Edito
13H04 - lundi 6 janvier 2020

Assassinat du général iranien Soleimani : et si Trump avait (encore) raison ? L’édito de Michel Taube

 

 

Doit-on vraiment craindre une escalade après l’élimination du général iranien Qassem Soleimani par les États-Unis ?

Peut-on essayer de comprendre pourquoi une partie de la jeunesse iranienne et irakienne, qui depuis des mois, se bat et ose manifester pour sa liberté, a salué la disparition de l’un des hommes forts du régime des Mollahs, proche des plus conservateurs à Téhéran ?

Le général Qassem Soleimani, homme fort du régime iranien, en charge de ses activités extérieures (guerre, terrorisme, déstabilisation…), notamment en Irak, a été liquidé par une frappe américaine à proximité de l’aéroport de Bagdad. Abou Mehdi al-Mouhandis, autre chef militaire très influent, figure également parmi les victimes. Les officiels iraniens se disent persuadés que les forces américaines disposaient de renseignements détaillés sur le convoi ciblé par deux missiles tirés par hélicoptère.

En Europe et même aux États-Unis (en phase préélectorale), nombreux sont ceux qui considèrent cette élimination comme un acte de guerre, craignant qu’il marque le début d’une escalade. En France, on pratique l’élimination ciblée depuis longtemps (dixit François Hollande) et on se félicitait en novembre dernier de celle du Marocain Abou Abderahman al Maghrebi, connu sous le nom de Ali Maychou. Mais lorsque les États-Unis ont recours à cette méthode, qui a l’avantage d’épargner les populations civiles, on crie au scandale et au risque d’engrenage.

Pourquoi tant de mansuétude à l’égard des agissements expansionnistes de cette théocratie islamiste médiévale, qui asservit une des plus grandes et plus anciennes civilisations de la planète ? À Téhéran, les mollahs et ayatollahs sont honnis par une grande partie de la population, en particulier par la jeunesse étouffée par ce carcan pseudo religieux qui n’est que prétexte à la dictature. Certes, Qassem Soleimani jouissait d’une certaine popularité (surtout parmi les proches du régime) et son élimination pourrait temporairement raviver le nationalisme iranien. Tel est en tout cas l’espoir du régime. Et alors ? Est-ce une raison pour le laisser agir à sa guise ?

La France, soucieuse de préserver ses intérêts commerciaux, regrettait la dénonciation par l’administration Trump de l’accord sur le nucléaire, oubliant que si Téhéran en avait (peut-être) respecté la lettre, elle en a souvent violé l’esprit, le contournant sournoisement, et surtout continuant à déstabiliser toute la région.

En Irak, la population supporte de moins en moins l’ingérence iranienne, et nous ne sommes plus loin d’une guerre civile entre chiites autochtones, attachés à l’indépendance de leur pays, et chiites pilotés par Téhéran. Certes, le Parlement irakien vient de voter une résolution demandant le retrait des troupes américaines mais le gouvernement de Bagdad sait que, s’il suit cette requête, le pays tombera sous la domination iranienne.

Au Liban, en Syrie, au Yémen, l’Iran pousse ses pions, déclenche ou entretient des conflits sanglants.  A Beyrouth, le nouveau premier ministre, Hassan Diab, est poussé par le Hezbollah pro-iranien.

L’initiative américaine, qui agit aussi face à la passivité de l’Europe, sonne comme un avertissement : on ne s’attaque pas à l’Amérique sans en payer le prix, a fortiori dans un contexte de désengagement américain du Moyen-Orient. Qassem Soleimani avait été mis en garde, mais les ayatollahs pensaient que les États-Unis étaient un tigre de papier, que l’on pouvait s’attaquer aux installations pétrolières de leur allié saoudien (autre théocratie islamiste devant laquelle nous nous prosternons, alors que le dessein de ses dirigeants les plus conservateurs est de détruire notre civilisation), s’en prendre à leur ambassade à Bagdad, voire préparer une opération de grande envergure contre des citoyens américains, si on en croit Mike Pompeo, chef de la diplomatie américaine. Mal leur en a pris.

 

Vous avez dit escalade ?

Si escalade, il y a, elle fut bien amorcée par une République islamique d’Iran de plus en plus agressive dans tout le Moyen-Orient. Trump ou pas, les États-Unis ne pouvaient se permettre de rester impassibles. La Russie ou la Chine n’auraient pas agi autrement, si elles se trouvaient dans une situation analogue et si elles en avaient les moyens militaires. Pas davantage qu’Israël, qui s’en prend régulièrement aux installations iraniennes en Syrie, sous l’œil impassible et à certains égards complice de Moscou, dont les protestations sont purement formelles. Si l’Iran sert les intérêts chinois ou russes, il n’est qu’une carte dans leur jeu, trop ingérable et dangereux pour être considéré comme un véritable allié. Le coup de semonce américain devrait donner à réfléchir à l’Ayatollah Ali Khamenei, qui crie vengeance. Qassem Soleimani était un des hommes les plus protégés de la planète. Et pourtant…

Quelle serait la vengeance de Khamenei et en quoi l’élimination de ce général iranien serait responsable d’une escalade ? Les fanfaronnades iraniennes ne peuvent dissimuler la réalité du rapport de forces. Face à l’ogre américain (environ la moitié du budget militaire mondial), l’Iran ne fait pas le poids. Sauf à signer son arrêt de mort ou celui de son régime, Ali Khamenei préférera sans doute s’en prendre aux alliés des États-Unis, en Irak, en Syrie, au Liban, dans le Golfe persique, peut-être en Israël par le biais de ses marionnettes (le Djihad islamique à Gaza ou le Hezbollah libanais). Sauf que la réponse israélienne pourrait sonner le glas de la présence iranienne en Syrie et au Liban.

Donald Trump, qui n’a pas averti le Congrès de son initiative, a peut-être pris un risque, car il n’est pas acquis que la logique du rapport de forces s’impose aux fanatiques religieux de Téhéran. Mais déjà étouffée par les sanctions économiques, la République islamique ne peut s’offrir une confrontation militaire avec les États-Unis ou ses plus puissants alliés.

Aussi, il ne serait pas surprenant que Téhéran se contente d’une riposte symbolique, pour « sauver l’honneur ». Le moment approche où le régime iranien n’aura d’autre préoccupation que d’assurer sa survie. Jusqu’à ce que cette douloureuse parenthèse de ce grand pays se referme, au plus grand bénéfice de son peuple.

 

Michel Taube

Directeur de la publication