Coronafiction
20H48 - vendredi 1 mai 2020

Coronafiction. Episode (9)

 

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La ligne d’horizon sans cesse  recommencée se confondait avec le ciel. Au sol je voyais une maison d’où s’élevait un panache de fumée sombre. En l’observant plus attentivement, elle n’était plus qu’une ruine fumante. Puis ce furent des dizaines d’éoliennes dont les pales tournaient lentement.

Ce furent les dernières images que je vis avant de m’endormir contre Lucie dont les cheveux sentaient le vent. Dans mon  rêve, j’entendis des bruits sourds comme des coups de poings frappés contre une porte. Ils se répétaient et ça n’en finissait pas. Je fus réveillé par un choc plus fort. C’était un éclair d’orage qui déchirait le ciel et j’eus l’impression qu’une lumière intense me frappait au visage. Le ciel avait pris la couleur du plomb. Cet éclair fuit suivi de trombes d’eau. Lucie se pressa contre moi. Nous avions quitté la première étape sous le soleil et étions à présent au cœur d’un nuage épais et sombre. Damoclès se mit à s’agiter et à aboyer. Jean le calma. Je regardai l’écran de l’ordinateur de bord. Nous avions fait les trois quart du chemin. Voilà bientôt trois heures que nous volions. Je regardai à l’arrière. L’ULM piloté par Martin avait disparu dans les nuages. L’attention soutenue que Jean portait à son pilotage, un oeil sur l’écran, un autre sur l’horizon me tranquillisait. J’aurais aimé avoir un un papa comme lui, solide et rassurant. Les trombes d’eau qui s’abattaient sur l’aéronef lui firent perde de l’altitude et rendirent sa progression plus difficile. Lucie se blottit dans mes bras.

-Ca va aller dit Jean.

Après une heure environ de progression au milieu de nuages sombres, le soleil réapparut, le ciel s’éclaircit et je vis derrière nous l’ULM piloté par Martin. Nous reprîmes un peu d’altitude. A nos pieds s’étendaient d’immenses champs de maïs qui avaient séché sur pied.

-Le centre ne devrait plus être loin dit Jean.

-Et si nous n’avions plus assez de carburant  dis-je?

-Ne t’inquiète pas.

-Je ne vois pas de piste d’atterrissage poursuivis-je.

-On va la trouver.

Martin  avait compris que nous cherchions où nous poser et il approcha son ULM du nôtre. Derrière son cockpit, il nous salua de la main.

Bientôt, au milieu d’un immense champ de maïs apparut une sorte de quadrilatère de 100 mètres de côté comme si les épis y avaient été fauchés.

-L’idée expliqua Jean, a été de rendre stérile une superficie suffisamment grande au milieu d’immenses champs de maïs. C’est pas bête !

La piste était là près d’un camping-car blanc, à côté duquel était garé un ULM à la voilure rouge. On voyait aussi une éolienne.

Des gens nous firent de grands signes.

Nos ULM se placèrent dans l’axe du terrain et nous atterrîmes, faisant en bout de piste un demi-tour pour nous remettre en position de décoller rapidement.

Nous descendîmes de nos engins. Damoclès courut vers une femme, un homme et un adolescent tous les trois noirs  qui avançaient dans notre direction.

-Ici cria Jean à l’adresse du chien qui s’arrêta.

-Salut dit l’homme… vous avez fait un bon voyage ? Moi c’est Serge et voici ma femme Céleste et mon fils Ben poursuivit-il.

Nous nous présentâmes à notre tour.

-Si vous avez faim ou soif suivez-nous dit l’homme.

Il nous invita dans le camping-car. Nous étions un peu à l’étroit mais l’accueil était chaleureux. Serge était un grand type au crane rasé, sa femme pleine de prévenance et Ben un garçon super sympa. Il devaient être heureux d’avoir un peu de compagnie.

-Vous voulez des bananes flambées nous demanda Céleste ?

La proposition nous surprit mais m’enchanta. J’adorais les bananes flambées. Le camping-car s’emplit de l’ odeur de rhum et de sucre caramélisé.

-Mais d’où viennent ces fruits et l’alcool demanda Martin ?

-Nous les avons trouvés dans un super marché à une vingtaine de kilomètres d’ici près d’une petite ville.

-Comment y êtes-vous allés ?

Il nous montra leur ULM.

-Les parkings font une  piste d’atterrissage idéale poursuivit Ben.

-Et il n’y a personne interrogea Martin ?

-Pas une âme qui vive !

A peine avions nous avalé les bananes que Céleste nous demanda si nous voulions du thé.

-Choisissez, nous dit-elle en nous montrant une multitude de boîtes alignées sur une étagère, chacune munie d’une petite étiquette blanche  : vert, noir, gris etc.

-Amateurs demanda Jean ?

-Oui…

Nous bûmes le thé puis Serge nous conseilla de faire le plein sans attendre pour être prêts à repartir à tout moment. Le carburant se trouvait dans des jerricans dissimulés sous un filet de camouflage derrière le véhicule.

Ben interrogea Martin sur nos ULM, la puissance de leur moteur, leur autonomie etc.

Il avait l’air de s’y connaître.

Nous étions en fin d’après midi et la prochaine étape nous prendrait au moins quatre heures.

-Pourquoi ne partiriez-vous pas demain demanda Serge ?

Jean et Martin décidèrent de rester pour la nuit.

Ben nous proposa (à Lucie, Hector et moi) de visiter les lieux.

Il nous mena au pied de l’éolienne. Son hélice était perchée sur un bâti de croisillons d’acier qui culminait à une dizaine mètres de hauteur. Elle tournait silencieusement sur le ciel.

-L’hélice nous dit Ben, fait tourner un générateur électrique situé dans le prolongement de l’axe muni d’un multiplicateur de vitesse. Un système électronique transforme l’électricité en courant alternatif, le stocke en batterie pour le transformer en courant continu. Par un vent minimal de cinq nœuds, l’éolienne assure  24 à 8880 watts et  2,4 à 650 ampères par vingt-quatre heures.

Nous l’écoutions avec intérêt. J’aurais aimé avoir un grand frère comme lui. Jean comme papa et Ben comme grand frère ! Je me réinventais une famille faite de tous ces gens. Je les aimais tous, même Van Gogh  qui n’avait rien dit depuis notre arrivée. Il semblait ailleurs.

-Comment sais-tu tout ça l’interrogea Hector  ?

-Plus tard, je voudrais être ingénieur répondit-il.

Son père, Jean et Martin nous rejoignirent

-Nous sommes autonomes en électricité dit Serge.

-Vous ne croyez pas qu’on peut repérer l’éolienne de loin demanda Jean ?

-C’est un risque.

-Pourquoi ne partez-vous pas avec nous ?

-L’organisation a besoin de nous ici.

De quoi voulait-il parler ? Je me souvins alors de ce qu’avait dit Jean lors de notre première rencontre. Il nous avait parlé de gens répartis dans la France entière, vivant dans des  centres et toujours prêts à recevoir les amis. Nous étions des compagnons de lutte, des résistants au coronavirus, les bâtisseurs d’un monde à venir. C’était excitant.

-Et vous avez vu beaucoup de monde depuis le début de la crise demanda Martin?

-Non, vous êtes les seconds.

-On a besoin de vous la-bas poursuivit Jean.

-Je vais en parler à Céleste.

Nous poursuivîmes notre visite des alentours en compagnie de Ben. Il nous mena vers l’un des côtés du quadrilatère.

-Si on poursuit par là sur une bonne dizaine de kilomètres, on tombe sur une ancienne ferme d’élevage de crocodiles.

-Merde dit Hector mais c’est dangereux …

-Ouais.

-Et ça ressemble à quoi ?

-A des bassins boueux avec les  ruines d’un incubateur et de l’écloserie….

-L’écloserie demanda Lucie ?

-Oui… l’endroit où les œufs de croco éclosent de façon artificielle répondit Ben.

-Et il n’y a plus personne  demandai-je ?

-Non, le propriétaire et sa femme sont morts du coronavirus et leurs corps ont disparu.Ils ont été bouffés.

-Pouah  fit Lucie avec une moue de dégoût.

-Comment ont-ils eu l’idée d’élever ces animaux demandai-je ?

-Avant de tomber malades les propriétaires m’ont raconté qu’ils avaient fait venir du Congo une demi-douzaine de mâles et de femelles. Leur peau intéressait les maroquiniers de luxe : Lancel, Hermès, Vuitton. Chacune des femelles pondait une trentaine d’œufs placés en couveuse puis en écloserie. Les bestioles étaient réparties dans trois bassins peu profonds mais à hauts bords. Les plus jeunes dans l’un, les moyens dans l’autre, les adultes dans le troisième pour qu’ils ne s’entre-dévorent pas. Ils étaient nourris de volailles vivantes, d’un bœuf entier par mois descendu dans un cordage – tout y passait filet et bestiau – et de leur propre chair, une fois dépecés. Arrivé à l’âge adulte le saurien était tué, suspendu, dépecé et la peau travaillée.

-Vous avez déjà vu des sacs en croco ?

-Non dit Lucie.

-C’est super.

-Et qu’est-ce qu’il reste de cette ferme demandai-je ?

– Pas grand chose. Trois grands bassins de vase grouillant de micro-organismes dit Ben.

-On peut aller voir demanda Hector.

-Non, d’abord c’est trop loin ensuite y a des crocos en liberté.

 

Comme il n’y avait pas assez de place pour que nous dormions tous dans le camping-car, seule Lucie y fut invitée. Nos hôtes nous offrirent des sacs de couchage et nous dormîmes à la belle étoile sur l’herbe fraîche. La température de la nuit était idéale. Martin, qui avait pris place entre Hector et moi, nous montra les constellations et les étoiles dans le ciel pur :

-Vous voyez, là c’est  Aldébaran, là, Altaïr, là, Beltégeuse, là, l’étoile Polaire, là, Procyon, Régulus, Vega

Ces noms étaient plus beaux les uns que les autres.

Tard dans la nuit, j’entendis des bruits dans les maïs. Je glissai la main dans mon EastPack, empoignai mon pistolet et je scrutai la lisière des champs. Je craignais de voir surgir des crocodiles…

-Ce doit être des rats des champs dit Jean qui m’avait entendu. Rendors toi, je veille.

-Oui, on veille dit Van Gogh.

A moitié rassuré, je m’endormis.

  

Encélade

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