Europes
14H30 - mercredi 21 mai 2014

L’euroscepticisme britannique loin de sa version française ?

 

Depuis début mai, les partis politiques britanniques se mobilisent pour attirer les électeurs en vue des élections européennes le 22 mai. Les meetings politiques se multiplient et les affiches des divers partis envahissent enfin les rues. Mais les sondages sont unanimes : UKIP remportera les élections haut la main. UKIP ? Ce parti eurosceptique qui souhaite sortir le Royaume-Uni de l’Europe.

Nigel Paul Farage, chef du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (United Kingdom Independence Party - UKIP).

Nigel Paul Farage, chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (United Kingdom Independence Party – UKIP)

Un récent sondage réalisé par YouGov donne UKIP gagnant à 31% aux élections européennes au Royaume-Uni, loin devant les travaillistes, qui rassembleraient 25% des intentions de vote. Ces résultats s’inscrivent, selon l’institut de sondages, dans un mouvement européen de repli sur les partis eurosceptiques, nourri par le désillusionnement des populations vis-à-vis des partis traditionnels et de l’Union Européenne.

« Pas un, mais des euroscepticismes » ?

Ce scepticisme ambiant à l’égard de l’Europe politique et économique est trop souvent simplifié, réduit à n’être que le fait de xénophobes et chauvins. Il s’agit en fait d’un sentiment complexe, qui prend diverses formes en fonction des pays et des affinités politiques.

Au Royaume-Uni, l’euroscepticisme est présent depuis le début de la construction européenne. Il a fallu attendre 1973 pour que le pays se résigne à entrer dans ce qui était à l’époque la CEE (Communauté Economique Européenne), après être arrivé à la conclusion qu’il ne lui restait que l’option européenne pour conserver son envergure internationale. En effet, l’empire colonial faisait désormais partie du passé et le Commonwealth ne donnait, et ne donne toujours pas, de poids politique concret sur la scène internationale ; tandis qu’à travers la CEE, la France avait eu le loisir de promouvoir ses intérêts.

C’est donc avec une certaine réticence que le Royaume-Uni accepte de se joindre à l’Europe dans les années 1970. Cette réserve, qui ressurgira au fil des ans avec chaque pas en direction d’une Europe plus intégrée, est présente dans l’ensemble de la classe politique britannique, a expliqué Simon Usherwood, Professeur de Sciences Politiques à l’Université de Surrey en Angleterre, à Opinion Internationale.

D’un côté, le parti travailliste a toujours eu en son sein des éléments eurosceptiques ; certains syndicats notamment, voient l’UE comme une « attaque néo-libérale contre les droits des travailleurs, comme un projet de dérégulation », note Usherwood. D’un autre côté, certains libéraux considèrent également que le Royaume-Uni ne devrait pas faire parti de l’UE car cela affaiblirait l’économie britannique.

Selon Usherwood, « beaucoup de monde est mécontent de l’UE, mais les raisons pour cela sont très diverses, souvent contradictoires ; il n’y a pas un mais des euroscepticismes. » En dehors d’une aversion commune pour l’UE, les différents partis eurosceptiques ne s’accordent ni sur les solutions, ni sur les politiques à mettre en œuvre.

Ainsi, l’idée de Marine Le Pen d’unifier les eurosceptiques européens au sein d’un seul parti pour les élections européennes n’a pas été appréciée par tous.

UKIP, l’euroscepticisme à l’anglaise : contre l’immigration mais non raciste

Au Royaume-Uni, malgré la diversité des tendances eurosceptiques, l’euroscepticisme est désormais synonyme d’un parti : UKIP.

En vingt ans, ce parti s’est imposé en tant que joueur indispensable sur l’échiquier politique britannique, rassemblant principalement par sa critique des partis traditionnels et de l’Europe. 

Usherwood décrit ce parti comme « le vieux FN, avant que Marine Le Pen prenne les choses en main et donne une ligne idéologique claire au parti. » En effet, « UKIP n’est que ‘contre’ : il est contre l’UE et contre l’immigration non limitée, mais n’est pas ‘pour’ grand chose. Dans son manifeste, on voit qu’il ne se bat pas vraiment ‘pour’ quoi que ce soit : il n’a pas de politique économique, pas de politique sociale, pas de politique sur l’éducation, l’emploi, la sécurité sociale, pas de politique de défense… Tout ce qu’il veut, c’est être libre des restrictions européennes et il promet qu’après cela tout ira bien. »

En fait, le parti eurosceptique doit principalement son succès à son leader, Nigel Farage, très apprécié des Britanniques. « UKIP a une organisation très maigre, très peu de personnes peuvent gérer le parti ; enlevez Nigel Farage et vous perdez une large part de l’image du parti, » note Usherwood.

Selon ce dernier, Farage remplit également aujourd’hui le rôle de la figure populiste unifiant les mécontents et désillusionnés face à un système politique miné par les scandales politiques et par une perte de confiance, de la part des électeurs, en leurs représentants. L’Europe entière étant touchée par une telle situation, cela explique la montée des partis d’extrême-droite à l’échelle européenne. 

Néanmoins, Farage tient à se distinguer des autres partis eurosceptiques tels que le FN en France ou le PVV aux Pays-Bas, répétant ne pas être un parti raciste. Le mois dernier, le leader de UKIP a ainsi rejeté l’offre de Marine Le Pen de s’associer pour les élections européennes en raison de « l’ADN antisémite du FN ». Farage a insisté, lors d’un meeting électoral à Londres le 7 mai, que son parti n’est pas « un parti raciste ».

L’étude sur l’euroscepticisme qu’Usherwood a mené ces dernières années le pousse à partager l’avis de Farage. « Je ne pense pas que UKIP soit raciste. Il est vrai que le parti attire des personnes racistes et des xénophobes, mais le parti les a toujours radiés une fois qu’ils se sont découverts, il ne les tolère pas. » La nécessité d’une telle position est claire : « le racisme est un suicide politique au Royaume-Uni, » explique Usherwood. « C’est pourquoi UKIP fait très attention à ne pas débattre de la question des ‘races’ ; à la place, il critique le manque de contrôle de l’immigration. La distinction n’est pas grande, mais elle illustre la position de UKIP de ne pas s’associer à des partis qui, eux, sont sans ambiguïté racistes. »

Une pluie d’accusations de racisme 

Malgré tout, UKIP a été très régulièrement accusé de racisme ces dernières semaines, que ce soit par les autres partis politiques, par la presse, ou par ses propres supporters. 

Le fondateur du parti, Alan Sked, a traité Farage de « raciste et alcoolique » en avril ; bien qu’il soit accoutumé à critiquer UKIP avant chaque élection (il en a été exclu dès le milieu des années 1990 pour rejeter le penchant anti-immigration), cette nouvelle sortie a secoué le monde médiatique de l’autre côté de la Manche.

Quelques semaines plus tard, UKIP a lancé sa campagne pour les élections européennes et a encore attiré les projecteurs. En l’occurrence, ses opposants, les partis traditionnels, se sont unis pour dénoncer une campagne raciste. Sur les affiches, on peut lire « 26 million de personnes en Europe cherchent un travail ; et quels emplois veulent-ils ? » accompagnant la photo d’un doigt pointé au lecteur.

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Enfin, plus récemment encore, une jeune membre de UKIP d’origine asiatique a annoncé quitter le parti à cause de sa descente vers un « populisme raciste ». Pour Sanya-Jeet Thandi, UKIP ne devrait pas se prêter au jeu du vote raciste et instrumentaliser l’ignorance des Britanniques envers l’Europe.

Quoi qu’il en soit, le but de UKIP de sortir le Royaume-Uni de l’UE ne peut être atteint que si le parti parvient à être élu au Parlement britannique. « Il y a dix ans, c’était utile pour UKIP d’être élu au Parlement européen, afin d’augmenter leur crédibilité ; mais aujourd’hui, cela ne leur sert plus vraiment, » analyse Usherwood. « Aujourd’hui, ils veulent faire une percée à Westminster, ce qui paraît très peu probable pour les élections générales de 2015. Et comme Nigel Farage s’est engagé à démissionner si son parti ne reçoit aucun siège au Parlement l’année prochaine, qui sait ce qui arrivera à UKIP ? »

Si UKIP est sûr de remporter une victoire aux élections européennes, son avenir n’est donc pas garanti pour autant. 

UKIP, un acteur politique avec lequel il faut compter

Créé en 1991 sous le nom de Anti-Federalist Party par un libéral, Alan Sked, arrivé à la conclusion que l’UE est corrompue, non-démocratique et à l’encontre des intérêts économiques britanniques, UKIP a très vite été salué par de bons résultats électoraux. Aussi, il change de nom dès 1993 pour devenir ‘United Kingdom Independence Party’.

S’appuyant sur le courant eurosceptique britannique latent dans la société, il a réussi à s’imposer sur la scène politique et à modeler le débat politique sur l’Europe, explique Usherwood, qui est également coordinateur du UACES Collaborative Research Network on Euroscepticism. « UKIP n’a pas que des anciens votants conservateurs ; il rassemble des votants venant de tout le spectre politique, » dit-il. Avant d’ajouter : « UKIP a notamment pris des votants aux Liberal Democrats, car depuis que ces derniers font partie de la coalition au gouvernement, ils ne peuvent plus remplir leur rôle de protestation. UKIP représente vraiment un challenge pour tous les partis politiques. »

Ainsi, le Premier Ministre David Cameron a dû promettre la tenue d’un référendum sur la sortie de l’Europe (prévu en 2017 s’il est réélu l’année prochaine) afin de satisfaire la frange de son parti conservateur séduite par les idées de UKIP, de peur de la perdre au profit du parti d’extrême-droite.

Même Ed Miliband, le leader travailliste, s’est senti obligé de se positionner sur la question, alors qu’il est déjà annoncé comme futur Premier Ministre ; il a annoncé le mois dernier qu’il organiserait un référendum si des réformes de l’UE demandent un transfert de pouvoirs.

En outre, UKIP reçoit à l’approche des élections européennes une couverture médiatique hors du commun. Bien que cette couverture consiste majoritairement en articles visant à le décrédibiliser et montrer ses incohérences, « c’est la marque de l’importance que UKIP a pris dans le système, justement, auquel il s’oppose, » conclut Usherwood. 

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Journaliste à Opinion Internationale et coordinatrice de la rubrique La Citoyenne.

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