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09H56 - lundi 26 mai 2014

« Pris en otage dans une violence dont ils ne connaissent même pas la cause »

 

Membre du Mouvement de Libération du Peuple Centrafricain (MLPC) depuis les années 90, Christian Touaboy en est devenu le jeune porte-parole. Il partage aujourd’hui son regard sur les défis auxquels fait face son pays.

CHRISTIAN T


Vous êtes jeune, une nouvelle force, qu’apporterez-vous de neuf dans votre parti ?

Sans fioritures aucune et du fond du cœur je voudrais vous dire ceci : la Centrafrique est malade de sa classe politique, malade de ses politiciens véreux, corrompus et violents qui, années après années, régime après régime continuent, grâce aux intrigues et à la malice, de plonger le pays dans des crises sans fin, ce constat est d’ailleurs partagé par beaucoup de Centrafricains. L’objectif ici serait de redonner la parole à la jeunesse et au petit peuple en parlant vrai. Ce travaille, bien évidemment, commence d’abord dans le parti. 


Comment pourrait-on organiser la jeunesse centrafricaine pour qu’elle soit un peu plus impliquée dans la gestion du pays ?

Je ne suis pas bolchevik. Je suis libéral. J’aime laisser les gens, le peuple décider spontanément de ce qui est bien pour eux. Mais pour répondre à votre question, les jeunes centrafricains sont extrêmement engagés. La preuve est que tous les jours que Dieu fait, sur les réseaux sociaux des milliers de jeunes Centrafricains échangent et discutent de l’avenir de leur pays. Si parfois les débats sont un peu corsés, qu’à cela ne tienne, pour celui qui sait garder la tête froide et faire preuve de bon sens, il pourrait y trouver certaines solutions vraiment efficaces aux maux qui gangrènent notre beau pays. Maintenant, c’est aux politiques de prêter une oreille attentive à tout cela et tendre la main aux jeunes. Ziguélé l’a fait, nous espérons que les autres leaders suivront. Mais pour moi, il n’existe aucun doute, la jeunesse centrafricaine est prête à déplacer les montagnes s’il le faut. Je vous le garantis ici et maintenant, elle fera mieux que la génération précédente.


Comment analysez-vous la situation de la RCA actuellement ?

Plus que d’analyse, nous avons besoin de constat dans un premier temps et de dire les choses telles qu’elles sont, à savoir : les pauvres, les femmes et les enfants sont pris en otage dans une violence dont ils ne connaissent même pas la cause. A ce niveau de dégradation, de déshumanisation et de souffrance, il n’y a pas d’analyse à faire mais d’action à entreprendre (comme vous le faites si bien ma chère) et cela commence d’abord par l’énonciation de la vérité telle qu’elle est, crue et dérangeante, celle qui nous dit clairement que la classe politique par l’instrumentalisation de quelques jeunes perdus, perpétue, entretient la violence et l’utilise comme strapontin pour l’obtention de poste politique ou de positions juteuses. Cela devrait cesser. Dans quelques jours, quand tout cela ce sera calmé, les ministres seront plus riches et les pauvres jeunes instrumentalisés regagneront leurs villages traumatisés, plus malheureux qu’avant, … Voilà ce que nous réserve le futur… Si nous ne nous attelons pas à le changer et à le façonner dès cet instant.


Comment percevez-vous l’appui de la communauté Internationale en RCA ?

D’abord, nous saluons bien bas les soldats des pays frères tombés pour que nous vivions en paix. Sans la présence de ces soldats, Dieu seul sait quelle serait la situation en ce moment. La présence de la communauté internationale est donc plus que nécessaire. Elle s’avère d’autant plus nécessaire que l’indispensable processus de « Nation ou State Building » ne pourrait se faire aujourd’hui sans elle et cela à tous les niveaux, tant financier que logistique. Constatez de vous-même que l’Etat centrafricain (si le terme est encore applicable) est d’autant plus paraplégique que la simple notion d’offrir de l’eau potable aux populations est une gageure ou qu’encore permettre à la femme centrafricaine d’accoucher dans la dignité est en ce moment inimaginable. Nous avons donc besoin d’une présence plus forte, plus intense et plus accrue de la communauté internationale. Je dois vous le dire, la main sur le cœur, que parfois, je trouve cette présence, trop timorée et pas assez agressive vu l’intensité et la gravite du mal centrafricain. Humblement, nous demandons plus.


Comment analysez-vous la situation des Forces armées Centrafricaines, les FACA ?

Il est saugrenu d’imaginer un pays sans forces de défenses. Il est encore plus saugrenu d’imaginer la RCA sans ses FACA. Cependant, il serait ingénieux de noter que depuis la chute de l’Empereur Bokassa, l’armée a brutalement cessé d’être républicaine, elle est devenue une armée privée, une milice légale qui a chaque fois change de couleur pour revêtir les couleurs du parti exerçant le pouvoir et dans laquelle prédomine, de manière périodique et opportune, l’ethnie du prince du moment. Cet aspect des choses, conjugué avec l’avènement de la Séléka (mais pas seulement) a fini par créer un climat de défiance au niveau vertical, entre le politique et le soldat et, subséquemment donc, au niveau horizontal, entre les soldats eux-mêmes, c’est à dire entre les différentes sensibilités qui se sont créées, qui s’y retrouvent et se regardent en chien de faïence. La dernière tentative officielle, vous vous en souviendrez, s’est soldée par le lynchage pure et simple d’un des éléments de nos forces armées. Dès lors, la question se pose donc inéluctablement à nous, comment permettre au FACA d’atteindre cette coexistence et d’aider les forces internationales à assurer le retour de la quiétude sur l’ensemble du territoire.

Un début de solution à mon avis serait d’incruster progressivement les éléments des FACA parmi les forces internationales présentes sut le territoire.


Comment voyez-vous les Séléka et les anti-balaka aujourd’hui ?

Comment voir d’un bon œil ces milices – les anti-Balaka et la Séléka, pour moi c’est blanc bonnet, bonnet blanc – qui ont littéralement détruit tout ce qui reste de la RCA, tant au niveau économique que celui encore plus important, la cohésion nationale ? La vérité est que le peuple centrafricain aujourd’hui a peur de parler, de peur d’être découpé ou exécuté.


Une sanction de l’ONU est tombée contre des personnalités centrafricaines, qu’en dites-vous ?

Au-delà des individus sanctionnés, il est important de souligner une chose : nous espérons que ces sanctions vont servir de leçon et d’avertissement à tous ceux qui, dans un futur proche ou lointain, chercheront à batifoler, à folâtrer avec la vie des Centrafricains. Ceux qui le feront devront s’attendre à des conséquences ! Ma réaction initiale a été : « Enfin ! Les Centrafricains ne sont plus des bêtes sauvages que l’on égorge impunément. Nous ne sommes plus sans défense ! »


Quels conseils pour les jeunes pour être des vecteurs de paix ?

Je ne suis pas le dalaï-lama, encore moins Nelson Mandela. Mais je pourrai dire ceci à ceux qui sont plus jeunes que moi : ne laissez jamais la haine vous définir. Notre objectif est d’ériger une nation arc-en-ciel, multicolore à l’image de notre étendard. Pour se faire, nous aurons besoin de beaucoup plus que de réconciliation. Nous aurons besoin de rédemption, c’est-à-dire de rachat. Chaque Centrafricain devrait donner un peu de lui-même, un peu de son âme, un peu de sa fierté, un peu de tout ce qu’il a de plus cher. Nous avons essayé la haine, la division, la guerre. Ne serait-il pas temps d’essayer la paix, l’unité et l’amour ? Que Dieu nous guide en ces moments difficiles.


Quel message pour nos lecteurs ?

Nous sommes la question et nous sommes la réponse. Personne d’autre que nous, Africains, ne viendra construire l’Afrique. Personne d’autre ne viendra construire la RCA à notre place. Peut-on aimer son pays et souhaiter sa partition ? Peut-on aimer son pays et éventrer systématiquement une partie de ses habitants ? Il est temps de cesser de voter de manière émotionnelle et il est temps de rationaliser nos décisions. Il en va de l’avenir de tous.

 

Propos recueillis par Lydie Nzengou

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

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