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15H52 - mardi 13 septembre 2022

La situation au Xinjiang : une fragilisation de l’ordre légal mondial

 

La Chine a connu ces trente dernières années une croissance économique très rapide, qui l’a faite se hisser au rang de deuxième économie mondiale (première, selon certains économistes). Elle est ainsi passée du statut d’usine du monde à celui de concurrent, et a pris une place prépondérante sur de nombreux marchés.

Le monde occidental, et en première ligne les Etats-Unis qui ont assuré leur suprématie sur le globe entier depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a entamé avec la Chine une guerre de domination, qui pour l’instant se déroule en dehors du terrain militaire.

Dans un contexte de tensions internationales exacerbées par la Guerre en Ukraine, la crise de l’énergie et le dérèglement climatique, il ne se passe pas une journée sans que les partisans de tous bords accusent leurs adversaires de tous les maux.

La situation des Ouïghours dans la région du Xinjiang a ainsi été portée sur le devant de la scène et relayée par les médias, et jusqu’au plus haut niveau de nos institutions en utilisant des qualifications extrêmes, les plus graves de notre Code pénal, ciblant le Gouvernement chinois mais également les sociétés multinationales entretenant des relations économiques avec la province du Xinjiang.

 

L’origine des informations sur le traitement par les autorités chinoises des minorités turcophones au Xinjiang

L’anthropologue allemand Adrian Zenz, aujourd’hui Directeur de la Memorial Foundation des victimes du communisme pour la Chine, à Washington DC (Etats-Unis), s’avère être l’épicentre de la diffusion des informations sur la situation des Ouïghours au Xinjiang, diffusion depuis les Etats-Unis d’Amérique.

La Memorial Foundation des victimes du communisme, affiliée au Parti Républicain, affiche elle-même son objectif d’« un monde libéré du faux espoir du communisme », adoptant un positionnement idéologique très clair en complète opposition avec celle du Gouvernement chinois.

Le Dr Zenz entend dénoncer l’existence de camps de détention dans lesquels des individus sont enfermés arbitrairement et soumis à des traitements dégradants et contraires à la dignité humaine.

Les autorités chinoises ont de leur côté indiqué que les mesures prises dans la région visaient à combattre un « terrorisme violent », et « l’instrumentalisation de la religion pour promouvoir des pensées extrémistes », dont les premières exactions ont commencé dans les années 1990.

Les centres érigés dans la région du Xinjiang servent « à l’éducation et à la formation professionnelle dans le but d’empêcher la propagation d’idées séparatistes fondées sur la religion ».

La Chine continue d’affirmer que cette politique est menée dans l’intérêt du peuple et que les cultures et traditions des minorités turcophones sont protégées, que la démographie a augmenté et que la pauvreté s’est considérablement réduite.

Les travaux de Mr Adrian Zenz ont été très largement repris : dans les principaux medias, au sein de rapports de diverses associations et ONG et ont été exploités par des politiques.

Un rapport intitulé « Uyghurs for sale » a été rédigé par l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), think tank dirigé par Mr Julien Bassi, ancien ministre des affaires étrangères d’Australie de 2019 à 2022.

Ce rapport a donc été établi sous l’égide d’un homme politique australien qui a été en première ligne des négociations entre son pays et la Chine, au moment même où les relations économiques et diplomatiques sino-australiennes se sont fortement détériorées.

De fil en aiguille, la multiplication de communications sur la situation au Xinjiang provenant de personnalités dont la neutralité est contestable, a pourtant conduit à un consensus visant à condamner la politique chinoise, avant même qu’une enquête soit menée pour déterminer la réalité des accusations.

 

Les conséquences extrêmes de ces attaques informationnelles

Ces attaques informationnelles ont conduit à des prises de position fortes, voire extrêmes.

Les autorités chinoises ont été accusés de plusieurs infractions de droit international, ce qui a généré d’importantes conséquences :

  • Sanctions de l’Union européenne en mars 2021 contre des responsables politiques chinois qui seraient impliqués dans la situation des Ouïghours : gel des avoirs et interdiction de visas (immédiatement suivies de contre-mesures décidées par le Gouvernement chinois),
  • Boycott diplomatique des JO de Pékin en février 2022 par les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Australie, et le Canada pour protester « contre les violations des droits de l’Homme au Xinjiang » , qui n’est pas sans rappeler le contexte de la Guerre froide (JO de Moscou 1980 et de Los Angeles 1984),
  • Campagnes de boycott : à compter de mars 2021, des marques comme Nike se sont engagés à ne plus se fournir en coton du Xinjiang.

Ces réactions se sont déplacées sur le plan juridique puis politique.

Le 9 avril 2021, l’Association SHERPA a déposé une plainte pénale en France, devant le Parquet de PARIS, contre plusieurs groupes multinationaux de l’habillement (INDITEX, Uniqlo, SMCP et Sketchers USA) pour recel de crime de réduction en servitude aggravée, de crime de traite des êtres humains en bande organisée, de crime de génocide et de crime contre l’humanité. 

Les Ouïghours seraient utilisés pour la production de coton à grande échelle et ces multinationales seraient coupables en raison de leurs relations commerciales avec des entreprises établies dans la province du Xinjiang.

 La justice française a annoncé l’ouverture d’une enquête début juillet 2021, de manière concomitante au dépôt le 30 juin 2021 par des parlementaires français d’une proposition de résolution visant à faire reconnaître par la France le génocide en région ouïghoure.

Cette résolution a été adoptée par l’Assemblée nationale le 20 janvier 2022 pour :

« Reconnaître et condamner les crimes ciblant le peuple ouîghour et les autres minorité ethniques et religieuses dans la Région autonome ouïghoure au Xinjiang, alerter nos concitoyens sur les risques sérieux de génocide en cours contre les Ouïghours et plaider pour la mise en place d’une enquête internationale indépendante. »

Cette résolution s’inspire largement de la plainte pénale de SHERPA, et des rapports précités de Mr Zenz et de l’ASPI.

Sans même placer le débat sur la réalité ou non de la situation au Xinjiang, il apparaît évident que tant la manière de mettre en cause la République populaire de Chine que les formulations employées sont destinées à ne laisser aucune place au doute et à jeter le discrédit sur la Chine.

L’emploi des qualifications pénales les plus graves, de « génocide » et de « crimes contre l’humanité », par les instances représentatives françaises et largement relayées par les médias, en dehors de toute décision de justice préalable, risque d’aboutir à leur banalisation.

 

Les artifices juridiques employés pour tenter de contraindre le juge français à qualifier pénalement la situation au Xinjiang

Le génocide et les crimes contre l’humanité, infractions d’une gravité exceptionnelle incriminées tant par notre Code pénal français que par le droit international, supposent une attaque généralisée et systématique à l’encontre de l’Homme dans son existence et sa dignité, ainsi qu’à l’encontre de l’humanité dans sa pluralité.

Ces infractions sanctionnent des politiques générales émanant d’une organisation, étatique ou non, ayant pour but la persécution ou la disparition de toute ou partie d’une population ou groupe social.

L’ONU a reconnu trois génocides : le génocide des arméniens commis par l’Empire Ottoman (1915-1916), le génocide des juifs par les nazis (1941-1945) et le génocide des Tutsis commis par le pouvoir hutu au Rwanda (1994).

Le massacre des cambodgiens par les Khmers rouges a été également qualifié de génocide en 2018 par le tribunal constitué sous l’égide de l’ONU et le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie celui de 7.000 à 8.000 musulmans de Bosnie-Herzégovine par les Serbes à Srebrenica en 1995.

Le point central reste que les infractions de génocide et de crime contre l’humanité nécessitent une intention de persécuter et d’oppresser un groupe de population.

Ces infractions de génocide et de crime contre l’Humanité, qui seraient commises sur le territoire de la République populaire de Chine, échappent à la compétence du juge français, et ce en application de plusieurs principes.

 

  • Le principe d’immunité

Ces dernières années, les tentatives d’engager en France la responsabilité pénale de dirigeants étrangers pour des actes commis sur le territoire de leurs états se sont multipliées, en particulier lorsque les victimes de ces infractions étaient de nationalité française.

Ces tentatives se sont pourtant toutes heurtées au principe de l’immunité de juridiction, récemment rappelé par la Cour de cassation s’agissant de Guantanamo.

Ainsi, le juge français a déclaré que les actes d’enlèvement, de détention et de séquestration arbitraires, de tortures et d’actes de barbarie reprochés à l’ancien Président des Etats-Unis, à différentes fonctionnaires et membres de l’armée américaine sont des actes relevant de la souveraineté de l’Etat.

Selon la Cour de cassation (Crim., 13 janvier 2021, n°20-80511), « la coutume internationale s’oppose à ce que les agents d’un Etat, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, puissent faire l’objet de poursuites, pour des actes entrant dans cette catégorie, devant les juridictions pénales d’un état étranger ».

En visant des sociétés commerciales privées, et non les dirigeants chinois, l’Association SHERPA contourne ce principe d’immunité.

 

  • Le rejet par la Cour de cassation de la compétence universelle des juges français

La compétence des juridictions françaises pour les infractions commises hors du territoire de la République est définie par les articles 689-1 et suivants du Code de procédure pénale, et plus particulièrement par l’article 689-11 pour le génocide et les crimes contre l’humanité qui comporte des restrictions.

La Cour de cassation en a fait une exacte application dans un arrêt du 24 novembre 2021, au demeurant très critiqué (Crim, 24 novembre 2021 n°21-81344).

Elle a rappelé en effet que le juge français ne pouvait retenir sa compétence pour des crimes contre l’humanité que si les faits étaient punis par la législation de l’Etat où ils ont été commis, ce qui inclut nécessairement l’existence dans cette législation d’une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d’un plan concerté, ou si l’Etat où les faits ont été commis a ratifié la Convention de Rome, portant statut de la Cour pénale internationale.

La Chine ne répond à aucun de ces deux critères.

Comme l’a récemment relevé Rémi Castets, maître de conférence au département d’études chinoises à l’Université Bordeaux Montaigne, « derrière l’expression de droit international, la Chine voit droit occidental ».

En utilisant l’infraction de recel, l’association SHERPA tente de forcer le juge français à se prononcer sur la réalité des infractions principales dénoncées alors même qu’il n’est pas compétent pour les juger.

Cette plainte pénale déposée devant le juge français n’est que le relais de cet emballement médiatique, qui oublie opportunément le principe essentiel de la présomption d’innocence.

L’influence des médias, la virulence du vocabulaire utilisé et la gravité des accusations à l’encontre des autorités chinoises conduisent à les faire condamner avant tout procès par un tribunal médiatique, suivi par l’opinion publique.

Ces attaques informationnelles et politiques ne trouvent certes pas encore de réponse juridique, mais elles ont des conséquences immédiates dans de nombreux autres domaines.

Elles cherchent à affaiblir la Chine sur le plan moral, économique (inciter les consommateurs à se détourner des produits chinois) et géopolitique (jouer sur le sentiment de solidarité dans le monde musulman).

La région du Xinjiang présente aussi un intérêt stratégique puisqu’elle est l’une des régions de Chine les plus riches en matières premières, hydrocarbures, minéraux et terres agricoles, a des frontières avec 8 pays et qu’elle constitue un point de passage des routes de la soie, ce qui explique probablement le récent regain d’intérêt.

 

Michaël ZIBI

Avocat au Barreau de PARIS

 

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