Au début du XXème siècle, les enjeux étaient clairs. La République a forgé l’identité de la laïcité dans le combat anticlérical, voire dans un antichristianisme qui n’a jamais tout à fait disparu … à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Aujourd’hui la laïcité est prise à contre-pied, dirait-on dans le langage sportif. La loi de 1905 conçue pour « affaiblir » l’Eglise, le mot est faible, est devenue le bouclier de leurs revendications.
Occasion de rappeler l’originalité de la laïcité à la française par-delà les vicissitudes contemporaines. La séparation des églises et de l’Etat est indissociable du terreau civilisationnel dans lequel elle s’inscrit, à savoir la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, véhiculée par le christianisme, indépendamment du fait que l’Eglise ne fit pas diligence pour se l’appliquer à elle-même. En outre, la laïcité surgit dans l’histoire millénaire de la France comme la seule solution capable de mettre fin aux guerres de religion qui secouèrent le pays tout au long du XVIème siècle, ainsi que le rappelle la philosophe Blandine Kriegel dans la dernière livraison de la Revue Politique et Parlementaire consacrée à la Laïcité[1].
Cette paix trouva son inscription dans l’Edit de tolérance de 1598 que l’on doit à Henri IV. Cet édit eut pour effet majeur de consacrer un droit de l’homme fondateur, à savoir la liberté de conscience dont Blandine Kriegel rappelle qu’elle est au fondement de la liberté religieuse mais aussi des libertés politiques, d’opinion et d’expression.
Si l’on en revient à la situation présente, la laïcité garantit naturellement à toute religion une liberté de culte sans laquelle cette liberté de conscience ne serait qu’un leurre. Mais Blandine Kriegel souligne également que cette liberté n’est pas un droit purement privé dont chacun déciderait indépendamment des autres de son étendue. Aussi sacré soit-elle, elle ne peut être comprise sans tenir compte du fait que son expression ne doit pas nuire à autrui, ne pas remettre en cause la jouissance de ces mêmes droits pour les autres membres de la société et ne pas être contraire aux autres lois de la République. Tel est le message légué par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Blandine Kriegel va plus loin en mentionnant que si la liberté n’est pas un droit purement individuel, c’est parce qu’elle est l’expression d’un droit naturel supérieur à la volonté de chaque être humain. D’où il découle que chaque être humain n’est pas libre de ne pas être libre, principe que la République a justement consacré. Il revient en effet à la loi d’encadrer les manifestations de la liberté religieuse, d’en garantir la bonne « articulation » selon l’expression choisie par la philosophe.
Voilà de quoi réconcilier la laïcité avec la civilisation qui l’a portée, en vue de favoriser « l’accommodement raisonnable de la pluralité des confessions », expression que Blandine Kriegel emploie en référence à Montaigne !
Cette approche revient à dire que la laïcité ne prospèrera pas sur la base d’une indifférenciation culturelle au nom de laquelle les croyances seraient interchangeables mais sur le socle d’un enracinement civilisationnel déterminant précisément le périmètre des droits et des devoirs de chacune des parties. Là est le vrai combat à mener à l’encontre des fausses querelles.
Daniel Keller
Ancien membre du CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental)
[1] N°1114, avril-juin 2025


















