Edito
18H14 - dimanche 21 septembre 2025

Trophées des Entreprises du Cantal : ces pépites qui font vibrer le territoire.

 

Trophées des Entreprises du Cantal : ces pépites qui font vibrer le territoire. La chronique Cantal de Laurence Taillade

Le Cantal, cette terre aux replis austères, où les volcans s’élèvent comme des remparts contre l’effacement, porte en lui une vitalité farouche, loin des regards distraits des métropoles. Isolés par des routes sinueuses et un train capricieux, ses 140 000 habitants refusent la gangrène de la désertification.¹ Ici, l’économie n’est pas un spectacle parisien ; c’est un combat quotidien, où, même si l’agroalimentaire pèse 40 % des emplois, des pépites nichées dans l’ombre forgent un rayonnement inattendu. La huitième édition des Trophées des Entreprises du Cantal, ce 24 septembre au Centre des Congrès d’Aurillac, organisée parLa Montagneet la Chambre de Commerce et d’Industrie du Cantal avec le soutien de la Communauté d’agglomération du Bassin d’Aurillac, du Crédit Agricole Centre France, d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises et de Cerfrance, n’est pas un rituel vain. Elle honore ces acteurs qui, par leur ingéniosité, font du département un terreau d’excellence – et un enjeu de souveraineté nationale.

Ainsi, la promotion 2024 avait salué Uniplanèze – un emblème gourmand – lauréate ex aequo dans la catégorie « Elles s’engagent ». Basée à Saint-Flour, cette PME familiale, reprise en 2021 par trois de ses employés passionnés, transforme des spécialités locales comme les tripoux, l’aligot et des recettes de terrines en ambassadeurs du terroir : 9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, 58 salariés, et un investissement de 5 millions en 2024 pour une usine frugale qui réduit de 30 % sa consommation énergétique.² Exportés en Europe, ces plats cuisinés ne vendent pas que des saveurs ; ils portent l’identité cantalienne, contrecarrant l’uniformité des chaînes globales et rappelant que le local, quand il innove, rayonne.

Qualipac Aurillac, co-lauréate dans la même catégorie, élève le département au rang des fournisseurs d’exception. Depuis 1852, cette filiale du Groupe Pochet excelle en plasturgie haut de gamme : capsules et boîtiers pour Chanel, Dior ou Guerlain, exportés dans 50 pays pour un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros annuels et 200 emplois locaux.³ Avec 80 % de ses déchets recyclés et des techniques comme la galvanoplastie qui confèrent au plastique l’éclat du métal précieux, Qualipac n’est pas un simple atelier ; c’est un joyau industriel qui défie l’enclavement par une production confidentielle, rapide et ancrée dans un savoir-faire ouvrier intact.

Ces savoir-faire historiques s’incarnent chez Interlab et Biose Industrie, gardiens d’une microbiologie cantalienne née au XIXe siècle avec Émile Duclaux, pionnier des fermentations. Interlab, primée dans la catégorie « Elles rayonnent » en 2024, est basée à Mourjou – hameau de 200 âmes près de Mauriac. Cette société familiale conçoit depuis 1994 des outils comme le BagMixer et la ScanStation (scanner breveté 20 fois), employant 100 salariés et réinvestissant tous ses profits pour une croissance à deux chiffres sur 20 ans.⁵ Biose Industrie, quant à elle, est implantée à Aurillac depuis 1951. Leader mondial des biothérapies microbiotiques, elle développe et produit des actifs à base de microbiote : 40 millions d’euros investis sur site pour des fermenteurs de pointe, et un rôle clé dans le Pôle d’Excellence Microbiologie du Cantal, qui regroupe 11 acteurs pour 500 emplois directs.⁶ Ces entreprises ne préservent pas un passé ; elles se projettent vers l’avenir, faisant du département un hub pharmaceutique essentiel, loin des clusters cosmopolites.

Et dans ce paysage, l’intelligence artificielle apporte un levier décisif : QHSE Concept, nominée « Elles innovent » en 2024 à Saint-Flour, a lancé QHSE.ai en septembre 2025. Créée par des experts ayant vécu le stress des audits et certifications, cette solution de veille réglementaire assitée par IA centralise et interprète les textes légaux officiels (Légifrance, Eur-Lex), analysant plus de 100 000 documents par jour avec une fiabilité de 99,5 %.⁷ Son assistant IA, disponible 24/7, répond en langage naturel à des requêtes précises. Soutenue par le réseau de consultants QHSE Concept, fondée en 2008 par Marie-Amandine Siquier, QHSE.ai libère les chefs d’entreprise de la contrainte réglementaire, toujours plus complexe.

De son côté, SiteW, nominée 2025 dans la catégorie “Numérique”, incarne une ambition complémentaire : sa plateforme no-code, enrichie par l’IA Waia lancée fin 2024, permet à artisans et PME de créer des sites web optimisés sans expertise technique avec génération automatique de contenus et SEO. Ainsi, SiteW a boosté de 30 % le trafic de ses utilisateurs, reliant un fromager cantalien à des clients à Tokyo via une vitrine numérique.⁸ Ce duo technologique ancre le numérique cantalien comme remède à l’isolement.

Plus stratégique encore, Imerys, sur son site de Foufouilloux près de Murat, en lice également cette année, incarne la souveraineté des ressources. Leader mondial de la diatomite – cette roche filtrante issue d’algues fossiles, d’une pureté supérieure à 90 % dans le Cantal –, l’entreprise a acquis en janvier 2025 les actifs européens de Chemviron, s’assurant le monopole français : 100 % de la production nationale, 20 000 tonnes extraites annuellement pour filtrer bières, vins, eaux ou médicaments.⁴ Employant 70 personnes localement, Imerys réhabilite 50 hectares de biodiversité depuis 2022, transformant ses carrières en atout national : sans elle, la France et son industrie perdraient un pilier face aux importations, rendant notre souveraineté vulnérable aux chaînes d’approvisionnement lointaines, instables et peu regardantes sur les conditions d’extraction tant humaines que environnementales.

 

Glob productions

 

Des enjeux stratégiques

Pourtant, cette vitalité se heurte à un frein insidieux : la sanctuarisation des terres agricoles, érigée en dogme par les plans locaux d’urbanisme (PLU) et la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Dans le Cantal, où l’âge moyen des agriculteurs atteint 53 ans, 15 % des terres agricoles restent en déprise faute de repreneurs. Ces réglementations bloquent l’expansion industrielle.⁹ La Région a investi 3 millions d’euros sur trois ans dans le plan bâtiment-élevage, modernisant les étables, mais ce soutien, bien que vital, ne compense pas les refus d’autorisations pour des projets industriels. Comme le souligne un récent article deLa Montagne, les 540 000 euros supplémentaires alloués en 2024 répondent à une demande croissante, mais ne résolvent pas la tension : 20 % des demandes d’implantation industrielle sont rejetées par des PLU restrictifs, souvent sous la pression d’une idéologie écologiste ou des calculs électoraux locaux.¹⁰ ThierryGibert, dansOpinion Internationale, fustigeait cette logique clientéliste, où l’on sacrifie l’industrialisation à une vision figée de l’agriculture, alors que les aides PAC (300 millions d’euros pour la région) ne suffisent pas à retenir les jeunes. Le rapport SAFER 2023 confirme : la disparition de terres à fort potentiel, combinée à des zonages rigides, entrave des acteurs comme Imerys ou Biose, dont les extensions nécessitent des terrains classés agricoles.¹² Sans un arbitrage pragmatique, cette obsession du sol freine l’innovation, condamnant le Cantal à rater des opportunités de développement.

Ces nominés – et les lauréats à venir – ne sont pas des anecdotes. Ils sont les symboles vivants de la vitalité de Cantaliens qui refusent de s’exiler pour rejoindre les grandes métropoles, car, pour eux, comme pour Georges Pompidou, cantalien de naissance et de souche, « la France rurale est le cœur battant de notre pays ; elle l’a fait et elle le fera encore. ». Les Trophées, avec leurs catégories – innovation, lancement, réussite, rayonnement, engagement –, rappellent que l’excellence naît de l’enracinement, non des sommets. Ce 24 septembre, à Aurillac, six d’entre eux seront couronnés : un appel à soutenir ces gardiens du territoire. Car le Cantal est bien en vie ; sous le volcan, la lave bouillonne, prête à irriguer une France qui, dans ses marges, forge un tissu économique où l’audace et le labeur ont toujours été les maîtres mots.

 

Laurence Taillade

éditorialiste, chroniqueuse Cantal

 

Notes :

  1. Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « Dossier complet − Département du Cantal (15) »,insee.fr, projections 2024-2025.
  2. Chambre de Commerce et d’Industrie du Cantal (CCI Cantal), « Palmarès Trophées 2024 »,cantal.cci.fr, 27 septembre 2024 ; Uniplanèze, « Investissements et actualités »,tripoux.com, consulté le 20 septembre 2025.
  3. Groupe Pochet, « Qualipac Aurillac : expertise packaging »,groupe-pochet.fr, 2025 ; CCI Cantal, op. cit.
  4. Imerys, « Acquisition Chemviron et site Foufouilloux »,imerys.com/france, communiqué 6 janvier 2025 ;La Montagne, « Diatomite : Imerys consolide son monopole français », 13 janvier 2025.
  5. Interlab, « Produits et croissance », interlab.bio, consulté le 20 septembre 2025 ; CCI Cantal, op. cit.
  6. Biose Industrie, « Investissements et expertise microbiotique »,biose.com, 2025 ; CCI Cantal, « Pôle d’Excellence Microbiologie »,cantal.cci.fr, 6 septembre 2024 ;L’Usine Nouvelle, « Biose Industrie cultive le microbiote à Aurillac », 18 décembre 2023.
  7. QHSE.ai, « Fonctionnalités et fiabilité »,qhse.ai, consulté le 20 septembre 2025 ; QHSE Concept, « Présentation »,qhse-concept.fr, 2025 ;La Montagne, « QHSE Concept lanceQHSE.ai« , 24 septembre 2024.
  8. SiteW, « Waia et nominés 2025 »,sitew.com, 3 septembre 2025 ; CCI Cantal, op. cit.
  9. La Montagne, « Cantal : 540 000 euros supplémentaires pour le plan bâtiment-élevage », 15 février 2025.
  10. SAFER Auvergne-Rhône-Alpes, « Rapport 2023 : urbanisme et terres agricoles »,safer.fr, 2023.
  11. ThierryGibert, « Contre la FNSEA : pour une ruralité vivante »,Opinion Internationale, 31 janvier 2024.
  12. Commission européenne, « PAC 2023-2027 : impacts Auvergne-Rhône-Alpes », rapport 2024.