Edito
13H11 - jeudi 17 mars 2022

La Corse ne sera pas le laboratoire des erreurs d’Emmanuel Macron. L’édito de Michel Taube

 

 La tentative d’assassinat d’Yvan Colonna par un islamiste dans la prison d’Arles, où ils purgeaient tous deux leur peine, a soulevé une vague de violence en Corse d’une telle ampleur que le ministre de l’Intérieur, porte-voix du président-candidat Emmanuel Macron, a annoncé une prochaine autonomie de l’ile. À trois semaines de l’élection présidentielle, une telle annonce suscite surprise et perplexité, car jusqu’alors, le chef de l’État s’était toujours montré hostile à toute autonomie de la Corse.

Le mépris est l’un des principaux reproches faits à Emmanuel Macron et à la macronie. Comportement de nouveau riche arrivé au pouvoir par accident, sans parcours initiatique comme tous ceux qui l’ont précédé. Certes, après que la toge de Jupiter eut été maculée de (gilets) jaune, il dut mettre un peu d’eau du robinet dans son grand vin sacré, du moins en apparence.

Mais les Corses ne goûtèrent jamais à cette humilité à l’authenticité douteuse. Les autonomistes sont majoritaires sur l’île. Depuis décembre 2015, Gilles Simeoni préside le Conseil exécutif, institution originale qui grosso modo cumule les compétences des conseils régional et départemental. En 2019, Emmanuel Macron, en visite sur l’île, refuse de rencontrer le président du Conseil exécutif, qui n’a pourtant jamais prôné la rupture avec la France. Un affront, non seulement pour les dirigeants autonomistes, mais aussi pour ce peuple corse qui les a élus.

Car, que cela plaise ou non à Emmanuel Macron, il existe bien un peuple corse, plus qu’un peuple breton ou alsacien, parce que la Corse est une île, la plus belle du monde peut-être, et que son histoire est singulière au cœur de la Méditerranée. Même Jean-Jacques Rousseau proposa de la doter d’une Constitution. L’autonomie des Outre-mer est expressément mentionnée à l’article 74 de la Constitution de la Vème République, et la Corse pourrait, pourquoi pas, en bénéficier, sans que cela ne conduise à l’inacceptable.

Mais jusqu’à hier Emmanuel Macron était résolument contre toute autonomie au vu de sa façon de traiter les Corses et de les voir de bien trop haut. Et voilà qu’il ouvre ce qui apparaît au vu du contexte politique comme une boîte de Pandore.

Le volte-face du chef de l’Etat sonne comme une humiliation pour les autonomistes emmenés par Gilles Simeoni qui n’a pas arrêté de tendre la main à Paris ces dernières années. Il aurait fallu le soutenir depuis cinq ans. Résultat, les indépendantistes, soutenus par des mafieux de plus en plus actifs, et alors même qu’ils avaient été réduits à peau de chagrin, sont de retour : le FLNC a même publié un communiqué qui rappelle les heures les plus sombres du passé.

Le président de la République avait fait le même coup par la voix de Sébastien Lecornu lorsque la Guadeloupe avait flambé fin 2021 en annonçant un débat sur l’autonomie des Antilles au pire moment de la crise. Une manière d’attiser les passions politiques là où des débats institutionnels méritent sérénité et sens du long terme.

Après la Corse, la Guadeloupe, pourquoi pas la Bretagne et l’Alsace qui vient de se reconstituer en Collectivité Européenne d’Alsace et souhaite quitter la Région Grand Est, justement. Après tout pourquoi pas ? Le découpage territorial ne fut qu’un outil administratif visant à consolider la nation, dans un pays qui fut naguère celui des fiefs régionaux en guerre permanente. Mais nous ne sommes pas au Moyen-Âge. Donner d’avantage d’autonomie aux régions et faire disparaître les absurdes départements ne remettrait pas en cause l’unité de la nation. L’Allemagne, l’Espagne, la Suisse ou les États-Unis sont même des États fédéraux, sans que cette forme institutionnelle ne contrarie l’unité nationale. La région, c’est le terroir, même au-delà de la frontière nationale. Une Europe moderne et populaire devrait comporter des régions transnationales dotées de compétences et de moyens autonomes.

En évoquant l’autonomie de la Corse après une semaine d’émeutes, Emmanuel Macron (oublions les membres du gouvernement qui eux, n’ont aucune autonomie sous notre Vème République) a choisi la pire des manières d’ouvrir cette boîte de Pandore. Là où Gilles Simeoni et les autonomistes pacifiques n’ont récolté que du mépris, les casseurs ont obtenu que l’État mette genoux à terre, tout en rétropédalant sur-le-champ : on lance l’idée, mais pour sa mise en œuvre, on verra, alors que les contours de l’autonomie sont prévus constitutionnellement. Prime à la violence, donc.

« L’autonomie de plein droit et d’exercice n’est pas l’indépendance », rappelle Gilles Simeoni au micro de RTL, après avoir considéré qu’il s’agissait d’un « premier pas vers une solution politique globale » et salué les « engagements très forts » des pouvoirs publics. Mais le président de l’exécutif corse n’entend pas se contenter d’une-pseudo annonce électorale visant à éteindre l’incendie de la violence. Il souhaite que lesdits engagements soient « consignés dans un document, avec un calendrier ». Mieux vaut tard que jamais, mais les circonstances de cette volte-face macronienne ne grandissent pas leur auteur. Qui ne s’interrogera pas sur sa sincérité ?

Le prochain président, très vraisemblablement Emmanuel Macron, ne pourra pas se défiler, sans quoi la Corse basculerait dans l’insurrection. Les émeutiers, pour la plupart jeunes, n’ont pas une immense empathie pour Yvon Colonna, l’assassin du Préfet Claude Érignac en 1998. Colonna avait même, soyons honnêtes, été oublié par de nombreux Corses.

Mais son agression en prison par un détenu islamiste au prétexte de blasphème a été l’étincelle qui mis le feu aux poudres, sur une île où les tensions entre autochtones et immigrés maghrébins sont constantes.

La jeunesse corse se sent méprisée : les niveaux de pauvreté et de précarité sociale sont parmi les plus élevés de France.

L’Etat français a aussi infligé quelques humiliations qui ont marqué une génération de jeunes Corses. Certains décideurs parisiens voudraient faire oublier, entre autres exemples, le match Reims – Bastia du 13 février 2016 au cours duquel sept supporters corses avaient été pris dans des échauffourées avec la police et dont les suites judiciaires ne sont pas encore soldées. L’un d’entre eux, Maxime Beux, a perdu un œil. La dernière grande manifestation corse remontait justement aux arrestations perçues comme scandaleuses et humiliantes de ces jeunes supporters jugés à l’époque à Reims.

Désormais, arrêtons de nourrir la violence et allons de l’avant ! Et si la Corse devient le fer de lance d’un nouveau régionalisme, ancré dans la réalité culturelle des territoires et non dans une logique bureaucratique en total déphasage avec la société et le peuple, on ne pourra que lui en être reconnaissant.

 

Michel Taube

Directeur de la publication