#JeSuisCharlie
21H02 - dimanche 18 janvier 2015

A découvrir ou revoir, le documentaire « Caricaturistes – Fantassins de la démocratie »

 

Que dit le cinéma sur le droit au blasphème et à la caricature ? Le documentaire de Stéphanie Valloatto « Caricaturistes – Fantassins de la démocratie », sorti en mai 2014, ressort en salles depuis que l’on a voulu assassiner Charlie Hebdo. A voir absolument devant un grand écran ou en DVD !

huet-carAlors que les caricatures de Charlie Hebdo ont indigné la France et la communauté internationale, mais suscitent aussi de violentes condamnations depuis la sortie du dernier numéro, il faut voir ou revoir l’excellent documentaire de Stéphanie Valloatto « Caricaturistes – Fantassins de la démocratie » qui ressort en salles.

Ce film, c’est l’occasion de rencontrer, ou de redécouvrir, douze caricaturistes qui portent le crayon dans la plaie, pour reprendre en la détournant légèrement la formule d’Albert Londres, un peu partout dans le monde. C’est aussi un concentré d’émotions, entre rires francs et pleurs étouffés, entre indignation féroce et impuissance désarmante. Mais c’est surtout un film indispensable, à voir ou à mettre entre toutes les mains, à l’heure où les yeux de la planète entière se tournent vers une profession à haut risque et dont les enjeux, parfois, nous échappent.

« Le dessin est un langage universel qui nous réunit » – Michel Kichka, Israël

Le documentaire s’ouvre à Paris, sur la bouille et la voix de Plantu, reconnaissables entre mille. Mais hors de question de faire dans le made in France : le film va nous faire voyager en Russie, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Palestine, aux États-Unis, en Israël, au Venezuela, en Algérie, au Mexique, en Tunisie et même en Chine, où Pi San et ses amis dessinateurs dénoncent le système politique et social de la désormais première puissance économique mondiale.

Entre exactions et autocensure

Aucun caricaturiste n’est à l’abri, nulle part. C’est ce qu’affirme, à raison, Lassane Zohore, directeur de publication du journal Gbich en Côte d’Ivoire : « Un dessinateur de presse est avant tout un provocateur. Tu appuies là où ça fait mal. Toujours l’épée de Damoclès qui plane sur la tête du journaliste. Parfois, la presse a beaucoup été menacée. Chaque fois que la politique a connu des tensions ou que des personnes ont subi des exactions, quand l’actualité est sur l’escadron de la mort, on ne peut pas se dérober. Il faut faire un dessin sur l’escadron de la mort. ». Mais certains cèdent inévitablement à l’autocensure. « Je sais où est la ligne rouge, et je la garde constamment à l’esprit ». Pi San, qui forme un pistolet avec deux doigts collés sur la tempe, ne compte pas finir six pieds sous terre. Mais peut-il vraiment contrôler la colère des puissants qui le dirigent ? Le gouvernement chinois a, dès ses débuts, censuré un de ses dessins animés qui dénonçait le formatage des enfants à l’école, après que la vidéo eut atteint les cinq millions de vues sur la toile. Un premier avertissement ? Sans aucun doute.

Angel Boligan Corbo, qui est né pendant la révolution cubaine, s’interdisait, lui, les dessins politiques : « Quand il m’arrivait d’en faire, je m’autocensurais car je savais que je ne pouvais pas toucher à certains sujets ». Avant de faire volte-face lors de son installation au Mexique : « Quand je suis arrivé (…) un collègue m’a dit : « Il y a trois sujets auxquels tu ne dois pas toucher : le président de la République, l’armée et la vierge de Guadelupe. » ». Un court silence. Puis le caricaturiste ajoute, malicieux : « C’est devenu mon agenda de travail ». Impossible de ne pas esquisser un sourire. Et Michel Kichka d’ajouter, comme un écho aux propos de son compagnon de cordée à l’autre bout du monde : « L’ennemi qu’on a tous aujourd’hui, c’est le politiquement correct, pas la censure ».

Du poil à gratter le papier, des bulles contre des balles

« Parodies et caricatures sont les plus pénétrantes des critiques », disait Aldous Huxley. Au fil des ans, le rôle du dessinateur de presse a beaucoup changé. Du simple « bouche-trous » selon les propres mots de Zohore – « quand il n’y [avait] pas de photo, on demand[ait] au dessinateur de faire une illustration » –, il est devenu aux yeux des rédactions comme des lecteurs le journaliste engagé qu’il avait, dans les faits, toujours été.

Nadia Khiari, connue pour son chat « Willis from Tunis », décoche une image souvent évoquée ces dix derniers jours : « Un crayon peut être une arme super puissante. Sinon… sinon ceux qui sont au pouvoir ne nous embêteraient pas ». Le rôle du dessinateur est de « sonder la nature humaine », nous explique Danziger, un Américain qui dénonce les ravages d’une loi du billet vert qui broie tout sur son passage, avant d’ajouter que le dessin, c’est avant tout « un avertissement ». Un avertissement pour tous ceux qui finissent couchés, « encrés », sur le papier.

A commencer par les dirigeants. Si Plantu s’avoue chanceux d’avoir toujours pu se moquer des Présidents français, sans être inquiété par davantage qu’un coup de fil agacé de Nicolas Sarkozy, certains sont moins chanceux. C’est le cas de Rayma Suprani, du journal vénézuélien « El Universal ». Grande amatrice de la critique du pouvoir et du gouvernement, elle explique être sans cesse menacée sur les réseaux sociaux. Mais ça ne l’empêche pas de continuer à gribouiller le papier et, lorsqu’un nouvel article de la Constitution interdit désormais de dessiner le visage du président, elle trouve des parades, lui dessine une banane à la place de la tête… et se voit poursuivre pour dessins racistes. Elle n’en a que faire : son métier n’est pas de faire plaisir. « La liberté est un mot qui a été manipulé, abimé », finit-elle par lâcher.

Regrettons le caractère trop furtif de l’évocation des caricatures de Mahomet, c’est la seule critique qu’on lui trouvera. Le film a le mérite de faire tour du monde des menaces qui pèsent sur les caricaturistes. Si ce film est remarquable (le montage est de Marie-Josée Audiard et son producteur est le grand Radu Mihaileanu), ce n’est pas parce qu’il retentit plus que jamais, en ce mois de janvier 2015. Non. S’il est aussi admirable qu’indispensable, c’est justement parce qu’il est intemporel.

 

Pour aller plus loin :

Les salles françaises qui le rediffusent

Le DVD du film

les affiches du film

La bande-annonce du film :

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