’article 74 de la Constitution — déjà rejeté par le passé — je mènerais campagne.
Je veux que le choix des Martiniquais s’exprime en toute clarté. Si certains veulent suivre les indépendantistes sur ce terrain glissant, libre à eux. Mais moi, je m’y opposerai fermement, car je crois qu’une telle évolution serait dangereuse.
En revanche, s’il s’agit simplement d’adapter notre organisation administrative, de rapprocher la décision publique des citoyens, pourquoi pas ? Beaucoup de maires de l’Hexagone demandent la même chose. Mais il faut que cela se fasse dans le respect de la solidarité nationale, sans nous mettre « dedans et dehors à la fois » de la République.
Ce qui serait très dangereux, ce serait une différenciation floue qui nous rende assez éloignés pour perdre la solidarité nationale, mais pas assez pour être réellement autonomes. Ce flou, j’insiste, pourrait nous priver des avantages des deux systèmes, surtout dans un contexte budgétaire national incertain.
Dernière question : à qui viens-je de parler ce soir ? Au maire de Saint-Joseph candidat à sa réélection ? Au futur candidat aux législatives anticipées ? Ou au futur candidat à la présidence de la CTM ?
A la fois aux trois et à aucun ! Je parle en citoyen engagé. Quand on est engagé, on ne peut pas exclure de se présenter, si l’intérêt général l’exige.
Je ne suis candidat à rien pour l’instant, mais je n’exclus rien. Si je juge nécessaire de m’engager dans le débat démocratique, je le ferai, par devoir envers mes engagements passés et surtout envers les Martiniquais.
Propos recueillis par Michel Taube




















