Le 10 octobre 2018, le magazine scientifique NATURE publiait un article sur le devoir urgent de modifier notre régime alimentaire, et notamment notre consommation de viande, pour sauver la planète.
Nous ne pouvons que nous féliciter de cette prise de conscience qui doit toucher directement nos habitudes personnelles, mais aussi nous interroger sur notre santé et nos modèles économiques de production, dans l’industrie de la viande, de l’élevage au sens large, et sur l’intérêt grandissant pour les céréales (pois, soja…) fournissant des protéines végétales, dont la demande accrue modifie les cours à la hausse.
Pourtant, l’étude de Marco Springmann de l’université d’Oxford conclut à la nécessité d’un bouleversement réel de notre régime alimentaire et de nos modes de production agricole, qui aura vu la génération des baby-boomers multiplier sa consommation de viande par quatre. Continuer sur cette lancée se traduirait par une augmentation de plus de 30 % des émissions mondiales de CO2, si rien n’était entrepris.
La diète « flexitarienne » (réduction de sa consommation de viande et de poisson dans son régime alimentaire) devient donc une évidence pour les pays riches, face à la demande croissante de protéines d’origine animale des pays émergents, et cela d’autant plus que les études nombreuses impliquent une surconsommation de viande (sauf volailles et lapin) comme étant à l’origine de problèmes cardio-vasculaires ou de certains cancers digestifs.
Les chiffres annoncés dans cette étude tablent sur une réduction moyenne à échelle planétaire de 75 % de notre consommation de viande rouge pour atteindre les objectifs fixés au niveau des émissions de gaz (CO2 et méthane pour les bovins).
Evidemment, la viande bovine est encore considérée dans bon nombre de pays comme un luxe, et la Chine ne consomme que 28 % de cette « viande du millionnaire ». Il n’en reste pas moins que les chiffres augmentent chaque année.
Bien conscientes des enjeux de santé (hypertension, diabète et certains cancers) et de l’impact de ses habitudes de consommation sur la pollution atmosphérique, les classes moyennes chinoises ont mieux intégré l’idée de lutte contre le changement climatique et le gouvernement planifie une information nutritionnelle officielle qui recommande vivement la diminution des protéines d’origine animale avec une augmentation de légumes et céréales dans une politique de santé globale pour combattre l’obésité, concept culturel de prévention, prégnant en Extrême Orient.
On remarque également une nette prise de conscience du consommateur des pays occidentaux, moindre qu’en Chine, mais en nette progression, dans la génération des Milléniums. Ceux-ci, mieux informés et sensibles à la condition animale, mesurent mieux l’impact de l’augmentation constante de la consommation de viande, au regard de la pollution que cela génère (GES, prolifération d’algues vertes, pollution des sols, consommation d’eau nécessaire pour produire des céréales données ensuite au bétail et pollution des nappes phréatiques par les déjections des animaux d’élevage…) et décident d’être des consommateurs capables d’exprimer leur désir de changement des habitudes alimentaires et des pratiques d’élevage.
Rappelons que la diminution de consommation de protéines d’origine animale (responsable à elle seule d’environ 75 % des GES) est montrée du doigt par le GIEC comme une évidence, pour avoir la capacité de nourrir les 10 milliards de terriens de demain, soit une viande rouge, une seule fois, par semaine et par personne. De plus, l’élevage intensif a l’effet le plus délétère sur nos écosystèmes avec une déforestation importante dans les pays producteurs de bovins (notamment en Amérique latine, Afrique et Asie), une quantité d’eau importante et cette problématique du transport de bêtes d’un pays « naisseur » à d’autres « éleveur », voire un dernier « abatteur » … ce problème étant particulièrement observable dans l’Union Européenne.
La réflexion doit être rapide pour le consommateur et les industries concernées. La réflexion, et surtout l’action ! La modélisation de ce nécessaire bouleversement sera de plus impactée de façon défavorable ces prochaines années par le changement climatique, effet néfaste sur certaines cultures de céréales, notamment avec le manque d’eau ou par des maladies plus nombreuses apparaissant sur des végétaux fragilisés par la chaleur… Or ces céréales nourrissent le bétail, répercutant indirectement un coût de production plus élevé sur la filière élevage.
L’ONU répond à ce cri d’alarme en sensibilisant sur la réduction du gaspillage (qui représente 30 % de la production mondiale globale) et souvent pour des questions de normes (léger défaut de présentation qui n’altère en rien la qualité de la production de légumes ou fruits, par exemple), stocks détruits et envoyés au rebut…
Que sera donc le steak de demain ? Déjà, dans nos rayons de supermarchés, nous observons depuis quelques années l’augmentation d’intérêt du consommateur pour les steaks végétaux d’origine céréalière, ainsi que l’apparition du « vromage », fermentation de noix qui évoque, de façon plus ou moins réussie, notre tradition hexagonale du fromage, à base de laits de vache, brebis et chèvre.
On relèvera aussi la mobilisation de la recherche (notamment aux Etats Unis) autour de la culture de cellules souches d’origine musculaire, dans le but de fabriquer une viande artificielle, exempte, par définition, d’antibiotiques. L’objectif est de proposer des alternatives innovantes, avec des coûts de production compétitifs. De plus, cette « viande hachée de culture », produite In Vitro, consommera moins d’eau et aura un impact positif sur la réduction des Gaz à Effet de Serre (GES)… A suivre donc, notamment sur la question du goût !
Enfin, des sites ou des applications permettent de mieux s’informer et ont déjà eu un impact sensible sur l’industrie de l’agro-alimentaire qui a réagi et modifié certaines de ses recettes, jugées « non vertueuses » par les consommateurs.
Anne-Carole Nilsson
Conseillère scientifique, consultante indépendante en développement durable et enjeux de santé