Edito
07H56 - mardi 26 mars 2019

Les Émirats arabes unis de retour sur la liste noire des paradis fiscaux de l’Union Européenne. Conférence le 4 avril et édito de Michel Taube

 

En septembre 2018, malgré des révélations accablantes de fraude et de blanchiment à grande échelle, les Émirats arabes unis semblaient intouchables. Six mois plus tard, les voici dans l’œil du cyclone de l’Union Européenne. Pourquoi et pour combien de temps ?

C’est tout l’enjeu de la conférence (inscription obligatoire avant vendredi 30 mars) qu’organise Opinion Internationale le 4 avril à l’Assemblée Nationale, dans sa série « les questions qui réconcilient » : pourquoi les Emirats Arabes Unis sont-ils à nouveau classés dans la liste noire des paradis fiscaux de l’Union Européenne ? » avec Sébastien Nadot, député de la Haute-Garonne, Anthony Bellanger, journaliste BFMTV et France Inter, Nabil Malek, homme d’affaires et romancier, auteur de « Dubaï, la rançon du succès », Pierre-Louis Vernhes, ingénieur, observateur des EAU où il a vécu dix ans.

Alors que sous l’égide de l’OCDE, les pays développés ont décidé en 2010 de renforcer la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent sale à une échelle planétaire, certains États se sont contentés de mesures en trompe-l’œil, n’ont pris aucun engagement ou n’ont pas tenu ceux qu’ils avaient pris. Parmi eux, les Émirats arabes unis se sont particulièrement illustrés, considérant que leur position privilégiée, notamment dans les conflits régionaux à l’abri de leur puissant allié saoudien, leur vaudrait une éternelle impunité. Jusqu’à ce que les Dubaï Papers ne permettent plus aux Occidentaux de faire semblant de ne pas savoir, car en réalité, ils savaient. Une magnifique occasion pour l’Union européenne de démontrer son utilité, à quelques mois d’élections très délicates pour les adeptes de la construction européenne.

Ainsi, le 12 mars dernier, après des aller – retour qui pourraient donner le tournis (en espérant qu’un Royaume-Uni brexité ne rejoigne un jour la liste des paradis fiscaux…), la Commission européenne sortait une nouvelle liste de 15 Etats dans sa liste noire des paradis fiscaux.

Les Emirats Arabes Unis, qui l’avaient quitté un an auparavant, y faisaient leur grand retour. Pourquoi donc ?

Les révélations des Dubaï Papers ?

Il y a peu, les lanceurs d’alertes occupaient le devant de la scène, avec leurs « leaks » (fuites) et, pour ouvrir le bal, les fameux WikilLeaks, initiés par Julian Assange en 2006, qui alimentèrent les médias sur les coulisses de la politique mondiale. Suivirent les SwissLeaks et LuxLeaks, puis la vague des « papers » (documents) : Panama Papers, Paradise Papers, Saoudi Papers (étrangement passés inaperçus ces derniers) et maintenant Dubaï Papers.

Cette fois, ce n’est pas la diplomatie internationale qui est dans le viseur, mais la fraude fiscale massive et le blanchiment qui, à pareille échelle, prennent une dimension géopolitique. Faut-il s’y habituer, considérer que c’est une statistique et non un drame ? Non, assurément. Mais avant de dénoncer, il faut comprendre, expliquer. Que sont les Dubaï Papers qui nous intéressent aujourd’hui et en quoi sont-ils bien autre chose que des révélations « banales » sur un paradis fiscal, un de plus peut-être, mais que l’Union européenne vient d’inscrire sur sa liste noire. Et surtout, pourquoi l’UE a-t-elle pris une décision aussi radicale, tant financièrement que politiquement ?

C’est le Nouvel Obs qui révéla les Dubaï Papers dans un article publié le 5 septembre 2018. A la manœuvre de ce système bien huilé d’évasion fiscale et de blanchiment de capitaux, on trouve le groupe Helin, installé aux Émirats arabes unis, au cœur de l’action. A l’image des autres experts en opacité fiscale, comme l’Union des Banques Suisses (UBS), récemment condamnée à une amende de 4,5 milliards d’euros par le tribunal correctionnel de Paris pour évasion fiscale massive, le groupe Helin sait choisir ses clients : des grandes fortunes du monde de la finance, de l’industrie, notamment françaises, mais aussi du sport. S’y ajoutent des oligarques russes et quelques aristocrates sans doute en mal de plages paradisiaques.

L’histoire est digne d’un roman d’espionnage : une ancienne banquière britannique, Geraldine Whittaker, associée au prince belge Henri de Croÿ dirigent les opérations. Lorsque ce dernier fut poursuivi (avant d’être acquitté) par la justice belge, il s’évertua à épaissir le brouillard émirati : utilisation de pseudonymes, prête-noms, sociétés-écrans, transactions fictives… L’imagination fut sans limites pour nourrir et faire grandir cette organisation aux allures mafieuses. En France, c’est un ancien cadre d’Areva, Sébastien de Montessus, qui tint la baguette, comme le révèle l’enquête de l’Obs, un personnage désormais mis en examen pour abus de confiance, corruption active d’agent public étranger et corruption passive. Finalement, c’est un chèque sans provision de 18 millions d’euros émis par un client, le financier russe Aleksei Korotaev, proche de Vladimir Poutine, qui mit le feu aux poudres, faisant conclure à certains que le Kremlin aurait en quelque sorte fait office de lanceur d’alertes !

 

Pourquoi la décision de l’UE d’inscrire Dubaï sur la liste des paradis fiscaux ?

Plus que les deux cents clients du groupe Helin et les millions d’euros soustraits au fisc, principalement en Europe, c’est le rôle tenu par les Émirats qui mérite toutes les attentions. Il n’y a, a priori, aucune raison que ce pays n’accorde ses faveurs qu’au seul groupe Helin.

D’abord, s’agit-il véritablement de révélations ? Pour le grand public, peut-être, mais dans les milieux « bien informés », on savait depuis longtemps que Dubaï n’était pas seulement une cité moderne au cœur du Golfe persique. (ou arabique selon les points de vue), un paradis touristique exhibant avec fierté ses hôtels luxueux dans des tours de plus en plus hautes, au point de se demander s’il n’y avait une dimension freudienne dans cette quête du plus grand, plus gros, plus haut… Alors pourquoi avoir attendu 2019 pour prendre acte de ce que les Émirats arabes unis sont une véritable plateforme de blanchissement d’argent sale, à grande et sans doute même très grande échelle ?

L’attitude des autorités émiratis a sans doute contribué à la décision de l’Union Européenne : arrogance, mensonges, dissimulation. Comme le souligne l’avocat William Bourdon, président de Sherpa, une association qui lutte contre la fraude économique, Dubaï a signé tous les accords contre le blanchiment et l’évasion fiscale : en 2000, ce fut la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée. En 2003, elle signa la Convention de Merida pour la lutte contre la corruption. Du « ripolinage de façade », souligne l’avocat, qui rappelle la place stratégique de Dubaï dans le concert géopolitique de la région, dont sunnites et chiites se partagent la domination.

En septembre 2018, William Bourdon donnait le sentiment d’une impuissance conduisant au fatalisme : « L’idée que des sanctions pourraient exercer une quelconque contrainte sur Dubaï reste pour l’instant un pur fantasme. » Et pourtant, ce 12 mars 2019, l’Union européenne inscrivit les Émirats sur la liste des paradis fiscaux. Qu’est-il advenu dans l’intervalle ?

À vrai dire, il ne s’agit pas d’une première, car les EAU figuraient déjà sur cette liste noire en 2017, avant d’en être retirés sur fond d’engagements et de promesses jamais tenus. L’occasion était trop belle, pour une Union européenne si critiquée par sa population que sa pérennité s’en trouve compromise, de brandir sa puissance et de démontrer aux citoyens européens qu’elle sait être protectrice, notamment en luttant contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent sale.

Les mesures internationales engagées par l’OCDE dès 2010 et les misères des banques helvètes ont été perçues comme une aubaine par les Emirats pour attirer les capitaux, notamment frauduleux, de tant de nouveaux riches aux quatre coins de la planète. Dubaï n’est pas producteur d’énergie. Cette Las Vegas du monde arabe ne doit pas son extraordinaire croissance à son seul tourisme. Elle est bien devenue une plaque tournante du blanchiment international d’argent mal acquis, une « machine à laver mondiale pour l’argent sale », disait Maître William Bourdon.

Désormais, Dubaï devra changer de programme de lavage, ou risquer que la machine ne se grippe définitivement. Un jour, il lui faudra bien payer le ravalement des constructions plus que pharaoniques financées sans gaz ni pétrole… Ou envisager des réduire significativement ses ambitions.

 

Michel Taube

 

La liste noire dressée par les ministres des Finances de l’Union européenne est fluctuante. Avant la récente révision des inscrits, seules y figuraient cinq entités : Samoa américaines, Samoa, Guam, Trinité et Tobago et les Îles vierges américaines. Comme les EAU, la Barbade et les Iles Marshall ont réintégré la liste, pour engagements non pris ou non respectés. S’y ajoutent sept nouveaux membres de ce club très sélect : Aruba, le Belize, les Bermudes, les Fidji, Oman, Vanuatu et la Dominique.

Cette liste noire est complétée d’une liste grise de trente-quatre pays : Albanie, Anguilla, Antigua-et-Barbuda, Arménie, Australie, Bahamas, Bosnie-Herzégovine, Botswana, Cap-Vert, Costa Rica, Curaçao, Eswatini (ex-Swaziland), Îles Caïmans, Îles Cook, Îles Vierges britanniques, Jordanie, Maldives, Maroc, Maurice, Mongolie, Monténégro, Namibie, Nauru, Niue, Palaos, République de Macédoine du Nord, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Serbie, Seychelles, Suisse, Thaïlande, Turquie et Vietnam.

Le 12 mars 2019, 21 autres territoires ont quant à eux quitté la liste grise, la Commission européenne estimant qu’ils ont tenu leurs engagements fiscaux : Bahreïn, Corée du Sud, Grenade, Groenland, Guernesey, Hong Kong, Île de Man, Îles Féroé, Îles Turques-et-Caïques, Jamaïque, Jersey, Macao, Malaisie, Montserrat, Nouvelle-Calédonie, Panama, Qatar, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Taïwan, Tunisie et Uruguay. 

Directeur de la publication