Edito
19H29 - jeudi 10 décembre 2015

Les droits de l’Homme seront-ils inscrits noir sur blanc dans l’accord de Paris ?

 
p2015_HHR_Turkana_distribution_1_364 (1)

Le changement climatique porte atteinte aux droits humains au Kenya. Crédit: Human Rights Watch

Dans la nuit du 10 au 11 décembre 2010, les négociateurs de Cancun (COP16) se mettaient d’accord pour signer unanimement un texte reconnaissant, entre autres, que les effets néfastes du changement climatique avaient un impact direct ou indirect sur la jouissance des droits humains. L’année suivante, à Durban en Afrique du Sud, la COP17 approfondissait la mise en relation entre libertés fondamentales et protection de l’environnement.

Quelques années plus tard, en cette Journée internationale des droits de l’Homme, cette référence fait toujours débat et est encore entre parenthèse dans la section principale de la version actuelle de l’accord de Paris espéré demain ou ce week-end. Sommes-nous en train de faire marche arrière ?

Malgré l’insistance de nombreuses ONG associées au Groupe de travail sur les changements climatiques et les droits de l’homme  comme Human Rights Watch ou Amnesty International, certains Etats font pression pour retirer la référence aux droits humains de la section principale de l’accord final de Paris évoquant les Objectifs du Traité, alors que les versions précédentes du « traité climatique », négociées cette année à Bonn et à Genève, y faisaient mention dès l’article 2 définissant l’objet général de l’accord.

En ligne de mire, trois pays dont la croissance s’est en grande partie bâtie sur l’extraction d’énergies fossiles  et dont la responsabilité dans le réchauffement planétaire  est donc indéniable: les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et la Norvège. Les objections de ces trois pays à l’inclusion d’une telle référence dans l’accord de Paris sont diverses : les contextes économiques, sociaux et politiques varient du tout au tout d’un Etat à l’autre. Selon Katharina Rall, de Human Rights Watch, les droits humains ne sont pas la « priorité » des négociateurs dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils mettent plutôt en avant l’objectif de limitation du réchauffement climatique à deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle, tel qu’il a été fixé par les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

 

Quelle transition énergétique souhaitons-nous ?

Le lien entre réchauffement climatique et respect des droits humains est-il si évident ? Il suffit de jeter un œil aux rapports sur l’impact du réchauffement climatique sur le respect de la dignité humaine établis par Human Rights Watch et par d’autres associations pour lever les doutes éventuels.

Ces femmes qui parcourent des kilomètres afin d’aller chercher de l’eau dans les régions en proie à la désertification en Afrique pourraient en témoigner : pour Colette Benoudji, coordinatrice de l’ONG « Lead Tchad », « le dérèglement climatique constitue ainsi une source de terreur supérieure à celle exercée par Boko Haram » pour beaucoup de femmes africaines. Les dégâts humains causés par la multiplication des catastrophes naturelles, dont le réchauffement planétaire va accroître la fréquence, s’annoncent terribles. 

 « Le changement climatique affecte de manière disproportionnée des populations déjà vulnérables, en particulier dans des pays aux ressources limitées et aux écosystèmes fragiles », déclare Joe Amon, Directeur de la division Santé et droits humains à Human Rights Watch. Le respect des droits des peuples autochtones, des femmes, des réfugiés, des personnes handicapées est donc particulièrement crucial. « Dans la réponse mondiale au changement climatique, nous devons nous assurer que les droits humains sont respectés, protégés et mis en œuvre », ajoute-t-il.

Pour de nombreux acteurs, la riposte contre le réchauffement climatique doit être autant sociale, humaine qu’économique. «Au fond, nous ne réclamons rien de nouveau car la plupart des Etats se sont engagés, d’une façon ou d’une autre, à respecter les droits humains dans tels ou tels traités onusiens ou régionaux », affirme Katharina Rall, « mais nous considérons comme dangereux le fait de continuer à lutter contre le réchauffement climatique en laissant de côté les droits humains : le plus souvent, cela aboutit à exclure les populations les plus vulnérables des processus de décision».

S’il se veut ambitieux, l’Accord de Paris ne peut envisager de lutter contre le réchauffement climatique, de développer intensivement les énergies non carbonées, sans porter une attention accrue au respect des droits humains. On ne peut plus construire des barrages hydroélectriques sans l’accord des populations locales, compromettant ainsi leur accès aux ressources de base comme c’est le cas avec la construction du « Barro Blanco » au Panama.

On le sait, le passage à l’ère industrielle a été accompli, sous de nombreux aspect, au prix d’importantes entorses au respect des libertés fondamentales. La question essentielle est donc de savoir aujourd’hui quelle transition énergétique nous voulons et à quel prix humain.

Quoi qu’il en soit,  nous ne sommes qu’au début d’un long chemin. Imaginez plutôt : ce n’est qu’en septembre de cette année, en vue de la COP21, que l’UNICEF a publié un premier rapport sur l’impact du réchauffement climatique sur le sort des enfants dans le monde.

 

L’engagement de la France essentiel

En ces dernières heures cruciales de négociations, les pays qui soutiennent avec le plus d’engouement le fait d’inscrire noir sur blanc le respect des droits humains comme l’un des enjeux prioritaires de la lutte contre le réchauffement climatique sont souvent ceux qui en ont déjà le plus souffert : les pays émergeants comme le Costa Rica, le Mexique, ou le Chili, les Etats insulaires menacés de disparaître sous les mers comme les Philippines…

D’autres Etats moins directement menacés dans l’immédiat comme la Belgique se sont cependant joints au mouvement. L’implication du Canada de ce point de vue est également digne de la plus haute attention, puisque le pays faisait jusqu’à présent partie des « pires élèves » de la lutte contre le réchauffement climatique, s’étant brutalement retiré du protocole de Kyoto en 2011 sous le gouvernement d’Harper. Peut-on y lire un premier effet de la « magie Justin Trudeau »?

Quoi qu’il en soit, la position de la France sera certainement décisive, selon Katharina Rall. Ce serait la meilleure façon pour la France d’honorer le 67e anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

 

Directeur de la publication