Un simple post Facebook, une photo bienveillante, un petit mot de remerciement… et voilà qu’ils vous rattrapent, trois mois plus tard, dans un recours électoral. C’est l’effet du 1er septembre.
Le 1er septembre, ce n’est pas un simple détail de calendrier. C’est le moment où tout bascule. Dès ce jour-là, chaque mot, chaque photo, chaque post peut compter. Ce qui ressemblait à de l’info municipale la veille peut devenir de la propagande électorale le lendemain. Et ça, c’est une ligne rouge à ne pas franchir.
Et pour comprendre à quel point la règle est stricte, il faut se souvenir de 2020. Ce scrutin a marqué un vrai tournant : pour la première fois, les municipales se sont jouées massivement sur les réseaux sociaux. Facebook, Twitter, Instagram… jamais les juges n’avaient eu à scruter d’aussi près la frontière entre communication institutionnelle et promotion personnelle. Des mairies publiaient des posts flatteurs sur l’action municipale, des sortants relayaient ces contenus sur leurs pages de campagne… et tout cela a été examiné à la loupe dans les contentieux. Les réseaux sociaux, qui semblaient être un simple outil de proximité, sont devenus en quelques semaines un terrain judiciaire.
On se souvient de Boissy-le-Repos, dans l’Aube. Une simple photo de la liste victorieuse prise devant la mairie, avec deux drapeaux tricolores en arrière-plan, a suffi à faire annuler l’élection. Le Conseil d’État a estimé que cette image brouillait la frontière entre communication institutionnelle et message électoral. L’écart entre les deux listes ? Neuf voix. Un symbole, une photo : suffisant pour annuler.
Même scénario à Oppède, dans le Vaucluse. Ici, c’est un logo reprenant la Marianne de l’État et un bout du drapeau tricolore qui a déclenché l’annulation. Le Conseil d’État a jugé que ce visuel créait une confusion institutionnelle dans l’esprit des électeurs, surtout avec un écart de voix minuscule : quatre voix.
D’autres affaires, moins spectaculaires mais tout aussi parlantes, ont rythmé 2020. À Maleville, dans l’Aveyron, un tract jugé diffamatoire contre le maire sortant a circulé en toute fin de campagne. Le tribunal administratif a annulé l’élection en première instance, considérant que cette diffusion tardive privait l’adversaire du temps nécessaire pour se défendre. Le Conseil d’État a finalement validé le scrutin, estimant que l’écart de voix restait trop important pour que le tract ait modifié le résultat. Mais ce cas a rappelé à tous combien le juge reste attentif aux coups de dernière minute.
À Bondoufle, en Essonne, le couperet est tombé beaucoup plus sévèrement. Le maire sortant avait utilisé les supports de communication municipaux pour vanter son bilan et glisser des éléments de programme. Ce qui, au départ, pouvait sembler être de l’information locale a été requalifié en véritable propagande électorale. Avec un écart de voix serré, le Conseil d’État a confirmé l’annulation du scrutin. L’article L.52-1 ne laisse pas d’ambiguïté : une mairie n’est pas un outil de campagne.
Ces règles ne concernent pas seulement les maires. Elles s’appliquent aussi aux intercommunalités et à tous leurs canaux de communication. L’association des Maires de France a d’ailleurs rappelé qu’il était « fortement déconseillé » de publier un bilan dans un bulletin municipal pendant la période préélectorale. L’éditorial du maire ou du président d’agglo peut continuer d’exister, mais il doit rester neutre, parler uniquement de la vie locale et éviter toute mise en valeur personnelle. Même chose pour les sites internet institutionnels et les comptes officiels sur les réseaux sociaux : ils doivent rester purement informatifs. Une photo du maire, oui, mais pas une photo qui met en avant son action.
Les inaugurations et cérémonies locales peuvent aussi se poursuivre, à condition de rester dans leur rythme habituel. Pas question de les multiplier ou de les amplifier à l’approche du scrutin : le juge verrait aussitôt une manœuvre pour influencer les électeurs. Et les conséquences peuvent être lourdes : annulation du scrutin, inéligibilité, voire sanctions financières et judiciaires. L’article L.52-1 ne laisse aucune ambiguïté.
Et puis il y a eu Alixan, dans la Drôme. Là, ce sont le site internet et la page Facebook de la commune qui avaient mis en avant l’action du maire sortant, avec en prime des commentaires laudatifs laissés en ligne sans modération. Le tribunal administratif y a vu une manœuvre électorale et a annulé l’élection en première instance, avant que le Conseil d’État ne la valide finalement. Mais ce dossier a marqué les esprits : la frontière entre communication institutionnelle et communication de campagne se joue aussi sur Facebook et Twitter.
Mais la vigilance ne concerne pas seulement les élus sortants. Les candidats qui ne sont pas en poste doivent eux aussi mesurer chaque mot, chaque image, chaque post. Depuis 2020, le juge rappelle une évidence : peu importe la date de publication ou le support utilisé, ce qui compte, c’est l’intention politique et l’effet produit. Une vidéo tournée en mai, un visuel posté en août, un message programmé avant la rentrée… si le contenu sert à séduire les électeurs, il pourra être examiné comme de la communication électorale. Depuis quelques semaines déjà, certains candidats se disent qu’ils vont prendre de l’avance. Booster des publications Facebook en juin, en juillet ou en août, histoire d’être bien visibles avant le 1er septembre… Mauvais calcul, le juge ne regarde pas la date, il regarde l’effet sur les électeurs.
Un contenu pensé pour séduire les électeurs pourra être examiné comme de la communication électorale, même s’il a été mis en ligne avant la période préélectorale. Là encore, la frontière est fine mais claire : informer, oui ; promouvoir, non. Les réseaux sociaux ne sont pas une zone grise, ils sont devenus un terrain électoral scruté avec la même attention que les tracts ou les bulletins municipaux.
Ces affaires montrent que le juge n’attend pas toujours des manœuvres spectaculaires pour intervenir. Une photo, un logo, un bulletin municipal trop enjolivé, un post Facebook de travers ou un tract distribué trop tard peuvent suffire, surtout quand l’écart de voix est faible. En matière électorale, la sincérité du scrutin est un principe sacré. Et la sincérité, ce n’est pas seulement l’absence de fraude massive, c’est aussi la vigilance constante face aux petits glissements qui, mis bout à bout, peuvent fausser le jeu démocratique.
Alors oui, informez. Oui, expliquez. Mais faites-le sobrement. À partir du 1er septembre, chaque mot compte, chaque image peut peser. La meilleure stratégie n’est pas de briller, mais d’être irréprochable.
Salwa Lakrafi
Collaboratrice parlementaire en communication au Sénat
Créatrice du podcast L’Essentiel Numérique – série spéciale Municipales 2026
Un format court et pédagogique qui décrypte les enjeux numériques, démocratiques et stratégiques de la campagne municipale, classé dès sa sortie dans le top 10 France Apple Podcasts et Amazon Music (catégorie Gouvernement).
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