
Longtemps les commentateurs politiques ont attribué le caractère antisémite, caché sous le masque de plus en plus transparent de l’antisionisme, à un pur électoralisme communautaire dans la perspective d’échéances municipales comme nationales. Des sondages montraient, en effet, que près de deux tiers des électeurs musulmans auraient voté pour la gauche radicale, avec une concentration forte sur quelques villes qui, lors des prochaines échéances municipales, pourraient basculer et appliquer des programmes de rupture (désarmement de la police , décision autoritaire d’allocation de logements …).
Dans ce contexte, la gauche radicale se doit d’envoyer des signes forts à ses cibles électorales. L‘utilisation de la situation désastreuse à Gaza devient donc un levier central dans cette stratégie, surtout si elle s’appuie sur une rhétorique prenant appui sur le mot de génocide avant toute décision judiciaire internationale. Néanmoins s’arrêter au seul électoralisme ne suffit pas.
Le discours « anti domination » comme catalyseur au-delà des contraires
La chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS, l’échec global des démocraties populaires, a conduit la gauche à abandonner comme référentiel la dialectique exploiteurs-exploités pour la remplacer par la logique dominants-dominés, se fondant sur les luttes de minorités comme substitut da sa perte d’influence dans son électorat traditionnel (ouvriers , employés) avec une limite importante : cette coalition comprend en son sein des contradictions.
Qu’y a-t-il de commun entre des islamistes, des marxistes athées, des féministes, des LGBT … ? Quelle unité programmatique nécessaire et possible entre ces contraires ? Aucune car ils n’en ont pas besoin ! Ils leur suffit de désigner un l’adversaire, l’ ennemi-objectif (les médias, la police, l’Amérique, l’Europe démocratique, le capitalisme, le Juif/Israël, l’appareil d’état … ), opérant comme un catalyseur d’énergie et structurant le discours anti domination.
L’antisémitisme comme pédagogie des luttes anti domination
Le discours anti–domination pour faire l’objet d’une adhésion rapide nécessite une pédagogie simplificatrice, facilité par l’usage des réseaux sociaux. La figure du Juif dominateur est de nouveau convoquée comme elle l’a été par des socialistes du 19 -ème siècle (Toussenel, Guesde, Marx…) pour initier les masses à la lutte des classes et leur faire comprendre le mécanisme d’exploitation.
Cette réactivation de l’antisémitisme socialisant se double d’une autre considération plus problématique pour l’argumentaire de la gauche radicale. Les juifs sont sortis du statut d’assignés à la persécution, et ce après la Shoah, soit en créant un Etat soit en s’insérant sociétalement au sein des démocraties libérales. Cette double émancipation contredit donc le discours anti–domination de l’assignation quasi perpétuelle des dominés à leurs origines sociales ou ethniques .
La vague antijuive sur laquelle surfe avec avidité la gauche radicale résulte aussi du ressentiment exacerbé de minorités voulant faire payer aux juifs le prix de leur assimilation notamment au sein de la société française. L’après 7octobre ne fait qu’amplifier un mouvement de fonds.
L’impératif de l’antisémitisme de la gauche radicale : un levier parmi d’autres !
Le discours anti–domination, la pédagogie antisémite, l’activation du ressentiment intercommunautaire sont des leviers indispensables activés par la gauche radicale et structurant son action sans laquelle elle ne peut espérer attirer et fidéliser des clientèles électorales sur le moyen terme . En ce sens l’antisémitisme est devenu pour elle un impératif, mais convaincre complètement et définitivement ses cibles électorales passera nécessairement par son combat contre la laïcité républicaine pour parachever l’adhésion communautaire.
Malgré l’adhésion et la mobilisation recherchées de cibles communautaires, la gauche radicale est d’autant plus combative qu’elle n’offre aucune perspective de prendre le pouvoir démocratiquement au plan national. Il ne lui reste que la dynamique politique du chaos, ce qui explique l’absolue nécessité pour elle d’affaiblir l’appareil d’Etat, comme le prouve la récente diatribe contre les préfets.
L’extrême droite : le nouvel ami des Français juifs ?
Le rejet de tout ce qui relève de l’islam politique, au nom de la préservation d’une identité civilisationnelle, constitue le moteur central de l’extrême droite qui veut par-dessus tout se dégager de l’image de la collaboration et des effluves antisémites du Front National. Ces deux raisons la conduisent à vouloir apparaitre comme le seul rempart des Français juifs.
Par ailleurs, le fait que les Juifs aient su maintenir une identité par-delà les persécutions millénaires constitue pour elle un exemple de résistance, de volonté du « dur désir de durer », envers et contre tout auquel s’ajoute l’affirmation d’un retour au nationalisme barrésien par des personnalités juives (Zemmour, Knafo…).
Pour autant, le logiciel idéologique de l’extrême droite intègre-t-il le facteur juif dans l’équation nationale ou est-ce une simple tentative d’alliance de circonstance ?
Cette question en appelle en amont une autre : l’extrême droite est-elle devenue républicaine, si oui, quel type de République ? Avec quel projet sociétal ? Quelle place pour l’intégration des populations immigrées ?
Aucune réponse n’est disponible à ce jour sur une base rationnelle et connue.
Les universalistes : comment sortir de l’étau des identitarismes ?
L’universalisme est l’antidote naturel au racisme et à l’antisémitisme, les partisans de la gauche démocratique, de la droite républicaine, comme du centre en sont plus particulièrement immunisés comme le montrent les sondages récents de Fondapol.
Par ailleurs, le contrat social républicain implique qu’aucun citoyen n’a à être assigné à ses origines religieuses ou sociales. Pourtant, le constat est sans appel ; il faut six générations en France pour sortir de la pauvreté, ce qui confine une large partie de la population à des enfermements identitaires.
Sortir de l’étau imposé par les identitarismes nécessite donc un accord transpartisan en vue de 2027 sur un programme d’actions publiques entre partis se réclamant de la République se centrant, au-delà d’ une vraie politique de la ville, sur l’investissement dans l’éducation, la formation professionnelle, l’instruction publique à destination des classes défavorisées.
Cet effort de longue durée, pour être efficace, doit nécessairement intégrer l’apprentissage à l’utilisation des réseaux sociaux et de l’IA comme à leurs manipulations possibles.
Il doit aussi être jacobin dans ses principes, avec pour finalité une réelle égalité des conditions et girondin dans ses modalités d’application par un ajustement continu dans la pédagogie en fonction des auditoires.
S‘émanciper des passions tristes, sortir des citoyens de l’aliénation identitaire par une action publique résolue, c’est combattre concrètement l’antisémitisme et le racisme au-delà des discours de circonstances sans lendemain.
Jean-Pierre Magot
Ex partenaire de cabinet de conseil et enseignant Grandes Écoles et universités, auteur de « Serge, roman d’un consultant » (éd. Les 3 colonnes)

















