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18H19 - vendredi 6 juin 2014

Laurent Gomina-Pampali : « Pour Boganda, la violence en politique est une contradiction »

 

Le dimanche 30 mars 2014 à Bangui, Opinion Internationale a organisé, avec le soutien de la fondation Joseph Ichame Kamach, un événement en hommage à Barthélémy Boganda, le père de l’indépendance Centrafricaine et président fondateur de la République centrafricaine mort en 1956. 

Ce jour-là, dans le grand hémicycle de l’Assemblée nationale, de nombreux dirigeants politiques, la société civile, des artistes et le Conseil national de transition se sont réunis pour rendre hommage à Barthélémy Boganda et débattre sur sa mémoire et l’actualité de sa pensée. 

La journée s’est conclue par un Appel au dialogue national et au dépôt des armes dont la liste des signataires grandit tous les jours.

Pour rappeler l’importance de cet appel et la nécessité impérieuse du dialogue aujourd’hui en RCA, Opinion Internationale publie dans une série d’articles, l’ensemble des discours donnés ce jour-là : Les discours de Bangui en hommage à Barthélémy Boganda.

Aujourd’hui, l’allocution de Monsieur Laurent Gomina-Pampali, conseiller national, ancien député et ancien ministre.

M. Laurent Gomina-Pampali à l’Assemblée nationale de la RCA à Bangui, mars 2014 © Alain Elorza

M. Laurent Gomina-Pampali à l’Assemblée nationale de la RCA à Bangui, mars 2014 © Alain Elorza

 

Les valeurs morales et politiques de Boganda : les leçons du discours du 1er décembre 1958

Barthélemy Boganda n’est pas allé en politique par ambition ni pour le simple plaisir de devenir un haut dirigeant (député ou président). Il a suivi un long cheminement intellectuel et moral. Il s’est mis en quête d’idées et de valeurs qui libèrent l’Homme en général, mais l’homme noir en particulier, à cause de sa condition de dominé, de colonisé.

Les idées et les valeurs

C’est avant tout ce qui distingue l’homme de la bête sauvage et l’élève au rang de personne douée d’intelligence et de jugement. La pensée et l’enseignement chrétiens ont séduit Boganda en premier.

A son époque, l’Eglise catholique était le seul cadre qui donnait une culture humaniste, valorisant le principe d’égalité entre les hommes en tant que créatures de Dieu. Les « pères de l’église », grands théologiens des premiers siècles du christianisme (St Thomas, St Bonaventure, St Augustin) enseignaient, bien avant la première Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et des révolutionnaires de 1789 que « omnes pariter nascuntur, omnes egaliter moriuntur » c’est-à-dire « tous les hommes naissent égaux et tous meurent de la même manière ».

L’égalité de naissance et de fin de vie entre les humains constitue la première valeur assimilée par Boganda (l’Oubanguien) qui en a déduit conséquemment le principe d’égalité de toutes les races humaines.

Il est devenu prêtre pour assurer l’émancipation de ses frères oubanguiens de l’oppression colonialiste, d’une part, et traditionnelle (les coutumes), d’autre part !

La philosophie des Lumières développée en France au 18ème siècle qui combat l’obscurantisme au profit de la liberté de pensée et d’action des hommes ainsi que les idées émancipatrices des révolutionnaires de 1789 ont nourri l’esprit du jeune Boganda au cours de sa formation à la vie cléricale.

Les idées de Liberté – Egalité – Fraternité auxquelles s’ajoute la première Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, tout comme l’Evangile chrétien, ont constitué les véritables fondements à l’édification de la pensée morale, sociale et politique de Boganda, avant même qu’il n’entre en politique !

Mais face aux dérapages de l’administration coloniale qui n’appliquait pas ses valeurs humanistes, Boganda, d’abord prêtre (le 1er de sa race en Oubangui-Chari), s’engage finalement en politique pour pousser à l’application réelle des valeurs de la République française en Oubangui Chari. Il y a donc déjà des valeurs encrées dans la conscience morale du jeune prélat noir appelé à devenir le premier député de son pays. Ce sont les valeurs de Liberté – Egalité – Fraternité de la République française auxquelles s’attache fermement Boganda et qu’il voulait voir appliquées à tous les citoyens français sans distinction de couleur de peau ou de sexe !

La liberté représente les droits individuels et collectifs de vivre, de s’exprimer, de s’associer, d’être propriétaire de biens personnels.

L’égalité établit que toute personne en vaut une autre, quelle que soit la couleur de sa peau, son origine sociale, sa religion ou son sexe.

La fraternité, rappelle à tous les hommes qu’ils partagent un héritage biologique commun, qu’ils peuvent vivre ensemble dans la solidarité, la tolérance malgré leurs différences.

Ce sont ces valeurs morales que Boganda a intériorisées au cours de ses humanités et de sa formation en vue du sacerdoce. Boganda reconnait lui-même d’avoir puisé dans « ses auteurs latins et français des idées plus humaines et plus libérales que celles que lui ont inculquées ses pères ». Il deviendra par la suite, en tant qu’acteur politique le défenseur des intérêts de tous dans la limite de la légalité républicaine.

La pratique politique de Boganda

Boganda était de ceux qui ne s’arrêtent pas à la manipulation théorique des idées pures, sans aboutir à la pratique. Pour passer à la pratique, il s’est engagé en politique avec l’appui de son supérieur hiérarchique, Mgr. Grandin. Il est élu et réélu successivement député au Parlement français et à l’Assemblée territoriale de l’Oubangui-Chari (ATOC) entre 1946 et 1958. Il sera élu également au Grand conseil de l’AEF qu’il va présider entre 1957 et 1958.

 Sa lutte politique est guidée par des valeurs morales/ 

Sur le plan économique et social, Boganda est convaincu que l’émancipation du noir passe par le travail (travail manuel, travail de la terre et travail intellectuel). Il s’oppose au travail forcé imposé par l’Administration coloniale, mais de l’autre côté, il s’attaque à la paresse et aux pratiques traditionnelles telle que l’excision. Il encourage surtout la scolarisation des garçons et des filles. Avec son parti le MESAN créé en 1949, il se représente le développement selon cinq axes : Nourrir, Soigner, Instruire, Loger, Vêtir.

Sur le plan politique, il reprend à son compte les premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui consacrent l’égalité de naissance de tous les êtres humains qu’il traduit dans la langue de son terroir, le Sango, par « Zo Kwe Zo »,c’est-à-dire « toute personne en vaut une autre ».

L’émancipation de l’Homme noir qui est son objectif principal ne peut se réaliser que selon les principes « d’Unité, de Dignité et du Travail ». Mais sa lutte s’exerce contre la ségrégation, les inégalités et la violence en politique. Pour Boganda, la violence en politique est une « contradiction » car la politique est avant tout expression de la liberté de parole et de choix de modèle de société ; par conséquent il n’y a pas de politique sans politesse, sans respect de l’adversaire. Bogandavoulait aussi que la politique se fasse dans un certain climat d’honnêteté.

Enfin, sur le plan politique, Boganda proclamait que « dans la Nation centrafricaine, chacun a ses droits, qu’il soit blanc, jaune, noir, vert ou indigo, cela importe peu car il s’agit avant tout d’être humain ».

Sur le plan géopolitique, partisan des grands ensembles, le fondateur de la RCA était farouchement opposé aux micro-Etats car selon lui, les premiers sont plus viables que les seconds. Aussi, s’était-il délibérément engagé en faveur d’un grand Etat fédéral qui devait réunir d’abord les quatre ex-Territoires français de l’AEF, à savoir le Congo Brazzaville, le Gabon, l’Oubangui-Chari et le Tchad. A ceux-ci devaient s’ajouter les ex-colonies belges (Congo belge, Rwanda, Burundi) aux colonies portugaises (Angola), puis le Cameroun.

Sur le plan religieux, comme tout le monde le sait, Boganda était de foi chrétienne catholique et de surcroît ancien prêtre. Malgré ses convictions religieuses, le fondateur de la RCA s’est abstenu d’asseoir l’Etat sur une base confessionnelle. Il a tout de suite fait le choix de la laïcité qui consacre la séparation entre la politique et la religion, entre l’Etat et le clergé et qui rend libre toutes pratiques religieuses aux citoyens. Toutefois, en leader éclairé, il avait prévenu ses concitoyens des dangers de l’extrémisme politique (le communisme et le péril jaune) et religieux (le panarabisme).

Boganda était tout sauf un fanatique et un partisan. Sa raison d’être était de « libérer l’Afrique et les Africains de la misère et de la servitude… et d’aller partout où il y a un nègre à libérer ».

La RCA est donc née sur des valeurs politiques et éthiques patiemment assimilées par Boganda. Le 1er décembre 1958, Boganda proclama la RCA, faisant passer ainsi l’Oubangui-Chari du statut d’ex-territoire français à celui d’une jeune République, d’un jeune Etat momentanément lié à la France, son ancienne puissance tutélaire dans le cadre de la Communauté franco-africaine (1958-1959) avant d’accéder à l’Indépendance politique le 13 août 1960, proclamée par David Dacko, qui a succédé à Boganda mort un an et cinq mois plutôt, assassiné par le colonialisme aveugle ! Son projet d’un vaste ensemble politique et économique viable et pour le quel il est mort, va ainsi être retardé durablement ! Cependant Boganda avait déjà pris soin d’ouvrir les yeux, de conscientiser les « Aéfiens » sur les dangers de la balkanisation qui ne pouvait que affaiblir le continent !

S’adressant aux députés de la première Assemblée législative de la République, il disait : « Les divisions et le tribalisme d’hier ont fait la faiblesse de nos ancêtres ; de la même manière les divisions et le tribalisme feront aujourd’hui notre faiblesse ».

Boganda a bâti un Etat, une Nation fondée sur une personnalité africaine marquée par un passé commun de brimades (esclavage, colonialisme), mais qui a hérité d’une culture et de langues de communication modernes, le français et le sango, facteurs d’unité.

Quant aux fondements juridiques et politiques de l’Etat, Boganda n’a jamais donné l’occasion de penser que la République pouvait devenir la propriété exclusive d’une portion du peuple, car « la République Centrafricaine, c’est nous tous ensemble ; c’est nos cases et nos champs, c’est nos réserves de chasse et de pêche, c’est la tombe de nos père et de nos mères, c’est tout ce qui nous a donné la vie et qui nous fait vivre… ». Boganda disait avec foi qu’il avait confiance en « tous les hommes de bonne volonté qui vivent dans ce pays… Blancs et Noirs ». Il dirait aujourd’hui « chrétiens et musulmans », car ces questions ne l’ont jamais préoccupé !

Il a conçu un emblème multicolore, symbole du pluralisme dans l’unité. Il voulait que son peuple et son pays vivent selon les valeurs d’Unité, de Dignité et de Travail.

Quant à l’hymne national, c’est un recueil de mots d’ordre forts qui interpellent le citoyen par rapport au passé de violences subies et de sursaut moral et politique nécessaire pour ne plus plier sous n’importe quelle tyrannie. C’est l’appel permanent à la promotion d’un Etat de droit.

Que s’est-il passé en cinquante cinq ans d’héritage ?

Le peuple et ses dirigeants ont abandonné le chemin tracé par Boganda (Gouga III, Le chemin abandonné) ! N’ayant pas son génie, ils ont bricolé ! Le peuple héritier s’est comporté en « enfant-prodigue » de l’Evangile qui a dilapidé l’héritage et qui s’est retrouvé après à partager la nourriture des porcs ! Est-il seulement capable de revenir à la maison, à la raison en reprenant le chemin tracé par Boganda, en l’enrichissant, pour le progrès du pays ?

Laurent Gomina-Pampali
Conseiller national
Ancien député et ancien ministre

 

 

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