
La guerre dans l’univers du textile français connaît un nouvel épisode spectaculaire. L’annonce du partenariat stratégique entre Pimkie et Shein, officialisée en septembre, a déclenché une tempête dans le secteur. Officiellement, les grands acteurs, de la famille Mulliez à la Fédération française du prêt-à-porter féminin, se disent « stupéfaits ». Mais cette indignation, largement relayée, n’est en réalité qu’un écran de fumée : tous savaient depuis longtemps que ce rapprochement était en préparation.
Une stratégie ancienne ?
Selon des documents que nous avons pu consulter, l’Alliance du Commerce, en lien avec des enseignes majeures comme Kiabi, aurait eu connaissance des discussions entre Pimkie et Shein bien avant l’annonce. Loin d’être pris au dépourvu, ces acteurs auraient cherché à retarder l’officialisation du partenariat auprès de Salih Halassi, le patron de Pimkie, pour « éviter que Shein ne joue le rôle de sauveur des marques françaises » tant que « la loi fast fashion n’est pas passée ».
Ce texte, qui cible directement Shein tout en ménageant les enseignes européennes, devait offrir un bouclier législatif à la filière. Mais l’annonce de septembre a pris de court cette stratégie de communication, exposant au grand jour certaines contradictions du secteur.
Pressions et représailles contre Pimkie
Salih Halassi aurait ainsi subi de fortes pressions pour retarder, voire abandonner, ce partenariat. Des menaces ont été proférées à son encontre, et certaines se sont concrétisées : Pimkie a été exclue de la Fédération française du textile, une sanction exceptionnelle, lourde de symboles. L’exclusion vise à isoler l’enseigne et à décourager d’autres marques d’imiter sa stratégie.
Malgré tout, Halassi maintient le cap. Convaincu que Shein peut donner à Pimkie une nouvelle dynamique, il défend un projet créateur de valeur : « Le partenariat ne remet aucunement en cause la sauvegarde de l’emploi et permettra même la création de nouveaux postes », a-t-il assuré.
La famille Mulliez en première ligne ?
L’AFM (Association familiale Mulliez (AFM)), ex-propriétaire de Pimkie, est parmi les plus virulents opposants. En 2023, elle avait cédé l’enseigne à un consortium mené par Halassi, tout en soutenant l’opération via une fiducie de 140 millions d’euros, destinée à financer un plan social (500 postes supprimés sur 1 500) et des investissements précis.
Aujourd’hui, elle dénonce « une application déloyale des accords » et menace d’engager une action judiciaire. Une posture que Halassi balaie comme infondée : « La famille Mulliez ne dispose d’aucun fondement juridique », a-t-il répondu aux Échos.
Un malaise plus profond dans un secteur en crise
Au-delà des querelles juridiques, la réaction du secteur met en lumière une vérité inconfortable : ce qui est reproché à Pimkie, ce n’est pas tant son alliance avec Shein que d’avoir brisé un consensus tacite visant à contenir le géant chinois jusqu’à l’adoption d’un arsenal législatif défensif. Le problème n’est donc pas seulement Shein, mais l’image qu’il pourrait donner : celle d’un acteur étranger venant sauver une marque française là où les groupes locaux n’ont pas su , pu— ou voulu — le faire.
Pimkie sort renforcée du deal avec Shein
Pour l’instant, Pimkie revendique une progression de 20 % de son chiffre d’affaires au premier trimestre 2025 et vise un retour aux bénéfices dès cette année, soit un an plus tôt que prévu. Mais la route reste semée d’embûches : exclusion des fédérations, menaces de procès, et isolement du reste de la filière.
Ce bras de fer dépasse largement le cas Pimkie. Il illustre la peur des grands groupes français, déjà fragilisés, qui essayent de contenir la concurrence forte d’un modèle très concurrentiel. Cela rappelle notamment les manifestations des taxis face à l’arrivée d’Uber… Mais est-ce vraiment la bonne méthode pour relancer le textile français ? En déclenchant une bataille de pouvoir, l’industrie textile française pourrait en sortir durablement marquée.
Claudie Holzach

















