Edito
07H09 - vendredi 3 octobre 2025

Cantal – Seine-Saint-Denis : deux France, deux poids, deux mesures. La chronique de Thierry Gibert

 

La Constitution française proclame dans son article 1er que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », garantissant « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion »¹ mais qu’en est-il de l’égalité face aux services publics ?

En comparant deux départements aux réalités opposées, le Cantal et la Seine-Saint-Denis, on découvre une République qui, dans les faits, traite ses territoires avec une inégalité criante. Entre campagnes délaissées et banlieues saturées de dispositifs, le constat est sans appel : la France applique deux poids, deux mesures. Deux dynamiques démographiques aux antipodes.

Le Cantal, avec ses 144 000 habitants² et une densité de seulement 25 habitants par km²², incarne la ruralité en déclin. Plus d’un tiers de sa population a dépassé 60 ans³ et les projections de l’INSEE prévoient une chute démographique de 10 % d’ici 2070⁴. L’exode des jeunes vers les métropoles et la fragilité économique accélèrent ce vieillissement, vidant le département de ses forces vives.

À l’opposé, la Seine-Saint-Denis, forte de 1,68 million d’habitants⁵ sur un territoire exigu, affiche une densité de plus de 7 000 habitants par km²⁵, l’une des plus élevées de France. Jeune, dynamique et portée par une natalité soutenue et des flux migratoires, sa population pourrait atteindre 1,74 million d’habitants d’ici 2040⁶.

Deux France, deux trajectoires : l’une s’étiole dans l’isolement, l’autre déborde d’énergie mais ploie sous la densité. Pourtant, toutes deux partagent des fragilités qui exigent une attention équitable de l’État.

 

Des services publics à géométrie variable

Les chiffres budgétaires trahissent des disparités profondes. Dans le Cantal, l’action sociale s’élève à 1 316 € par habitant⁷, contre 1 070 € en Seine-Saint-Denis⁸. Cette apparente générosité envers la ruralité masque une réalité : ces fonds répondent avant tout au vieillissement de la population, via des dispositifs comme l’APA, la PCH ou le RSA rural. En Seine-Saint-Denis, les budgets colossaux, près de 1,8 milliard d’euros⁸, se diluent dans une population dense et une large part des moyens (éducation prioritaire, cités éducatives, primes aux fonctionnaires) provient directement de l’État, échappant au contrôle départemental.

Le soutien aux associations suit une logique similaire. Le Cantal alloue 168 € par habitant⁷, contre seulement 38 € en Seine-Saint-Denis⁸. Mais dans le premier cas, ces fonds englobent le soutien aux EHPAD et aux structures médico-sociales, tandis qu’en Seine-Saint-Denis, les associations dépendent largement de financements nationaux ciblés, souvent mal adaptés aux besoins locaux.

Les primes des agents publics révèlent une autre iniquité : 62 € par habitant dans le Cantal⁷, contre 71 € en Seine-Saint-Denis⁸. Cet écart reflète l’existence de mécanismes incitatifs pour attirer les fonctionnaires dans les zones urbaines sensibles, tandis que la ruralité, confrontée à l’isolement et à des contraintes spécifiques, reste privée d’une « prime rurale » équivalente.

 

Les fractures d’une République inégale

Ces disparités alimentent deux colères distinctes mais convergentes. Dans le Cantal, le sentiment d’abandon domine : fermetures de classes, déserts médicaux, suppression des trésoreries et recul des services de proximité gangrènent le territoire. Les jeunes partent, les aînés restent et l’abstention électorale comme les révoltes sociales, des Gilets jaunes aux mobilisations paysannes, prospèrent sur ce désespoir.

En Seine-Saint-Denis, l’abondance de moyens ne suffit pas à apaiser les tensions. Malgré des milliards injectés, les difficultés sociales persistent, les violences urbaines s’enracinent et les habitants ressentent un décalage entre les annonces de l’État et leur quotidien. La défiance envers les institutions y est aussi vive qu’en milieu rural.

Deux territoires, un même malaise : celui d’une République qui proclame l’égalité mais pratique la discrimination territoriale. Le Cantal est ignoré dans ses fragilités, la Seine-Saint-Denis saturée sans apaisement.

 

Vers une véritable égalité territoriale

La République ne peut plus se contenter de regarder ses campagnes et ses banlieues avec des lunettes différentes. Les coûts de la ruralité — isolement, dispersion, vieillissement — méritent autant d’attention que les défis de l’hyper-urbain. Il est urgent de rééquilibrer l’action publique par des mesures concrètes : une prime rurale pour les agents publics, un soutien renforcé aux associations locales, des investissements massifs dans les infrastructures et les services de proximité, qu’ils soient ruraux ou urbains.

Au-delà des ajustements techniques, c’est une exigence constitutionnelle. L’article 1er de la Constitution impose l’égalité devant la loi et les services publics¹. Où est le Conseil constitutionnel, si prompt à censurer des mesures fiscales, quand il s’agit de garantir l’égalité territoriale ? La République doit être Une et indivisible, du Cantal à la Seine-Saint-Denis, des montagnes aux métropoles. Il est temps de passer des mots aux actes, pour que l’égalité ne soit plus un slogan mais une réalité.

 

Thierry Gibert

Âgé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.

 

Références

  1. Article 1 de la Constitution— Conseil constitutionnel (version en vigueur) :
    https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur
    (Alternative Légifrance – article 1  direct) : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019240997
  2. INSEE – Cantal (15) : population & densité (2022):
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=DEP-15
  3. INSEE – Cantal : part des 60 ans ou plus (série):
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/001740717
  4. INSEE – Cantal 2070 (Omphale 2022) : 129 600 hab. (~-10 %):
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/6794036
  5. INSEE – Seine-Saint-Denis (93) : population & densité (2022):
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=DEP-93
  6. INSEE – Seine-Saint-Denis à l’horizon 2040 (Omphale 2022):
    https://www.insee.fr/fr/statistiques/7638660
  7. Conseil départemental du Cantal – Budget principal 2025 (PDF):
    https://www.cantal.fr/wp-content/uploads/2025/01/Budget-Principal-CD15-BP-2025.pdf
  8. Cour des comptes – Seine-Saint-Denis, IDR 2023 (PDF):
    https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-12/IDR2023-24.pdf