Edito
11H39 - mardi 15 mars 2022

Travailleurs sociaux : à quand une vraie reconnaissance ? L’édito de Michel Taube

 

Un livre en phase avec la journée mondiale du travail social dénonce le malaise qui touche ces professions et propose des solutions.

« La France des oubliés », titrait le JDD dimanche dernier. Les travailleurs de l’ombre, les premiers de cordée… C’est peut-être parce que ces laissés-pour-compte de la société se sentent si méprisés que les extrêmes et les abstentionnistes sont si nombreux en France, comparativement aux pays voisins.

À la jointure de cette France déclassée et de la France qui avance, il y a un corps social fort (trop ?) discret qui tient littéralement la société à bout de bras de sorte qu’elle ne s’effondre pas ou ne glisse dans une guerre civile dont le mouvement des gilets jaunes nous avait donné un avant-goût.

Ce corps social, ce sont ces 1,3 million de travailleurs sociaux. Et c’est aujourd’hui la Journée mondiale du travail social.

À moins de quatre semaines du premier tour des élections présidentielles, un livre paru au Cherche Midi réclamant pour ces piliers de la société une vraie reconnaissance tombe à pic : « Travailleurs sociaux, à quand une vraie reconnaissance ? ». Car dans une situation économique et sociale que les contrecoups (et coûts !) de la crise sanitaire et de la guerre d’Ukraine risquent d’aggraver significativement, les travailleurs sociaux ne manqueront pas de pain sur la planche. Mais la planche est plus que savonneuse : le 7 décembre dernier fut le jour d’une première mobilisation dans un secteur peu habitué aux mouvements… sociaux ! Même si nous sommes encore loin d’une lame de fond comparable au mouvement des soignants ou à une grève des conducteurs de la RATP et de la SNCF, la grogne est palpable et va crescendo. Après une journée de grève nationale, le 1er février 2022, le gouvernement s’est empressé d’éteindre le feu naissant : comme les soignants, les travailleurs sociaux, du moins ceux des structures associatives non lucratives, seront gratifiés d’une hausse de 183 euros net par mois à compter d’avril.

Mais en réalité, le malaise qui touche ces professions va bien au-delà de la seule question des salaires. Elles espèrent, sans en attendre beaucoup, que la journée mondiale du travail social, ce 15 mars 2022, leur donnera davantage de visibilité, sans toutefois se faire d’illusions. C’est un travail de longue haleine, comme l’illustre le livre de Raymond Taube, directeur fondateur de l’IDP — Institut de droit pratique, et formateur depuis un quart de siècle, notamment de travailleurs sociaux.

Le livre n’est pas un manifeste politique ou corporatiste, d’autant moins que l’auteur n’a jamais été lui-même travailleur social. Mais il les connait, de l’intérieur : leurs missions, leurs conditions de travail, leurs difficultés à porter ici la misère, celle des adultes comme celle des enfants, là le désarroi de personnes frappées par un accident de la vie, la perte de leur emploi, une maladie, une infirmité, un divorce…

L’ouvrage est aussi diversifié que les métiers du social : tantôt mini cours de droit pratique au travers de récits et de témoignages à forte valeur pédagogique, recueillis en formation (par exemple celui de cette assistante sociale recevant un militaire qui ne comprend pas comment le juge a pu attribuer « son » logement à son épouse, en caserne !), tantôt plongée dans des univers hétéroclites, parfois mystérieux, voire inquiétants : l’entreprise, l’école, l’hôpital, la psychiatrie, l’EHPAD, la protection des mineurs, la rue aussi…

Cette diversité fait que le livre se lit comme un roman. On passe d’un thème à l’autre sans avoir le temps de s’ennuyer : secret professionnel et signalements, obligation de neutralité (les questions religieuses, notamment), responsabilité, poids de la bureaucratie, difficultés de se faire respecter par certains interlocuteurs, télétravail et même intelligence artificielle…

La reconnaissance est bien entendu une question de salaire. L’ouvrage comporte un comparatif édifiant dont la conclusion est que c’est en Suisse qu’il faut être travailleur social (à plus forte raison si on est frontalier et qu’on vit en France). Est-ce une surprise ?! Mais la reconnaissance réside aussi dans le respect des professionnels, de leur travail et de leurs prérogatives, comme il est expliqué dans l’ouvrage, à l’appui de témoignages et d’exemples. D’une certaine manière, l’auteur perpétue dans ce livre son travail de formateur : apporter aux travailleurs sociaux des outils concrets les aidant à mieux accomplir leurs tâches, à être plus efficaces, plus compétents, pour reprendre la terminologie de la formation continue, et en définitive pour être mieux reconnu. Une reconnaissance professionnelle, mais aussi citoyenne, aussi méritée que celle des soignants.

Enfin, il y a aussi une dimension politique dans « Travailleurs sociaux : à quand une vraie reconnaissance ? », par exemple lorsque l’auteur s’interroge sur le rôle trouble de certaines associations d’aide aux migrants, sur l’opposition entre accompagnement social et assistanat, ou lorsqu’il suggère l’organisation d’un « Ségur du social », non pas parce qu’une grand-messe de plus règlera tous les problèmes, mais parce que ce serait l’occasion d’une prise de conscience, prélude et préalable à cette reconnaissance.

La France ne serait pas la France sans ses travailleurs sociaux. Ce livre permettra aux candidats à l’élection présidentielle de s’en rendre compte.

Michel Taube

 

Pour commander le livre :
https://www.opinion-internationale.com/librairie

 

 

 

Directeur de la publication