Coronafiction
07H10 - lundi 27 avril 2020

Coronafiction. Episode (8)

 

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-Nous sommes trop lourds dit Martin. Nous devrions voler à une altitude de 150 mètres. On plafonne à 50 mètres et j’ai l’impression qu’on avance en crabe.

Le soleil levant projetait le dessin des deux ULM sur la terre. C’était des formes un peu tremblantes qui s’imprimaient sur les champs aux teintes roussâtres, chamois ou beiges, traversés ici et là par la ligne noire des routes. On aurait dit un grand livre d’images.

Sur l’écran de bord, notre première étape apparut sous la forme d’un point situé  à 260 kilomètres.

-C’est précis dis-je à Martin.

Il n’y avait aucune ville à proximité mais un large ruban qui devait être une autoroute.

-Dans combien de temps y serons-nous demandai-je à Martin ?

-Normalement trois heures mais nous sommes trop chargés. T’as un téléphone demanda-t-il à Van Gogh ?

-Non !

-Et toi Paul ?

-Oui.

-Appelle mon père et passe-le moi …

Sous sa dictée, je composai le numéro et lui passai mon  portable.

-Allo, papa…. On n’avance pas… quoi ? Les conserves et l’essence … oui… il faut espérer qu’on en retrouvera.

Martin me rendit mon téléphone.

-Allo dis-je … je peux dire un mot à Lucie….

Il avait raccroché. Pourquoi n’étais-je pas monté avec elle ? Je changerai d’ULM à la prochaine étape. Je regardai l’écran de l’ordinateur de bord. Nous n’avions fait que le quart du trajet, à peine.

Martin s’adressa à Van Gogh.

-Balance le jerrican et la moitié des conserves.

-D’accord.

Je regardai les jerricans de carburant et une partie de nos conserves s’écraser au sol. J’avais veillé à ce que Van Gogh ne jette pas les fruits au sirop et les gâteaux.

Les engins allégés reprirent  de l’altitude et leur  progression sembla plus facile.

-On a dû gagner quarante kilos dit Martin.

En guise de réponse, Van Gogh grogna puis il s’endormit.

Voilà presque quatre heures que nous volions, passant au dessus des bois et des champs, parfois de villages qui semblaient à l’abandon et bientôt nous fûmes au dessus d’une autoroute désertée de toutes voitures. Vue du ciel, le goudron était comme neuf. Après avoir parcouru la plaine, l’autoroute s’enfonçait entre des collines, passait sous sur un viaduc et poursuivait à travers des étendues herbeuses. L’ULM de Jean qui nous devançait suivait le tracé de la voie.

Je sommeillais, la tête sur l’épaule de Van Gogh, lorsque je fus réveillé par la sonnerie de mon téléphone.

-Allo dis-je.

C’était Jean.

-Passe-moi mon fils.

Je passai le téléphone à Martin. Celui-ci le prit et après un moment de silence :

-Nous ne sommes pas loin. Le premier qui voit une piste d’atterrissage ou quelque chose qui ressemble à une réserve de carburant à côté d’une habitation me prévient dit-il en réveillant Van Gogh. Celui-ci grogna et avala une gorgée d’eau.

Après quelques minutes d’observation, nous vîmes le premier ULM faire un demi-tour, se placer dans l’axe d’un pré à l’herbe courte et drue, amorcer sa descente et atterrir pour s’arrêter après avoir roulé une trentaine de mètres près d’une citerne corrodée. Il fut suivi par Martin qui fit la même manœuvre et arrêta son aéronef derrière celui de Jean. Il coupa les gaz. Au bruit lancinant de tondeuse à gazon de l’aéronef succéda le silence. Un silence absolu. Jean était descendu de son ULM, fusil à la main, suivi par Hector, Lucie et Damoclès qui courait vers nous. Martin glissa des cartouches dans le chargeur du fusil à canon court et nous descendîmes à notre tour.

-Dégourdissez-vous les jambes dit Jean.

Le soleil était presqu’au milieu du ciel.

Une  route remontait vers  une clôture métallique ouverte sur une aire d’autoroute.

-Allez-voir dit Jean, tout en ouvrant la trappe d’accès à la vanne de la citerne.

Il regarda à l’intérieur.

-Alors dit Martin ?

-Elle est presque pleine. Je fais le plein.

Tandis qu’il remplissait les réservoirs, Martin, Van Gogh, Lucie, Hector et moi nous dirigeâmes vers l’aire d’autoroute pour partie dissimulée par un remblai.

Il y avait une station d’essence et un petit supermarché.

-On y va dit Van Gogh ?

Les pompes à essence étaient vides, tout comme les rayonnages du magasin.

J’y trouvai un paquet de nouilles chinoises.

-Laisse ça dit Van Gogh, ce sont ces faces de citron qui nous ont contaminés !

Hector et moi rigolâmes.

-Arrête de déconner dit Martin !

Puis s’adressant à moi :

-Laisse tomber… de toute façon on pourra pas les faire cuire.

On regarda partout jusque dans les réserves. Il n’y avait plus rien.

-On retourne aux ULM dit Martin.

On retrouva Jean qui avait achevé de remplir les réservoirs.

A côté de la citerne, il y avait la cabane en planches. Hector, Lucie et moi y pénétrâmes. A l’intérieur,  une sorte de matelas de feuilles sèches, un âtre de galets avec une ouverture dans le toit pour la fumée.  Ca sentait le bois sec et les feuilles sèches.

-Le lieu doit être abandonné depuis longtemps dis-je à Lucie et Hector.

Dans l’un des angles une gouttière laissait l’eau de pluie s’écouler dans un seau recouvert d’une grille filtrante à côté d’un sac de jute empli de pommes de terre.

Jean apparut derrière nous.

-Curieux dit-il, j’aurais pensé trouver un centre semblable au nôtre. Heureusement, il y avait du carburant.

-Ou sont passés ceux qui habitaient ici demandai-je ?

-Aucune idée. En tout cas, ils étaient retournés à l’état sauvage.

Je ne compris pas ce que signifiait « retournés à l’état sauvage ». A l’état de bêtes ?

 

On mangea des biscottes, des sardines à l’huile et des gâteaux.

Sur un petit camping gaz, Martin fit chauffer de l’eau et on but du thé et du café.

– On repart dit Jean.

Occupé à déjeuner nous n’avions pas vu des gens sur le haut du remblai. Une dizaine d’hommes et de femmes de tous âges vêtus de haillons descendaient vers nous.

-Qu’est-ce qu’on fait dit Martin ?

-Ils n’ont pas l’air dangereux dit Jean. Mais grimpez, on repart !

-Je peux changer de place avec Hector ?

-D’accord.

Je rejoignis Lucie et Damoclès et Jean mit les gaz.

Hector retrouva Van Gogh et Martin.

Les êtres en haillons étaient à mi-chemin entre l’autoroute et la piste d’envol. Ils marchaient le dos vouté et les bras ballants comme des gens au bout du rouleau.

Van Gogh tira un coup de feu en l’air. Le groupe resta figé sur place un moment et se remit en marche. Van Gogh sauta de l’ULM et se dirigea vers eux.

-Qu’est-ce qu’il fout s’écria Jean ?

 Martin  hurla :

-Reviens  !

Celui-ci se rapprochait du groupe.

-Restez là  dit Martin descendant à son tour de l’ULM, fusil à la main pour se diriger vers tous ces gens qui à présent entouraient Van Gogh.

Jean était lui aussi descendu de son ULM mais il restait en retrait.

Poussé par la curiosité je rejoignis Martin et arrivé à ses côtés, je lui pris la main. Le groupe formait un cercle autour de Van Gogh mais il n’y avait aucune colère, aucune agressivité. Ils étaient tous aussi sales les uns que les autres et de leur corps émanait une odeur repoussante. Une femme s’approcha de moi et m’entraîna avec beaucoup de douceur au centre du cercle. Les autres se resserrèrent autour nous. Ils avaient un regard implorant. On avait l’impression qu’ils voulaient quelque chose. Certains même se mirent à genoux devant nous.

-Ils ne sont pas méchants dit Van Gogh.

Martin se tournant vers moi :

-Va chercher des boîtes de fruits au sirop.

Je revins avec trois  boîtes de pêches, de poires et d’ananas.

Martin les ouvrit et les tendit à ces êtres en haillons. A tour de rôle ils y plongèrent leurs doigts sales et s’empiffrèrent de fruits.

-Il faut y aller dit Martin.

-Mais qui sont-ils demandai-je ?

-J’en sais rien… peut-être les pensionnaires échappés d’un asile.

Nous nous éloignâmes lentement du groupe, mais à peine avions-nous atteint l’ULM qu’il y eut

 comme  des clameurs.  Peut-être nous reprochaient-ils de les abandonner ?

L’ULM piloté par Jean s’était placé dans l’axe de la piste d’herbe et prenait son envol suivi par l’ULM de Martin. Le groupe d’hommes et de femmes couraient derrière nous. Rapidement, ils ne furent plus que des choses minuscules qui s’agitaient comme des insectes dérangés dans leur mystérieuse occupation. Je pensai aux propos de Jean «  retournés à l’état sauvage » tout en me disant que les bêtes  n’implorent pas. Sur l’écran de bord s’afficha l’étape suivante à 175 kilomètres.

Encélade

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