Edito
10H57 - samedi 13 mai 2023

Un Franco-Turc pro-Erdogan peut-il être fier d’être Français ? L’édito de Michel Taube

 

Il est parfois sain de se poser des questions naïves…

On ne comprendra pas l’avenir qui guette l’Europe sans comprendre pourquoi les communautés turques vivant en Allemagne, en France et partout en Europe préfèrent voter pour un dictateur islamiste, nouveau Sultan ottoman, et non pour des candidats modernistes et libéraux.

La Turquie vote ce dimanche 14 mai : les élections présidentielle et législatives sont scrutées dans le monde entier.

Kemal Kiliçdaroglu, leader du parti républicain du peuple (CHP), chef d’une coalition d’opposition, héritier en partie de la Turquie laïque de Mustafa Kemal Atatürk, est donné comme possible vainqueur de la présidentielle.

Or si le vote des Turcs vivant en Europe occidentale devait faire la différence, ce moderniste serait écrasé et battu à plate couture par Recep Tayyip Erdogan.

Les 330.000 électeurs turcs de France – deuxième plus grande diaspora du pays, ont déjà voté. Ils avaient jusqu’à lundi dernier pour exercer leur droit, leur devoir de citoyens. De même pour près de 1,5 million d’électeurs turcs vivant en Allemagne, pays considéré comme la troisième capitale de la Turquie dans le monde.

En 2018, les 70.000 Turcs de Lyon et de la Région Auvergne Rhône-Alpes avaient voté à 86,7 % pour Erdogan, un record à l’étranger. Les électeurs turcs vivant en Alsace avaient voté à 70% en faveur de l’homme fort qui se rêve en nouveau Sultan.

La semaine dernière, à Strasbourg, à Marseille mais aussi à Anvers en Belgique, il y a eu des échauffourées entre les partisans d’Erdogan et des pro-kurdes par exemple.

C’est que l’enjeu est de taille.

Est-ce l’usure de vingt ans de pouvoir ? Face à des oppositions soudées, à l’hyper-inflation, à une communauté kurde opprimée, à des libertés bâillonnées et des élites modernistes étouffées, le dictateur turc semble fragilisé.

Ces derniers jours, la prudence est de retour et des sondages trop optimistes pourraient se tromper lourdement : la démonstration de force d’ Erdogan, lors d’une manifestation géante de près de 2 millions de personnes à Istanbul le 7 mai dernier [notre photo], une politique familiale attractive, notamment dans les campagnes, très appréciée des classes pauvres et moyennes, le travail d’endoctrinement religieux, menée depuis deux décennies par les islamistes (la conversion de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, pardon d’Istanbul mosquée en est le symbole), quelques grands travaux sultanesques (comme le « palais blanc », nouveau complexe présidentiel inauguré en 2014 à Ankara) et une diplomatie volontariste, qui a redonné de la fierté à l’orgueil des Turcs, tous ces symptômes incitent à la plus grande prudence.

Revenons en France. Pourquoi donc les Turcs de France votent-ils massivement Erdogan ? 

Un Turc français ou vivant en France qui préfère Erdogan est généralement animé par un mélange de conservatisme nationaliste et de foi religieuse disons ferme voire dogmatique.

Une telle personne peut-elle se sentir bien et fière d’être en France voire Française ? Peut-elle en même temps épouser les valeurs d’un pays laïc, attaché à l’égalité avec les femmes et au respect des minorités, entre autres valeurs qui fondent une société occidentale libérale ?

Un nationaliste turc peut-il être un patriote français ?

La remarque tient pour la plupart des étrangers ou binationaux vivant en Europe et qui, souvent, sont plus islamistes et nationalistes que leurs coreligionnaires de leurs pays d’origine.

 Les Turcs de France ont voté en masse la semaine dernière à la présidentielle turque : d’après nos informations, la participation dans les consulats turcs en France a été très forte et dépasserait les 50% d’électeurs inscrits. 

Question finale et subsidiaire : parmi eux, les Turcs français binationaux votent-ils autant en France ?

Michel Taube