Afriques demain
06H30 - mardi 11 janvier 2022

Les puits du désert, source de réussite économique et sociale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sa force de caractère et sajoie devivre se ressentent tout au long de notre rencontre.La pilote chevronnéeChristel Pernet estunefemme au grand cœur et aux grandes idées. Elle fonde son association en 2000, « Les puits du désert », pour permettre à des centaines de Touaregs d’avoir accès à l’eau potable grâce à des puits que Christel et son équipe ont construits ou réhabilité.Passionnée de sports d’hiver, Christel a également siégé au comité directeur de la Fédération française de ski pendant dix années de bons et loyaux services.Elle nous emmène aujourd’hui au cœur de la mission de son association, au beau milieu des terrestouaregs.

Entretien.


Opinion Internationale :
Christel Pernet, vous êtes la fondatrice et l’heureuse présidente de l’association « Les puits du désert » : pourquoi avoir décidé de construire des puits en Afrique ?

Christel Pernet : L’idée ne m’est pas venue par hasard, elle a été nourrie par mes multiples voyages avec mon père dans ma jeunesse. Le goût de l’aventure m’est resté depuis et je suis ainsi devenue pilote privée. De même, la passion pour les cultures africaines ne m’a jamais lâché et je me suis investie dans une association de pilotes pour des projets humanitaires. Nous descendions jusqu’au Gabon pour mettre en place des missions éducatives et en lien avec la santé, mais l’idée des puits dans le désert restait inédite.

Pourquoi avoir décidé de concentrer votre action humanitaire sur la construction de puits en Afrique ?

Lors de la guerre en Côte d’Ivoire, en 2002, un problème mécanique m’a forcé à un atterrissage en plein territoire touareg. Durant les quatre jours qu’il m’a fallu pour réparer la panne, j’ai constaté l’importance que revêtait le manque d’eau. Une fois la réparation de mon appareil achevée, le chef touareg qui m’avait aidé m’a demandé de financer un puits pour améliorer leur qualité de vie. Nous avons donc planifié une action dans la région, avec pour objectif un puits par campement touareg. Au fil des années et de nos efforts, nous avons pu construire et installer des puits tous les 50 kilomètres sur ce territoire, afin que les nomades puissent bénéficier d’un accès à l’eau potable.  

Pour les besoins de mon association, j’ai rapidement cessé mes autres activités. L’eau représente la vie, ou « aman iman » selon le proverbe touareg. Un accès proche à l’eau permet de soutenir l’économie locale, d’envoyer les enfants à l’école au lieu qu’ils parcourent des kilomètres pour rapporter de l’eau et d’autonomiser les femmes.

Lorsqu’un puits ou un point d’eau est disponible dans un village, les femmes ont plus de facilités pour subvenir aux besoins de leur famille, gagnent du temps qui leur permet de développer leurs commerces et de rester auprès des enfants. Grâce à nos puits, les femmes sont moins marginalisées, les enfants se consacrent à leur éducation, et les commerces locaux fleurissent. L’accès à l’eau représente un enjeu de moins dans les conflits de la région, une donnée non négligeable pour le développement du territoire touareg.

Les puits ont-ils permis aux Touaregs et habitants de la région de développer leur commerce et agriculture ?

Bien sûr, les revenus (des Touaregs qui étaient auparavant mercenaires pour Kadhafi, NDLR) ont été multipliés par dix. Les puits ont permis une véritable réinsertion sociale des habitants qui produisent fruits et légumes ou font commerce de chameaux. Grâce aux puits, ils peuvent cultiver des terres et élever du bétail plus aisément.

Peut-on dire que vous êtes tombée amoureuse des Touaregs ?

Oui, tout à fait ! Avant de rencontrer les Touaregs, j’étais admirative de la beauté de la région. Les Touaregs sont très droits et dignes et n’ont qu’une parole. Ainsi, il est plutôt simple de travailler avec eux. Autant l’Afrique noire est victime d’une forme de soumission permanente, autant les Touareg traitent leurs partenaires d’égal à égal. Ainsi, ils n’hésitent pas à émettre des critiques si nécessaire ou à exprimer leur point de vue.

Rencontrez-vous du sexisme ou des obstacles dans le cadre de votre mission ?

Bien sûr, notamment des remarques sarcastiques sur mon travail ou des regards condescendants de la part d’acteurs humanitaires de différentes associations. Mais ils ont fini par voir la nécessité de notre mission sur le terrain. Je n’ai, de toute façon, aucun problème pour me faire entendre et respecter. La Légion d’honneur que j’ai reçue dans les années 2010 exprime la reconnaissance de la Nation envers mes actions, et le peuple touareg m’accorde sa confiance grâce à mon statut de Tambara (femme ayant accompli une réussite économique, une des plus hautes distinctions chez les Touaregs, NDLR). Mon travail est suffisamment remarqué pour que des ONG ayant quitté la région me sollicitent parfois pour les aider dans leurs actions, afin que j’intervienne en leur nom. En fin de compte, le sexisme et la condescendance n’impactent ni mon association ni mes actions.  

Avez-vous un appui du Niger ou de la France, une protection face à la menace djihadiste ? Sinon, avez-vous déjà été confrontés à la violence ? Comment avez-vous réagi ?

Avec l’insécurité qui règne dans la région, notre association est une des seules à être restées dans la zone. Depuis la dernière rébellion en 2009, nous n’allions plus dans le désert sans escorte nigérienne ou française. Les militaires m’ont accompagné tout le long de mes dernières visites au Niger, en 2021. Mais mon statut de Tambara me précède à chacun de mes déplacements, qui s’effectuent toujours sans heurts ni menace.

La Cop26 s’est tenue à Glasgow. Dans votre association, voyez-vous concrètement les effets du changement climatique ? Avez-vous des témoignages des habitants ?

Il y a 25 ans, les Touareg vivaient essentiellement du tourisme. Dès les années 2010, la période touristique s’achevait plus tôt, en mars, avant que les températures ne grimpent. Aujourd’hui, le tourisme à Agadez n’existe plus, ou du moins pas assez pour que la population locale en vive. Une des raisons de la disparition du tourisme dans la région est le changement climatique ainsi que la désertification du territoire. L’eau se raréfie, mais les inondations durant les saisons des pluies s’intensifient, tandis la sécheresse progresse le reste de l’année. Les puits sont désormais emportés par les inondations, phénomène que nous ne connaissions pas avant, et qui complique notre tâche.

Qu’est-ce que vos missions ont changé en vous ?

En tant que femme, la société de mon époque nous poussait à rester à la maison. Au début, le regard de mes compatriotes était très négatif, mais j’ai fait mes preuves. Le milieu humanitaire reste très masculin et difficile, physiquement et émotionnellement. Cependant, les femmes ne sont pas dans le domaine du paraître et du pouvoir, mais de l’efficacité. L’Afrique n’a pas changé mon regard sur le monde, car j’étais déjà dans la démarche du respect de l’autre et du respect de la différence. Je suis cependant convaincue, comme beaucoup, que l’Afrique s’en sortira par les femmes.

Mais je voudrais aussi souligner que l’eau reste un facteur de consolidation de la paix, et je ne suis pas certaine que les Occidentaux se rendent compte de son importance. Enfin, le Niger ne doit pas être abandonné au terrorisme, car les jeunes pourraient se tourner vers les trafics et la guerre pour survivre, et un accès à l’eau peut aider à leur garantir un meilleur avenir.

Propos recueillis par Michel Taube et Maud Baheng Daizey. Remerciements à Alain Dupouy, chroniqueur en chef de la rubrique Afriques demain.

Directeur de la publication