Afriques demain
07H30 - mardi 21 avril 2020

Face au Covid-19 : L’Afrique prépare son « big-bang » de la santé

 

Accaparée par la plus grave crise sanitaire survenue depuis un siècle, l’humanité vit une période inédite et se trouve face à un tournant de son histoire. Une occasion unique de « ressentir plus que jamais la communauté de destins de toute l’humanité » pour paraphraser l’anthropologue Edgard Morin.

L’Afrique, à l’instar des autres continents, fait face à une épreuve d’urgence sanitaire sans pareil. La pandémie n’y est pas aussi rapide qu’en Europe ou aux États-Unis mais elle n’épargne plus le continent africain qui est désormais touché par le coronavirus comme le reste du monde. 

Au moment où ces lignes sont écrites, 47 pays sur 54 sont touchés. Les frontières se ferment les unes après les autres pour limiter la contagion. Les touristes et les expatriés sont renvoyés chez eux… Le huis clos peut débuter.

En fonction des pays, les écoles, les restaurants, les marchés ferment, les vols sont suspendus, des quarantaines sont mises en place pour contenir l’épidémie. Certains pays, comme l’Afrique du Sud, durement touchée, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ou le Rwanda, ont annoncé un confinement total.

Le nombre de personnes contaminées est encore faible en valeur absolue (12247 cas pour 910 décès au 16/04 – source : CDC Afrique), mais sa dynamique rapide inquiète et l’OMS insiste sur la nécessité pour « les gouvernements d’empêcher la transmission locale d’évoluer vers le pire des scénarios de transmission communautaire durable et généralisée ».

« La fragilité des infrastructures de santé et le manque flagrant de moyens humains et matériels (masques, lits de réanimation, respirateurs, etc.) font craindre un drame humain au point où le meilleur conseil pour l’Afrique est de se préparer au pire et de se préparer dès aujourd’hui », avait lancé le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une conférence de presse virtuelle.

 

Le potentiel de progrès de notre continent est extraordinaire

L’analyse détaillée du dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’attache à souligner les récents succès comme l’allongement de la durée moyenne de vie mais ne dissimule en rien les principaux obstacles encore à surmonter du continent africain. Celui-ci doit toujours affronter de nombreuses maladies endémiques, comme le paludisme, la fièvre jaune, la trypanosomiase, le choléra, la tuberculose… A cela, s’ajoutent des virus comme Ebola, le Sida et aujourd’hui le Covid-19. D’après un rapport de l’ONUSIDA, le VIH reste la principale cause de décès chez l’adulte… 66 millions de personnes vivent avec le VIH en Afrique. Même si la grande majorité des pays d’Afrique ont connu de grandes avancées pour éradiquer les maladies évitables chez l’enfant, 2,3 millions d’entre eux sont touchés par le VIH.

Aujourd’hui, on le voit bien, les difficultés et les carences demeurent en matière de santé. Elles sont caractérisées par la qualité et la densité des infrastructures hospitalières et un nombre de médecins et aides-soignants très insuffisants. A cela s’ajoute une quasi-absence de système de santé de type assurance maladie.

Autres constats négatifs : les établissements hospitaliers sont très peu présents sur le continent africain et dans certaines zones, l’état des routes rend leur accès difficile. Le manque de personnel qualifié (médecins, infirmiers) et la vétusté des hôpitaux et des équipements ne permettent pas de soigner rapidement les urgences. Par ailleurs, l’accès aux médicaments pose également problème, la cherté de certains et la difficulté d’approvisionnement entraînent un trafic.

 

Néanmoins, l‘Afrique a toujours su développer une capacité de résilience unique face à la maladie en général et aux épidémies en particulier.

En Afrique, la santé est devenue un axe plus que stratégique.  Les dépenses consacrées à la santé représentent près de 4% du PIB des pays du continent et ce pourcentage ne cesse de progresser. Mais la majorité des fonds accordés à la santé proviennent majoritairement d’initiatives internationales et de sources privées.

Le développement de la santé publique dans un pays donné est aussi intimement lié à ses capacités propres en matière de fourniture de tout ou partie de médicaments et dispositifs médicaux de base. Plusieurs pays d’Afrique ont développé une industrie pharmaceutique plus qu’honorable  tels que l’Afrique du sud, l’Algérie, l’Égypte, la Cote d’ivoire, le Kenya, le Maroc, le Nigeria, le Soudan et la Tunisie.

La maîtrise technologique et le « savoir-faire » capitalisé par ces pays pourrait constituer un atout majeur dans le cadre de la coopération entre les pays africains en particulier en matière de transfert de technologie.  

Le partage des expériences en matière d’organisation des systèmes de santé, de prévention des maladies transmissibles, d’accessibilité aux soins et de distribution des produits pharmaceutiques fera gagner du temps et de l’argent  à beaucoup de pays.

Par-delà, la pandémie du Covid-19, les défis auxquels l’Afrique est confrontée aujourd’hui en matière de santé sont déterminants pour son développement, nécessitant ainsi de renforcer rapidement et de manière tangible ses politiques de santé notamment au regard des progrès de l’innovation et des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications (NTIC).

 

Les TIC adaptées à la santé suscitent un foisonnement d’initiatives sur le continent africain

Dans cette optique, il faut suivre et généraliser, sur le continent tout entier, l’exemple du Bénin. Le gouvernement y a adopté un projet assurance, subventionné par l’État, pour le renforcement du capital humain en facilitant l’accès aux services sociaux de base.

Une application est aussi en cours d’expérimentation « Safe Delivery App » en Ethiopie, qui permet de former les sages-femmes éthiopiennes à prévenir et gérer les complications liées à la grossesse, ainsi la mortalité infantile a déjà baissé de 40%.

Dans le même esprit, le Dr Arielle Ahouansou a créé une carte médicale universelle, qui, grâce à un QR code à scanner, permet d’avoir accès à tout l’historique du dossier médical d’un patient instantanément. Avec ce dispositif, n’importe quel médecin peut recevoir immédiatement les informations concernant la santé de son patient afin d’agir au plus vite. 

En Côte d’Ivoire, l’accent est mis sur la vaccination à travers l’application créée par Dr Etché Noël N’Drin, OPISMS. Ce carnet de vaccination électronique, pour 1,50€ par an, vous envoie des SMS pour les rappels de vaccins chez les enfants, mais également pour les épidémies en cours et permet évidemment l’accès à l’historique de vaccination des patients. 

A l’instar d’autres pays africains, le Ministère de la Santé algérien s’emploie à introduire le dossier médical électronique « Sihatic », mais aussi la télémédecine appliquée à la cardiologie, la neurologie et la diabétologie ou bien encore le numérique au service de l’enseignement et du partage du savoir.

C’est dans cette optique, que tous ensemble, nous devons unir nos forces et nos talents et réussir ce grand défi, celui de mettre en place une politique de e-santé africaine en mesure de surmonter les contraintes liées au sous-développement du continent.

Ce n’est qu’en accordant nos efforts, en s’engageant plus concrètement, que l’on pourra façonner une politique de santé africaine innovante, performante et résiliente.

 

Plaidoyer pour une politique africaine dans le secteur de la e-santé

Face au Covid-19, l’e-santé constitue clairement une réponse innovante et extrêmement concrète aux défis collectifs posés par un sous-développement chronique.

Il faut inciter la communauté scientifique à poursuivre ses efforts de recherche et de développement d’outils concrets et de processus innovants accessibles à tous, pour soutenir l’adaptation des politiques de santé africaines face aux défis à venir.

De même, afin d’améliorer les objectifs de santé de ses populations, l’Afrique doit concevoir un nouveau modèle, pour ne pas dire son propre modèle. Elle a pris le parti de prendre de l’avance en matière de nouvelles technologies (satellite, fibre, 5G, etc.), qu’elle adapte parfaitement à son environnement à travers « la santé digitale » ou encore « l’e-santé » : véritable espoir pour l’Afrique.

De nombreux projets utilisant les TIC sont notamment en cours, que ce soit dans la mise en œuvre de messages de prévention, de la téléassistance, des diagnostics à distance, des échanges et de la transmission de données entre professionnels, ou encore de systèmes d’alerte en cas de situation à risque, du contrôle de l’authenticité des médicaments, de l’identification et du suivi des patients atteints de maladies infectieuses…

Dans tous ces domaines, les technologies de l’information et de la communication apportent des solutions concrètes et accessibles à tous les Africains.

 

Il y aura certes un avant et un après Covid-19

La situation extraordinaire que nous vivons aujourd’hui pourrait devenir demain une situation presque ordinaire. Le Covid-19 a battu en brèche tous les scénarios établis chacun dans leur coin, en fonction de modèles égocentrés et caducs.

Cette pandémie mondiale est une immense tragédie mais elle constitue pas moins un défi pour bâtir en commun une Afrique de la santé, innovante, pragmatique, efficace et plus solidaire. 

 

Douaifia Moncef

Pharmacien industriel expert-consultant auprès du Laboratoire de recherche et de développement d’IMC