Why?
16H43 - lundi 9 mars 2015

Non, la « Journée de la femme » n’existe pas

 

 

Le 8 mars touche à sa fin. « Voilà, maintenant vous pouvez éteindre la télévision et reprendre une activité normale. A’tchao, bonne semaine ». Mais avant, je tenais à dévoiler un scoop. Une nouvelle incroyable qui va surprendre aussi bien ses détracteurs que ses défenseurs – du moins ceux qui ne s’attachent guère aux détails… pourtant d’importance. Non,  la « Journée de la femme » n’existe pas. Ce que certains se sont efforcés de célébrer dans le monde entier aujourd’hui, c’est la Journée internationale des droits des femmes. Nuance futile ? Loin de là. 

 

Pourquoi les mots ont leur importance

Avec une telle affirmation,  d’aucuns vont hurler au purisme inutile, ou oser me mettre dans le même panier que celui où l’euphémisme est érigé en dogme. Désolée de vous décevoir : je suis peu friande de ces pirouettes linguistiques consistant à ne pas appeler un chat « un chat », au risque de choquer le pékin. Ainsi, je me meurs devant un « pronostic vital engagé », ne vois pas pourquoi un aveugle doit être appelé un « non-voyant », tombe de haut lorsqu’un handicapé est « diminué » (avouez que l’expression est cent fois pire), sursaute quand on m’annonce que quelqu’un a « payé pour l’amour » alors qu’il est allé voir une prostituée, deviens folle lorsque j’entends qu’il faut aller « voir quelqu’un » alors que franchement, on pourrait me conseiller de consulter un psy. En bref, je n’aime pas spécialement les expressions à rallonge.

 

  • « Des droits »

Alors pourquoi vouloir à tout prix rallonger le très pratique « de la femme » en « internationale des droits de » ? Premièrement, parce que ça ne va arracher la bouche de personne de prononcer deux mots de plus, les 140 caractères de Twitter ne nous étant pas (encore) imposés au quotidien. Ensuite et plus sérieusement parce que célébrer une « Journée de la femme » n’a effectivement aucun sens. Cela impliquerait, à tort dois-je le rappeler, que les 364 ou 365 autres jours ne sont consacrés qu’aux hommes. Ridicule, n’est-ce pas ? On est d’accord. Qui plus est, avez-vous déjà entendu quelqu’un célébrer les mutilations génitales à l’ONU ? Cela m’étonnerait fort. Et pour cause : le 6 février de chaque année, on y rend hommage à ceux qui « lutte[nt] contre » ces mutilations. 

Ainsi, point de Journée mondiale du SIDA (ce qui reviendrait à dire « génial le SIDA ! »), mais un jour de « lutte contre le SIDA ». Il en va de même pour l’homophobie, la faim, la désertification, le terrorisme, l’exploitation sexuelle, la violence policière, et j’en passe. Revenir à l’expression originelle est donc chose fondamentale si l’on souhaite comprendre les raisons de l’existence de cette journée, et la défendre à sa juste valeur. Le hic, c’est que si le site web anglophone de l’ONU faisait, il y a quelques années encore, la part belle aux « droits » du sexe faible (sic), il s’est aujourd’hui aligné sur les versions française et espagnole, qui ont dès le début abandonné la notion de « droits » dans leur appellation officielle.

 

international women's day

 

Rôle des journalistes, Organisations internationales, Politiques, …

Alors si même les OI et ONG semblent avoir oublié ce que l’on célèbre le 8 mars, autant abandonner, me diront certains. Que nenni. Et c’est là que les journalistes, mais aussi les femmes et les hommes politiques, ont une responsabilité de taille. Car les éléments de langage employés par les uns et les autres, à longueur de journée, sont repris ensuite par tout un chacun. Entendre par là : un prof, un chef d’entreprise, votre père, votre conjoint, le curé du coin, mais aussi votre mère, votre sœur, votre fille, la féministe du village, … Bref : quasiment tout le monde y passe, sans forcément s’en rendre compte. Ça m’est arrivé. Heureusement, pour me punir, je me suis lancée dans la préparation d’un bœuf bourguignon pour mon chéri après avoir nettoyé l’appart de fond en comble, puis j’ai embrassé ma fiche de paye moins remplie que mon collègue homme à poste égal.

Mais je m’égare. Je disais donc que les personnes que l’on entend sans cesse dans les médias doivent faire un effort. Il y a les mauvais élèves, ceux qui envoient du « Journée de la femme » à tire larigot, en se permettant souvent de s’interroger sur l’utilité même de cette journée. Il y a les très bons élèves, comme les journalistes de la matinale de France info où je n’ai pas entendu une seule fois l’aberration dénoncée (contrairement à RTL ou Europe 1, où j’ai arrêté de compter… et donc de zapper. Tant pis). Et puis il y a les schizophrènes (voir l’illustration ci-dessous). Ceux qui ne savent pas très bien. Ou qui veulent contenter tout le monde, au choix.

 

journee femme 

 

Chez les femmes et hommes politiques, c’est la même chose. En pire parfois. Mais plutôt que d’étaler les exemples comme de la confiture (acide souvent), j’ai décidé de me concentrer sur le seul exemple… véritablement exemplaire. Najat Vallaud-Belkacem, qui a bien compris l’importance des mots. En 2013, elle rappelait : «Le 8 mars n’est pas, comme on l’entend parfois, la journée de « la » femme, qui mettrait à l’honneur un soi-disant idéal féminin (accompagné de ses attributs: cadeaux, roses ou parfums) ». D’ailleurs son Ministère il s’appelait comment déjà ? Le Ministère de la femme ? Laissez-moi rire.

En vérité, l’idée de ce billet d’humeur est née de la lecture du TV magazine, qui reposait sur la table basse de mes parents, fidèles lecteurs du Ouest-France. Que n’ai-je pas vu là ! Léa Salamé et Elise Lucet annonçant fièrement, imaginant sans doute se faire les chantres d’un féminisme « new age » : « la journée de la femme, c’est inutile ! ». Gloups. Oui, c’est sûr, la Journée de la femme est inutile. Tant mieux car, je le répète, elle n’existe pas. Et la chroniqueuse d’On n’est pas couché de poursuivre : « Autant les journées de mémoire, type Armistice, etc., sont importantes. Autant ces journées-là sont inutiles! On n’a plus besoin de ça pour exister ». Ah, Léa. Le problème vois-tu, c’est que cette journée ne sert pas à rappeler au monde entier que nous, femmes, existons. Elle sert à rappeler que certains de nos droits, eux, existent bel et bien et qu’ils doivent être respectés. Et ça, crois-moi, ça n’est pas « inutile ».

 

  Léa salamé

 

  • « Internationale » 

« La femme française est libre, respectée et n’a pas le droit de se plaindre »

Quand bien même cette phrase – que j’entends sans cesse – s’avérait vraie, faut-il être la dernière des égoïstes pour souhaiter la suppression d’une journée INTERNATIONALE seulement parce que chez soi, on se sent bien, confortablement installée dans ses privilèges ? Non, parce qu’en ce cas là, autant vous dire que je me débarrasse de plus de 90% des Journées mondiales. Moi, Française en bonne santé, séronégative, qui mange à ma faim et qui ai un toit sur la tête. On croit rêver.

Tiens, comme disait cette bonne vieille Cersei Lannister :

 

everywhere

 

Au-delà de ça, cette bête phrase se révèle fausse. Pas besoin d’aller chercher bien loin pour se rendre compte qu’il y a encore du chemin à parcourir, même en France. Mais puisque nombre de mes amis hommes trouvent que les histoires chroniques de discriminations vécues ne sont pas vraiment révélatrices, balançons les stats. Marlene Schiappa, adjointe à l’égalité auprès du Maire du Mans, le fait mieux que moi : « Les chiffres de l’INED, l’INSEE, l’OCDE nous disent que 80% des tâches ménagères sont en moyennes accomplies par des femmes. A poste égal et compétences égales les femmes sont payées 12% de moins. L’écart plonge à 27% en moyenne tout poste confondu. 1 femme sur 10 est victime de violences sexuelles au cours de sa vie. Et il n’y a toujours que 20% de femmes environ à l’Assemblée nationale et au Sénat ».

Mais on n’a pas besoin de cette journée en France. Non. C’est bizarre, j’ai pourtant l’impression de n’entendre ces statistiques qu’une fois par an. Alors en attendant, heureusement qu’elle existe, cette journée. Je ne dis pas que c’est suffisant. Je ne dis pas espérer la voir perdurer des décennies durant. Au contraire. Le but est bien sûr de la voir disparaître. Pas parce que tous les êtres humains doués de raison auront arrêté de se battre, mais parce que la bataille de l’égalité et du respect aura été gagnée.

 

  • « des femmes » 

femme

Ces deux derniers « s » sont parfois oubliés. Après tout, « la journée internationale des droits de la femme », c’est pas mal, non ? Oui, c’est pas mal. Mais on n’y est pas encore. Lorsque l’on parle de l’Homme, au singulier, on lui met une lettre capitale. C’est pour indiquer que l’on parle de l’être humain (culture gé bongour). Lorsque l’on évoque la gent masculine, avec force préjugés, on dit « les hommes sont ». Pourquoi alors, lorsque l’on parle de la gent féminine, il conviendrait de dire « la femme est » ? « La femme » est sociale, sociologique, sociétale. C’est une idée, une représentation. La femme serait donc unique et universelle. Idéalisée et donc idéale. C’est pratique, ça nous permet d’en venir au dernier point.

 

Génial : une culotte offerte pour la journée de la femme !

La foire lexicale dans laquelle se vautre cette journée que beaucoup célèbrent, plein de bonnes intentions, autorise le meilleur… comme le pire. Ainsi, puisqu’en France on entend régulièrement que le 8 mars est la « Journée de la femme », on pense lui faire plaisir en lui envoyant un texto (« bonne fête ! ». soupir) ; en lui faisant, pour une fois, à manger ; en lui offrant une rose. La femme adore ça : c’est une femme ! Comme pour signifier que le droit au pétale n’existe que quelques jours dans l’année : la ridicule Saint-Valentin, l’anniversaire en tout genre (naissance, premier rencard, mariage), éventuellement Noël et… le 8 mars. « Comme ça tu peux pas te plaindre einh. Haha (rire gras) ». Comment en vouloir à l’homme (sic) de sa belle intention, lorsque partout où l’œil s’égare, des récupérations marketing fleurissent. Car il faut reconnaître que ambiguïté autour de la dénomination de cette journée fleure bon les bénéfices pour le prêt-à-porter. Ainsi, que ne suis-je pas tombée de ma chaise en voyant que, Etam, bon(ne) prince(sse), m’offrait une culotte pour la « journée de la femme ». Et d’oser « Vive les femmes ! » en accroche. Achevez-moi. Franchement.

journeefemme

Réfléchissons un instant à ambiguïté qui tourne autour de la dénomination de cette journée : qui sert-elle ? Je vous laisse méditer.

« Voilà, maintenant vous pouvez éteindre la télévision et (vraiment) reprendre une activité normale. A’tchao, bonne semaine ».

Journaliste

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