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07H00 - mardi 17 décembre 2019

La chienlit française sur les retraites : 2. L’indispensable restriction du droit de grève dans les transports. La chronique de Raymond Taube

 

Le droit de grève figure, parmi d’autres, au panthéon des acquis sociaux parce que sa négation renvoie à quelques pratiques indignes (parmi d’autres, également !) comme le travail forcé ou l’esclavage. Mais de même que la liberté (et que dire de l’égalité ?) ne peut être absolue, le droit n’a de justification que lorsqu’il sait se confronter au réel. La règle de droit n’est pas un dogme, mais un outil au service de la « gestion des affaires de la cité », une science politique en d’autres termes.

L’abus de droit est sanctionné par la jurisprudence. Il permet, par exemple, de condamner un maniaque des procès qui multiplie les actions judiciaires dans le seul but de nuire (Cour de cassation, 1er décembre 1968).

Le droit de grève n’a jamais été absolu. Dans un souci de protection de l’État, certaines fonctions comme la police ou l’armée en sont exclues. Le souci de continuité du service public a également conduit à restreindre le droit de grève dans d’autres secteurs, par le biais de l’instauration d’un service minimum.

En Europe, celui-ci est la règle dans le secteur des transports, comme il se doit dans une économie très largement basée sur la mobilité. En Italie et en Espagne, des pays latins où les mentalités sont plus proches de la nôtre, la grève dans les transports est interdite aux heures de pointe et les jours de fête les plus importants (Noël, Nouvel An, Pâques).

En France, le service minimum, qui existait déjà dans certains secteurs comme le contrôle aérien, la santé ou le nucléaire, fut étendu aux transports terrestres réguliers de voyageurs et à l’école en 2007. Par ailleurs, les entreprises de transport sont considérées comme des opérateurs d’importance vitale (OIV), au sens de l’article R. 1332-2 du Code de la Défense.

Défense, certes, mais il n’y a pas que la guerre, le terrorisme, le piratage informatique ou le sabotage qui peuvent paralyser les transports publics. L’actuelle grève de la SNCF et de la RATP démontre l’inefficacité quasi totale de la loi de 2007 sur le service minimum.

À vrai dire, du moins en ce qui concerne la SNCF, on a tort de stigmatiser son personnel et de mettre tous les agents de cette société dans le même panier. Environ les ¾ d’entre eux sont au travail. Ce sont surtout les conducteurs qui font grève, soit quelques milliers d’individus qui croient encore qu’ils pourront prendre une grasse retraite avant les autres et vivre 40 ans au frais de la princesse, donc de chacun d’entre nous.

Parmi ces conducteurs, tous ne partagent pas cet égoïsme doctrinaire. Mais les sceptiques ou les opposants à la doxa syndicale au sein de ces deux entreprises publiques n’y ont pas véritablement voix au chapitre. Les conducteurs de la SNCF et de la RAPT, c’est un fief de la CGT et de Sud Rail. S’opposer à leurs visées revient à être désigné comme traître, à la solde du pouvoir. Tout le monde a pu voir la haine des grévistes à l’égard des chauffeurs de bus voulant travailler. Dans les assemblées générales de la CGT, il faut être téméraire pour oser exprimer ne serait-ce qu’une nuance.

Il est grand temps que la France se dote d’un véritable service minimum dans tous les secteurs vitaux, sans aller jusqu’à proposer, comme en Allemagne, que tous les fonctionnaires statutaires (et non les contractuels) soient interdits de grève, comme contrepartie, parfaitement acceptée outre Rhin, de la sécurité de l’emploi.

Comme le rappelle à fort juste titre Didier Maus, dans sa chronique pour Opinion Internationale, le Conseil constitutionnel a déjà considéré que la grève peut être de nature à porter atteinte à l’intérêt général. Les Français le vivent quotidiennement depuis le 5 décembre !

La continuité des transports en commun, que la chasse à la voiture que mène Anne Hidalgo à Paris rend plus essentielle encore, n’est pas seulement vitale à l’économie. C’est toute la vie sociale qui en dépend, et il est incompréhensible et injustifiable qu’une poignée d’irréductibles puissent ainsi abuser du droit de grève et empêcher ceux qui veulent travailler de le faire (encore une violation d’une loi fondamentale qui reste totalement impunie), compromettre la continuité du service public, transformer le quotidien de millions de personnes en enfer, porter atteinte au budget de nombreuses familles, entraîner des faillites de commerçants qui se battent pour survivre (et dont la retraite est généralement une misère), nuire à l’image de la France dans le monde, et donc à l’industrie du tourisme et aux investissements étrangers.

Oui, il est en temps que le législateur prohibe véritablement de pareils blocages, au moins aux heures de pointe, comme cela est le cas dans d’autres pays qui ne sont pas moins démocratiques et moins respectueux du droit de grève que la France. La raison du plus nuisible, a fortiori s’il est très minoritaire, ne peut être la meilleure. Bien entendu, le législateur devrait s’assurer que la violation de l’obligation de continuité du service public des transports soit sévèrement sanctionnée, sans doute même pénalement, car une loi n’a de sens que si elle est appliquée.

La non-exécution des peines est un autre problème qui participe également à la déliquescence généralisée de l’État de droit. Nous y reviendrons tantôt.

 

Raymond Taube

Rédacteur en chef d’Opinion Internationale et directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique

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Directeur de l'IDP - Institut de Droit Pratique

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