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14H51 - vendredi 27 juin 2014

« Le génocide des Tutsis rwandais est un crime commis par l’humanité contre l’humanité » : David Khalfa, président de RBF France

 

Lundi 30 juin au Sénat, RBF France organise, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, un colloque intitulé « Rwanda : réflexions sur le dernier génocide du XXe siècle ». Analyser les causes du génocide des Tutsis rwandais pour proposer des pistes de réflexions originales et des moyens concrets de prévenir de futurs crimes de masse, tel est l’enjeu du débat.

A la fin du mois d’avril dernier, RBF France a organisé, à l’occasion de la vingtième commémoration du génocide, le déplacement inédit d’une délégation française au Rwanda. Composée de parlementaires, d’historiens, d’intellectuels et d’acteurs de la société civile, celle-ci s’est rendue sur place pour visiter les lieux de mémoire, rencontrer des rescapés et des « Justes » hutus, des parlementaires ainsi que des acteurs de la reconstruction du pays des milles collines.

Dans un entretien avec Opinion Internationale, David Khalfa, président de RBF France, explique comment la journée de lundi s’inscrit dans la continuation de cette visite. Il revient en outre sur les objectifs et la démarche de son organisation.

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L’église de Nyamata, ville du sud-est du Rwand, où près de 45.000 personnes sont enterrées. 10.000 d’entre elles ont été massacrées dans cette église – avril 2014 © Richard Kalvar (Magnum Photos)

 

RBF France organise au Sénat, le lundi 30 juin, une journée de réflexion sur le dernier génocide du 20ème siècle au Rwanda. Quels sont les objectifs d’une telle journée ? Pourquoi est-ce important, aujourd’hui, de revenir sur le passé, et notamment de comprendre les responsabilités des uns et des autres ?

Le sens de cette démarche est de s’inscrire en faux contre ce qui l’est convenu d’appeler aujourd’hui « la guerre des mémoires » et son corollaire « la concurrence des victimes ».  Le Rwanda a été le théâtre du dernier génocide du 20ème siècle, le génocide le plus fulgurant de l’histoire contemporaine. Il s’agit d’un crime commis par l’humanité contre l’humanité. C’est précisément parce que le principe même de l’universelle dignité de la personne humaine a été nié à travers ce génocide que j’ai estimé qu’il était important qu’une délégation française se rende sur place à l’occasion de ces commémorations en dépit des polémiques qui ont opposé Kigali à Paris. Ce colloque s’inscrit dans le prolongement de cette initiative citoyenne. Il est destiné à permettre au public de comprendre les racines historiques et politiques de ce génocide et d’aborder la question de  la prévention des crimes de masse.

Plus concrètement, il s’agit de tenter de comprendre comment « ce crime des crimes » a pu survenir il y a vingt ans malgré l’expérience nazie et dans la continuité d’un discours idéologique hérité des théories raciales du 19e siècle. Ce génocide est par conséquent constitutif de notre mémoire commune. Sa survenance est une faillite collective dont il faut tirer un certain nombre de leçons pour l’avenir afin qu’un tel scénario ne se reproduise plus.
 

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Mémorial de Kigali, à Gisozi, ou près de 250 000 victimes du génocide sont enterrées – avril 2014 © Richard Kalvar (Magnum Photos)

Vous faites intervenir des personnes d’horizons et de spécialités différentes touchant certes au génocide du Rwanda mais aussi au génocide arménien ou à la Shoah. Pourquoi cette approche transdisciplinaire ?

Précisément parce que nous sommes favorables à une approche ouverte où l’ensemble des disciplines sont mobilisées afin de rendre intelligible cet événement majeur de l’histoire du 20ème siècle. Nous pensons que le partage des connaissances et la mise à disposition de divers instruments d’analyse permettent de mieux comprendre et appréhender cette tragédie dans toutes ses dimensions.

Nous estimons plus précisément que la méthode comparative est la mieux à même de faire jaillir la spécificité de chacun des cas étudiés. Comparer c’est différencier, ce n’est pas tomber dans la confusion mais au contraire permettre de construire des instruments d’intelligence des situations respectives. C’est montrer que l’on peut tout à fait avoir une démarche ouverte aux mémoires blessées de populations directement concernées par ces tragédies historiques, tout en s’intéressant à chacune d’entre elles dans leur singularité et sans jamais établir une quelconque échelle de la souffrance.

Nous organisons ce colloque dans une optique de prévention des crimes de masse et de génocide et estimons qu’il faut pour ce faire tout d’abord disposer d’instruments d’analyse pertinents. L’action doit être précédée par la réflexion, l’analyse et la compréhension. Les discours incantatoires et l’indignation morale ne suffisent pas. La mise en place d’une véritable politique de prévention nécessite de recourir à la méthode comparatiste. Celle-ci permet de comprendre chaque génocide dans son irréductible singularité tout en montrant quels sont les traits communs à l’œuvre dans le processus génocidaire – la stigmatisation, l’exclusion jusqu’à l’éradication et l’extermination de l’autre défini comme un ennemi déshumanisé.

Cette démarche critique permet d’éviter les amalgames faciles et les équivalences qui passent sous silence les spécificités historiques, politiques, idéologiques et géographiques de ces tragédies. Elle ouvre également à la connaissance des causes immédiates et structurelles des crimes de masse. Cette connaissance est indispensable car elle conditionne la mise en place d’outils de prévention adaptés et par conséquent efficaces.
 

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Mémorial destiné aux enfants dans l’enceinte du mémorial de Kigali à Gisozi – avril 2014 © Richard Kalvar (Magnum Photos)

Nous sommes nombreux, encore aujourd’hui, à voir dans le drame rwandais une flambée barbare et spontanée de « violence africaine ». Or ce meurtre collectif a été manifestement planifié, organisé et dirigé. Est-ce que cette perception est encore prégnante aujourd’hui ?

Je pense que l’Afrique est trop souvent essentialisée dans le discours médiatique et que cette perception conduit à passer sous silence les choix politiques effectués par les acteurs dont les visions, les perceptions et les intérêts sont dissemblables, voire contradictoires. Les conflits sont souvent réduits à des affrontements tribaux. C’est cette perception ethnographique qui a conduit un certain nombre d’observateurs à interpréter ce qui s’est déroulé sous leurs yeux au Rwanda comme relevant d’une énième explosion de violence de type interethnique. Or il s’agissait non pas d’une violence spontanée et éruptive mais d’un génocide obéissant à une logique idéologique aux visées exterminatrices.

L’objectif de ce colloque est tout d’abord de revenir sur les racines de cette idéologie. Il faut rappeler en effet que les vocables hutus et tutsis relevaient historiquement de catégories identitaires dont le contenu variait d’une région à l’autre du Rwanda. Ces catégories étaient constitutives de l’identité sociale mouvante des populations rwandaises au même titre que leur appartenance clanique, leur lignage, etc. Cette polarisation sociale a été durcie et racialisée à la suite des colonisations allemandes et belges du Rwanda et elle fut instrumentalisée par les militants du « hutu power », à la fin du XXème siècle au service d’une idéologie exterminatrice.
 

En mars, nous avons assisté au premier procès du génocide rwandais en France qui s’est conclu par un verdict de 25 ans de réclusion pour Pascal Simbikangwa. Comment abordez-vous l’articulation entre justice et mémoire ?

Je pense que cette articulation est absolument indispensable. Nous n’avons cependant pas vocation à nous substituer au travail de la justice de notre pays qui est une démocratie vivace, dotée d’un Etat de droit. Nous estimons cependant que vingt ans après, il est temps que nos concitoyens sachent exactement ce qui a été fait en leur nom au Rwanda entre 1990 et 1994. La France fait l’objet d’accusations graves et sa responsabilité politique et morale est pointée du doigt. Il y a des non-dits et des zones d’ombre qu’il faut lever. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’organiser un débat contradictoire sur le rôle controversé de la France au Rwanda.

Nous n’ignorons pas la passion qui habite les acteurs de cette controverse. Nous espérons néanmoins un débat serein et apaisé. Nous avons assisté ces derniers mois à une parodie de débat qui relève du dialogue de sourds. Notre ambition est d’y mettre un terme par le biais de  la confrontation des points de vue et l’organisation d’un débat inédit entre François Léotard et Bernard Kouchner. Ce sont deux acteurs-clefs des relations franco-rwandaises, l’un ayant été ministre de la défense et l’autre ministre des affaires étrangères. Ces échanges et ces discussions entre les deux anciens ministres seront également éclairés par le témoignage de journalistes présents au Rwanda entre avril et juillet 1994, au premier rang desquels Nicolas Poincaré. La connaissance du terrain est indispensable pour comprendre ce qui s’est passé.

Il y a bien un lien entre la connaissance, la vérité et la justice. Cette dialectique ternaire a un sens éthique et politique puisqu’elle conditionne la pérennité même de l’idéal démocratique. En tant que citoyens français, nous sommes comme tout un chacun attachés à cet idéal. La transparence, les explications et les clarifications en sont les garants. Nous espérons modestement y apporter notre contribution.

RBF France

RBF France est un forum stratégique dédié à la prévention des conflits, des crimes de masse et des génocides. Il s’agit d’un forum de réflexion réunissant décideurs, experts, journalistes et citoyens autour d’une démarche commune destinée à analyser les causes des conflits afin de proposer des pistes de réflexions originales et des moyens concrets de les résoudre.

RBF France en 5 points :

  1. Favoriser le partage des connaissances et les expertises pour éclairer le débat public sur les grands conflits internationaux
  2. Proposer des solutions concrètes pour prévenir l’aggravation des conflits susceptibles de dégénérer en crime de masse
  3. Encourager la recherche et diffuser les travaux d’universitaires et d’experts portant sur l’histoire et la mémoire des génocides
  4. Soutenir les initiatives des acteurs de la société civile qui agissent pour promouvoir la responsabilité de protéger qui incombe aux Etats et renforcer les valeurs de tolérance, de démocratie et de paix
  5. Organiser des missions d’information pour sensibiliser les décideurs et leaders d’opinion aux menaces qui pèsent sur les populations civiles en œuvrant à la création d’un groupe interparlementaire pour la prévention des crimes de masse et des génocides

Site internet : http://www.rbf-france.fr/Waiting/

 

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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