A la Une
10H58 - lundi 5 mai 2014

« La relance économique passe par une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques »

 


La crise fait de la RCA un pays économiquement exsangue et à haut risque en terme d’investissements. Dans un entretien, Martin Ngboda, entrepreneur centrafricain, explique pourtant que l’économie est essentielle à la reconstruction de son pays. Il identifie les conditions et les pistes à suivre pour tenter de répondre à cet impératif.


Comment voyez-vous l’avenir économique de la RCA ?

Avant de parler d’avenir économique, il faudrait faire le point sur la situation actuelle. Notre pays est enclavé et ses échanges économiques dépendent de deux axes : fluvial vers le Congo-Brazzaville et routier vers le Cameroun. Le tissu industriel est aujourd’hui inexistant du fait de la crise politique et sécuritaire. Le pays est plongé dans une récession sans égale, les indicateurs économiques sont alarmants : plus pauvre pays des pays les moins avancés (PMA), 180ème rang sur 186ème, la croissance est passée de 3,9% en 2012 à une croissance négative -14,5% en 2013 avec un PIB de 446 $US par habitant, c’est affligeant ! Cette crise stupide, qui ne voit toujours pas sa fin, va remettre durablement en question toute relance économique. Tout est à reconstruire et on ne peut pas établir de perspectives économiques si notre Etat de garantit pas la sécurité des investissements.


Comment les Centrafricains peuvent-ils devenir acteurs de leur développement ?

Je devrais reformuler votre question, pour moi les Centrafricains doivent être les acteurs de leur développement, tout comme ils sont responsables du désastre dans lequel le pays est plongé. Il faut savoir dire stop à notre bêtise. Nous devrions prendre l’exemple du Rwanda, ce pays qui a connu le génocide en 1994 est désormais un des exemples des miracles économiques africains, ses indicateurs sont au top, et le pays vise à devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici 2020.

Nous, Centrafricains, avons perdu du temps. Les autorités ont l’obligation de stabiliser le pays et doivent mettre rapidement en place une politique incitative d’économie agropastorale pour relancer dans un premier temps la consommation interne ; ensuite faire du secteur de la construction et de la petite transformation industrielle une priorité économique. Dans ce domaine nous pouvons apporter notre contribution en assurant l’approvisionnement des entreprises locales en matériels et équipements industriels depuis l’Europe grâce à notre Centrale d’achat export Afrinex. Nous pouvons aussi accompagner d’autres structures de taille moyenne par des conseils et une participation dans leurs démarches d’installation ou de reconstruction au pays. Dans le même temps nous sommes ouverts à des partenariats qui seraient à étudier.


Que proposez-vous aux Centrafricains en partant de votre propre expérience et domaine de compétence ?

En tant que Gérant d’Afrinex, je n’ai pas attendu cette crise pour initier une action en faveur des opérateurs économiques centrafricains. Je me suis rendu en Centrafrique où j’ai organisé, le 13 avril 2011, une réunion d’échange à la Chambre de Commerce et de l’Industrie de Bangui. J’ai eu l’occasion de faire une présentation de mon entreprise, son objectif et des possibilités qu’elle offre aux entrepreneurs centrafricains. Cette initiative a été appréciée par tous les chefs d’entreprise conviés à cette réunion, ce que n’a pas manqué de souligner le Président de la chambre de commerce de l’époque, Monsieur Ghislain Mokamanede. Il était question de poursuivre cette collaboration en mettant en place un partenariat durable mais, la crise est passée par là.

J’ai la chance de travailler en France dans la grande distribution à prédominance alimentaire, il est désormais temps de mettre ce savoir-faire au service de la communauté centrafricaine en créant un réseau de magasins solidaires, ce projet s’inspire du concept hard discount adapté aux réalités économiques locales. Ces magasins seront construits avec des matériaux locaux et auront un assortiment d’une centaine de références, principalement des produits de première nécessité, de meilleur rapport qualité et prix, transformés sur place ou venant des pays de la sous-région. Cela nous permettra de créer des emplois directs par l’exploitation des commerces de proximité, des emplois indirects par la transformation des produits et l’approvisionnement des magasins.

On ne nous demande pas d’inventer la roue ; elle existe déjà, il faut tout simplement savoir s’en servir et l’adapter à nos besoins. Nous apportons nos idées et notre savoir-faire pour contribuer au développement. Il appartient à l’état et aux pôles de compétences de créer les conditions de faisabilité et favoriser le montage financier.


Quel doit être le meilleur rapport entre la politique et l’économie en RCA ?

Etant donné la situation de troubles que connaît le pays, il nous faut désormais une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques, pas d’opportunistes sans projet ni vision et moyens, qui ont trainé leurs casseroles de partis en partis, pas non plus de « VRP » de minerais et matières premières. Il reviendra à cette nouvelle classe politique de recréer un cadre qui permettra aux entreprises, entrepreneurs et opérateurs qui ont tout perdu, de pouvoir rebâtir leurs structures. Et pour les nouveaux entrants, d’établir une fiscalité attractive qui les incite à investir et développer leurs projets, et particulièrement pour que la diaspora centrafricaine vienne s’installer sur place. Il est entendu que la sécurité et une paix durable, seules, peuvent laisser en toute transparence, la place aux entités compétentes pour amorcer le processus de relance économique.


Quelle politique doit être adoptée par les banques pour favoriser l’investissement en RCA du fait des conditions qu’elles posent ?

Avant de demander aux banques, commençons par créer le cadre de fonctionnement économique normal d’un pays. Nous sommes un pays à risque élevé. C’est surtout à l’Etat d’apporter suffisamment de garantie, et pourquoi pas de lever des fonds pour la création d’une banque de développement ou d’un fonds d’investissements dédié aux entreprises à des conditions préférentielles, d’inciter des capitaux risques à prendre part au projet et encourager de nouvelles initiatives, notamment le crowdfunding ou le financement participatif.


Croyez-vous en une nouvelle RCA reconstruite par les Centrafricains ?

En dépit de ce qui se passe en Centrafrique, je reste « afro-optimiste » et je persiste à croire que, tel le Phénix dans la mythologie grecque, notre pays va renaître de ses cendres. Cette reconstruction se fera par les Centrafricains et ceux qui aiment la Centrafrique. Ils sont nombreux !


Quel est votre message aux entrepreneurs centrafricains ?

Nous sommes plus que jamais disposés à mettre les possibilités de notre centrale d’achat export Afrinex au service des entrepreneurs centrafricains ; maillons incontournables de la relance économique. Grâce à notre réseau de partenaires export, fournisseurs européens, asiatiques et africains du domaine d’achat et d’approvisionnement en biens alimentaires, agro-alimentaire et d’équipements industriels, nous pouvons prospecter et proposer aux entrepreneurs centrafricains et africains, des produits de seconde main adaptés à leurs réalités économiques et technologiques, au meilleur rapport qualité/prix et quantité, tout en leur garantissant le respect des normes établies au niveau international.

Dans ce cadre, nous avons développé une collaboration sud/sud avec de nouvelles générations d’entrepreneurs : NMJ Transport prêt à assurer l’expédition de marchandises de tous les points du globe jusqu’en Centrafrique et ASDG Services avec laquelle nous allons initier un partenariat développement multisectoriel en Centrafrique. Les entrepreneurs centrafricains auront une référence de poids sur place et pourront ainsi faire l’économie des frais de visas et formalités de prospection et de déplacements inutiles en Europe

D’autres grands groupes nous font confiance notamment Colruyt et Foodanco dans la distribution alimentaire, ainsi que d’autres entreprises de renom prêtes à nous suivre pour relancer de défi de la reconstruction.

Notre pays a une tradition d’hospitalité et de paix ; à nous de reprendre notre destin en main pour que cette période trouble devienne rapidement un lointain souvenir.

Propos recueillis par Lydie Nzengou 

 

Martin GbodaMartin Ngboda, citoyen centrafricain, est directeur et fondateur de la centrale d’achat export Afrinex  (Afrique Négoce Export), une société de négoce, un portail de commerce agroalimentaire et d’équipements industriels de l’Afrique aux portes de l’Europe. Il est aussi directeur de magasin dans un grand groupe de supermarché à prédominance alimentaire (anciennement filiale du Groupe Carrefour Super et Hypermarchés). Il est titulaire d’un Diplôme de Management d’Unité Commerciale.

Journaliste, chef de la rubrique Centrafrique

La gestion du pouvoir

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Charles de Montesquieu (1689-1755) Gérer une once de pouvoir ou…
Lydie Nzengou

Le leader et sa vision

  Les régimes se sont succédés, la RCA est toujours aussi pauvre. Les régimes se sont installés, la qualité de vie des Centrafricains s’est détériorée. Les régimes ont pris le pouvoir, les…
Lydie Nzengou