Laïcités et vivre-ensemble
12H38 - mardi 27 janvier 2015

Concordat d’Alsace-Moselle : parlons-en avec raison !

 

Exemple réussi du vivre-ensemble, produit de l’histoire mouvementée de l’Alsace et de la Moselle de 1870 à 1945, le régime local des cultes, le fameux Concordat, est un élément constitutif de l’identité régionale auquel les populations sont fortement attachées. Tous les sondages d’opinion réalisés ces dernières années l’attestent.

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Le Concordat est un traité international

Pour l’essentiel, il se compose du Concordat du 15 juillet 1801 (26 messidor an IX) conclu par le Premier Consul Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII pour restaurer la paix religieuse après les déchirements de la Révolution, des Articles organiques de 1802 relatifs aux cultes catholique et protestants, et de l’ordonnance de 1844 sur le culte israélite, ainsi que d’un certain nombre de textes ultérieurs dont certains sont récents. Ces textes instituent des statuts juridiques particuliers pour quatre cultes, à savoir le culte catholique, les deux cultes protestants (luthérien et réformé) et israélite, la liberté de religion étant par ailleurs garantie pour tous les cultes.

Comme la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat, inapplicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, ces différents textes sont interprétés conformément au principe de séparation entre le temporel et le spirituel, tout en organisant un ensemble de droits et d’obligations pour les cultes statutaires et les pouvoirs publics. De manière synthétique, l’Etat intervient dans la nomination des curés, pasteurs et rabbins et rémunère ces derniers.

Le Concordat a traversé l’histoire malgré les attaques du Cartel des Gauches en 1924. Seul le régime nazi l’a suspendu entre 1940 et 1944 ! Dès le 25 août 1943, le Conseil pour les Affaires d’Alsace-Lorraine installé à Alger considère que les textes concordataires doivent demeurer en vigueur. Evidemment, ces textes ne sont plus appliqués comme au 19e siècle. Ils sont interprétés à la lumière des principes fondamentaux issus du droit international et du droit constitutionnel en matière de liberté de religion et de neutralité religieuse de l’Etat.

Le Concordat de 1801 est un traité international de dix-sept articles précédés d’un préambule, qui lie la France et le Saint-Siège. Il convient ici d’observer qu’il n’y a jamais eu de « Concordat bismarkien » entre 1870 à 1918 comme certains le proclament volontiers. Par ailleurs, le Concordat ne traite que du culte catholique et de rien d’autre ! Des spécialistes avertis de la laïcité établis en Vieille France y intègrent de manière erronée le régime local d’assurance maladie, le Vendredi-Saint, la Saint-Etienne, le Livre foncier… Ainsi, à titre d’illustration, le député socialiste Jean Glavany se propose, sans la moindre vergogne, de supprimer le volet religieux du Concordat et de maintenir son volet social ! (La laïcité, Un combat pour la paix, éditions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2011, p. 130).

Le Concordat est un élément du droit local. D’autres textes locaux régissent les multiples aspects de la législation d’Alsace-Moselle (droit du travail, artisanat, publicité foncière, statut du notariat, enseignement religieux à l’école publique, chambre commerciale des tribunaux de grande instance, faillite civile…).

 

Le droit local des cultes est conforme à la Constitution de 1958

Au-delà de ces aspects juridiques, le régime local des cultes est conforme à la Constitution de la Vème République car les Constituants de 1946 et de 1958 ont voulu le conserver. C’est ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2013. Si, en Alsace-Moselle, l’Etat intervient formellement dans la nomination des ministres du culte, il doit le faire dans le respect du principe de neutralité en la matière comme pour toutes les désignations relevant de sa compétence, notamment celles touchant les professions réglementées. Par ailleurs, le principe de laïcité n’interdit pas le financement des cultes par des fonds publics. Si le Conseil constitutionnel avait jugé l’inverse, la loi du 9 décembre 1905 elle-même aurait été déclarée en grande partie contraire au principe de laïcité !

Au final, si le droit local des cultes bénéficie d’une reconnaissance constitutionnelle et est conforme au principe de laïcité bien compris, l’on peut se demander où se situe encore le débat actuellement au regard de quelques propositions isolées visant à sortir du Concordat.

En Alsace-Moselle, le régime local des cultes propose aujourd’hui une dynamique positive. Le schéma concordataire suggère une laïcité ouverte fondée sur le respect, la reconnaissance et la compréhension de traditions religieuses en dialogue, ainsi que sur la responsabilité des autorités religieuses en matière de cohésion sociale.

 

Les véritables questions

En vérité, le débat est largement dépassé et ce d’autant plus que le candidat François Hollande s’est engagé, le 13 février 2012, à maintenir et à conforter le régime local des cultes d’Alsace-Moselle (quarante-sixième engagement de son programme présidentiel). Devenu président de la République, il ne saurait se déjuger.

Tout au plus peut-on voir dans la résurgence de la question de l’abolition du Concordat une volonté de remettre en cause l’identité culturelle et historique des Alsaciens-Mosellans à l’heure de la création d’une nouvelle Région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes. Mais, cela n’a rien à voir avec la laïcité. D’ailleurs, à ce sujet, les arrière-petits-enfants du petit père Combes demeurent étrangement silencieux devant les véritables atteintes à la laïcité qui minent le vivre ensemble et les troubles occasionnés par certains militants dans les lieux de culte de la fille aînée de l’Eglise. Ce sont indéniablement les vraies questions auxquelles ils devraient apporter une réponse !

 

Eric Sander, Secrétaire Général de l’Institut du Droit local alsacien-mosellan
Jean-François Kovar, Professeur d’histoire des religions