Solutions 21
11H10 - mardi 8 décembre 2015

Pour ne plus avoir à choisir entre lutter contre la faim et protéger l’environnement : le projet « Reverdir »

 

Comment assurer la sécurité alimentaire à l’échelle planétaire sans mettre en danger l’environnement ? Initié par Jean-François Daniel, le projet « Reverdir » entend lutter contre la dégradation des sols en proposant un hydrorétenteur entièrement biosourcé dédié à l’usage agricole.  Entretien.

 

En quoi consiste le projet « Reverdir » ?

« Reverdir » est avant tout une grande aventure agricole s’inscrivant dans un projet d’économie sociale et solidaire. Notre enjeu : réconcilier la lutte contre la pauvreté et la protection environnementale. Nous avons ainsi développé un hydrorétenteur afin de lutter contre la dégradation des sols. Il s’agit d’une substance  composée de granulés et d’engrais naturels aidant les sols à mieux retenir l’eau. Le but, c’est de rendre fertiles des terres arides, d’accélérer la croissance des plantes…

En fait, les hydrorétenteurs existent déjà depuis les années 1950, mais ils étaient jusqu’à présent issus de la pétrochimie et détenaient des substances cancérigènes et extrêmement polluantes comme les acrylamides : leur usage agricole est donc interdit. Là où nous innovons, c’est que notre hydrorétenteur est entièrement biosourcé, il ne représente donc aucun danger pour la santé ou pour l’environnement. Au contraire, il l’aide à retrouver sa vitalité perdue. Aujourd’hui, notre objectif est de faire valider le prototype que nous avons développé et testé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) afin de démarrer la production à un niveau industriel.

 

Pourquoi est-ce si important de lutter contre la dégradation des sols ?

Lutter contre la dégradation des sols, c’est d’une part lutter contre le réchauffement climatique puisque la terre et les plantes qui poussent dessus captent et absorbent du CO2. D’autre part, c’est aussi lutter contre le problème de l’insécurité alimentaire. Nous serons bientôt 8 milliards sur la planète : quand se pose la question du « comment nous nourrir tous », on ne nous propose, la plupart du temps que de fausses solutions, des produits chimiques extrêmement agressifs envers l’environnement. Nous, nous proposons  de sortir de cette alternative, en réconciliant ces deux nécessités : lutter contre la faim ou protéger l’environnement.

 

A qui s’adresse votre solution ?

Notre hydrorétenteur a d’abord été développé pour aider les petits agriculteurs victimes de la dégradation des sols – bien que dans la théorie, il puisse aussi intéresser ceux qui pratiquent l’agriculture intensive à grande échelle… Aujourd’hui, ils sont environ 500 millions dans le monde, principalement en Afrique et en Asie, et produisent 80% des ressources alimentaires des pays en développement.  Toutefois, ils doivent faire face à un manque d’argent, de temps et de moyens… Nous estimons que notre solution pourrait accroître jusqu’à 70% la productivité des terres agricoles. Pour ces derniers cela pourrait complètement changer la donne.

C’est pourquoi nous voulons commercialiser notre hydrorétenteur à bas prix (l’objectif serait de le vendre à 5 € le kilo), le produire localement. Mais le produit pourrait également intéresser tous les collectifs de défense environnementale finançant des programmes de reforestation comme « Pur Projet ».

 

Quels sont les principaux facteurs de la dégradation des sols selon vous ?

Ils sont multiples et varient selon les contextes. La principale cause en France, c’est l’urbanisation : les terres étouffent sous le ciment et perdent de leur résilience, on en a eu un bel exemple lors des inondations dans le sud cet automne…  Dans d’autres pays plus au Sud, ce sont surtout les sécheresses aggravées par le réchauffement climatique qui entraînent ce phénomène.

En Tunisie où nous faisons de nombreux tests, le nord qui a longtemps été une région humide est également en train de s’assécher. Mais plus fondamentalement, le facteur le plus essentiel est avant tout humain : les gens ne savent rien du sol sur lequel ils vivent, font paître du bétail, qu’ils cultivent à des fins aussi diverses que la production des ressources alimentaires ou de billets de banque.

Le travail de sensibilisation sur l’importance et la fragilité des sols doit être accentué.  La Terre a besoin d’un millénaire pour en produire quelques centimètres, l’être humain de seulement quelques secondes pour le détruire.

 

Vous proposez une solution à la fois sociale, adressée aux petits agriculteurs, et écologique. Pensez-vous que l’on puisse lutter efficacement contre le réchauffement climatique tout en défendant les droits de tous les agriculteurs ?

Nous proposons simplement une solution, nous n’avons pas la prétention d’affirmer que cela soit la seule voie possible. On peut très bien imaginer lutter contre le réchauffement climatique grâce à des apports de la technique sans changer grand-chose à nos pratiques. Tout est possible au point d’inventivité technique que l’être humain a atteint : par exemple, les géo-ingénieurs envisagent de sauver la planète en injectant certaines substances dans l’atmosphère dans le but d’empêcher les rayons du soleil d’atteindre la Terre… Mais la vraie question est : « est-ce qu’on va lutter contre le réchauffement climatique avec ou sans les Hommes ? ». Moi je crois tout de même qu’il est essentiel de le faire avec ceux qui sont au cœur du problème…

 

Pensez-vous que les tous les agriculteurs, même ceux qui  pratiquent la culture intensive, ont leur rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique?

Pendant des années, l’Etat a encouragé les agriculteurs à pratiquer la culture intensive, à produire toujours plus pour nourrir le plus de personnes possibles. Aujourd’hui, nous constatons les effets dramatiques de l’agriculture industrielle intensive dopée aux substances chimiques agressives : perte de la biodiversité, absence de résilience des sols… Du coup, les agriculteurs sont tout à coup pointés  du doigt alors qu’ils ont été encouragés pendant des années à travailler de cette manière.

Il est évident que nous courrons à notre perte avec le modèle d’agriculture intensive prédominant actuellement. Cependant, il ne s’agit pas d’exclure ceux qui le mettent en pratique mais de les accompagner dans le changement : tous les agriculteurs ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, ceux-là en particuliers, ils doivent même en être les leaders en assainissant leur pratique, en revenant vers des façons de cultiver plus respectueuses de l’environnement. Les politiques ont un rôle extrêmement important à jouer là-dedans, mais ce ne sont pas les seuls, les consommateurs ont aussi une responsabilité sur ce que produisent les industriels et la façon dont ils le font. Il faut comprendre qu’acheter n’importe quel fruit ou légume en n’importe quelle saison comme on peut le faire en Europe ou dans tous les riches pays industrialisés, ce n’est tout simplement plus possible.