Edito
07H12 - jeudi 6 février 2020

Au secours, les frondeurs reviennent… chez LREM. L’édito de Michel Taube

 

Il était une fois une princesse, France, qui flottait, endormie, sur une mer calme, tanguant tantôt à bâbord, tantôt à tribord, avant que le prince, le bel Emmanuel, ne vienne la réveiller d’un baiser qui déchaîna les flots. Mais le bateau princier prit le large, avec dans son sillage une armada de petits navires, qui n’avait ja, ja, jamais navigué loin de leurs rivages respectifs, à l’est ou à l’ouest, à droite ou à gauche. Mais, mal de mer oblige ?, en pleine croisière, le prince snoba la princesse, qui se rebiffa, jaune de colère, et négligea sa cour de nouveaux notables réunis en assemblée qui, il est vrai, lui devaient tout. Jusqu’au jour où, suite à un couac, un de plus, le pince se fâcha accusant sa cour d’inhumanité : comment, bande d’imbéciles, avez-vous pu vous opposer à une proposition de loi de Sieur Lagarde et consorts portant le congé parental à douze jours après le décès d’un enfant ?

Que ne fit, que ne dit le prince Emmanuel, Macron de son nom, que nous appellerons président de la République (le conte de fées étant terminé) ? Que sa majorité devait faire preuve d’humanité.

Un ministre aurait déclaré au Figaro « Pour moi, un député de la majorité ne sert à rien. Il est là pour voter, avoir une mission de temps en temps, et surtout fermer sa gueule ! ». Bref, inhumain et inutile ! Cela fait beaucoup pour un élu !

Colère rentrée pour tous ses soutiens, lâchée ouvertement pour certains membres du gouvernement et de la majorité présidentielle, le fil de la confiance entre le big boss et ses équipes commence-t-il à se rompe sur ce mot perçu comme injuste : humanité !

Pour Macron, l’affaire du congé pour deuil parental risque de résonner comme l’affaire Leonarda pour Hollande. Sera-t-elle cette goutte d’eau qui fera déborder le vase et emporter la confiance qui faisait de la macronie un roc indestructible à ses débuts ?

Manque d’humanité ? Certains députés restent coi car plusieurs élus d’En Marche protestent d’avoir rejeté la proposition de loi UDI non par inhumanité mais parce qu’ils comptaient, avec le gouvernement et plus particulièrement le cabinet du secrétaire d’Etat à la petite enfance, Adrien Taquet, renvoyer à un prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) le soin de faire appel à la solidarité nationale pour financer ce deuil parental.

Ce couac parlementaire va-t-il ouvrir la boîte de Pandorre et miner voire éclater la cohésion de la majorité ? Attention, les frondeurs reviennent ! Depuis le début de la législature, une dizaine de députés ont quitté le groupe LREM, alors que la composition du gouvernement n’est pas un modèle de stabilité.

Cette remontée de bretelles est mal perçue au sein du groupe parlementaire LREM, qui a de bonnes raisons de se sentir bon à rien, si ce n’est de voter sans broncher les projets que le gouvernement lui soumet. Mais n’est-ce pas le sort de toutes les majorités sous la Vème République, que de fournir au président une cohorte de députés godillots ? Nous étions partis d’un prince, nous revoilà au roi, à la monarchie républicaine.

Le malaise au sein de la majorité est bien réel, et peut-être plus grave et profond que le Chef de l’État ne le pense. Emmanuel Macron n’est pas populaire. Il serait même plus clivant que naguère Nicolas Sarkozy, auquel ce reproche était régulièrement fait. La crise sociale n’a pas de fin, les élections municipales s’annoncent peut-être désastreuses pour LREM, l’hypothèse d’une victoire de Marine Le Pen à la prochaine présidentielle n’est plus écartée…

Pire, idéologiquement, la macronie semble perdre son équilibre intellectuel : le « en même temps », le dépassement, l’absorption du duel droite – gauche dans un nouveau centrisme progressiste s’érode dangereusement. Le navire tangue sérieusement à tribord !

Or l’électorat macronien penche à droite, tout comme son gouvernement, de nombreux élus LREM viennent de la gauche. Certains ont déjà manifesté leur mécontentement, par exemple sur des questions relatives à l’immigration. Mais cette fois, l’exigence d’humanité formulée par le locataire de l’Élysée a déclenché une onde de contestation qui pourrait bien être annonciatrice d’une véritable fronde comme en a connu son prédécesseur, voire d’une cassure de la majorité dont nul ne sait encore si elle pourrait aller jusqu’à la reconstitution de la veille France, celle du PS et de LR, avec pour corollaire la disparition pure et simple de LREM.

Les frondeurs du parti socialiste avaient précipité le déclin du PS jusqu’à amener François Hollande à renoncer à briguer un second mandat présidentiel. Emmanuel Macron, qui assista au spectacle en qualité de ministre, ne peut l’oublier.

Certes, nombreux sont les rats tentés de quitter le navire macronien qui doivent non seulement leur siège de député, mais aussi leur existence politique, à Emmanuel Macron. Qu’est le groupe LREM à l’Assemblée, si ce n’est un vaste conglomérat de jeunes aventuriers en politique et, pour d’autres, de déçus (ou de déserteurs ?) de la gauche et de la droite, autour d’un noyau dur des fidèles de la première heure ? C’est bien connu : en politique, retourner sa veste n’est pas une trahison, mais un acte de bravoure, parfois un sacrifice, dans l’intérêt de la nation. C’est pourquoi il est si risqué de mépriser sa majorité, de ne pas l’écouter, de lui faire la morale, sans s’interroger d’abord sur sa propre faculté à diriger son équipe.

La scène politique est en décomposition et recomposition permanente. Les partis ont toujours été traversés de clivages, mais au sein de chacun d’eux existait soit un socle idéologique commun, soit un chef charismatique et rassembleur. Avant LREM, François Hollande était l’homme de la synthèse, avant que les frondeurs imprégnés d’illusions marxistes et multiculturalistes ne ne se diluent plus dans la sociale démocratie dont se réclamait François Hollande.

Et que dire de la droite ? Outre les élus ayant rejoint Emmanuel Macron dans les pas d’Édouard Philippe, ses électeurs sont partis en nombre chez Macron, mais aussi chez Le Pen. Quant à la gauche actuellement dominante, celle de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi de la CGT qui fait plus de politique que de syndicalisme, elle est tiraillée entre l’islamo-gauchisme et un Mélenchon plus républicain qui pourrait se faire écarter par une base encore plus sécessionniste que lui.

À cette soupe politique qui à force d’avoir tous les goûts n’en a plus aucun, s’ajoutent désormais les écologistes. Hier, ils étaient encore plus rouges que verts, mais demain, il n’est pas exclu que Yannick Jadot tente un rapprochement avec LREM, sans écarter l’idée d’une nouvelle union de la gauche.

Il y a pourtant une singularité de la macronie. Son crédo est le « en même temps ». En même temps à droite et à gauche. Ce crédo devenu slogan symbolise le pragmatisme et la réalité dans toute sa diversité, à l’inverse de l’approche dogmatique. Mais chacun sait qu’à vouloir plaire à tous, on risque surtout de décevoir tout le monde. Emmanuel Macron risque de payer au prix fort de s’être frotté aux limites de l’exercice, de rendre sa politique illisible, parfois sans humanité expliquée au commun des mortels que nous sommes.

En même temps quoi ?

Le Chef de l’État, patron de fait du parti majoritaire, comme c’est toujours le cas sous la Vème République, est confronté au délicat exercice de gestion de ses propres ressources humaines. Il peine à tenir ses troupes, s’entoure de ministres gaffeurs ou mauvais communicants (mais oui, la communication est importante lorsqu’elle est outil et non finalité) et commet lui-même des erreurs qui peuvent devenir des fautes politiques si elles blessent ou humilient. 

 

Michel Taube

 

Directeur de la publication