Opinion
10H35 - jeudi 4 juillet 2024

Si j’étais musulman… La Tribune de Fabrice Haccoun

 

Empathique par nature, je me demande parfois comment je réagirais si j’étais un musulman vivant aujourd’hui en France. Comment je réagirais à la manière dont je suis instrumentalisé. Je me suis donc mis quelques instants dans la peau de nos frères de cette confession.

Si c’était le cas, je dirais que nous avons remporté avec tous nos concitoyens de bonne volonté, le noble combat pour le « droit à la différence ». Je demanderais donc aux bien-pensants de cesser de réfléchir à ma place en m’enfermant dans « la différence des droits ».  

Quel gâchis, quelle rage, après tant d’efforts consentis. 

Je refuserais d’intérioriser les discriminations dont la gauche m’affuble pour justifier ensuite son existence et prouver son utilité. J’affirmerais que l’essentialisation dont je fais l’objet de la part de ce camp politique est la pire forme de racisme qui soit. 

Si j’étais musulman, je dirais à La France Insoumise de cesser de m’insulter en utilisant l’antisémitisme en profession de foi pour m’attirer, comme si cette ignominie était un argument. Je serais outré qu’on puisse penser que la haine du juif est de nature à me convaincre de voter pour un candidat qui se réclamerait de cette idéologie. Je lui demanderais de cesser de me voir comme faisant partie d’une forme de pensée monolithique. 

Sachez que je ne me leurre pas leur dirais-je aussi si j’étais musulman : je sais qu’après m’avoir instrumentalisé, vous me trahirez. Vous me trahirez comme vous avez trahi les Juifs en 1940 en votant massivement les pleins pouvoirs à Pétain après vous être servi de Blum, vous me trahirez comme vous avez ensuite trahi les ouvriers dont la condition n’a cessé de se dégrader. Vous me trahissez d’ailleurs déjà en m’assignant à résidence identitaire afin de mieux segmenter les électeurs comme les grandes enseignes de distribution segmentent les clients. Sauf qu’en politique, quand on segmente, on divise. Je n’ai pas d’illusions sur le fait que vous, les « wokistes », utilisez aujourd’hui le drame qui se déroule au Proche-Orient comme vous utilisiez hier les bassines de Sainte-Soline, l’Aéroport de Notre Dame des Landes, la réforme des retraites ou plus récemment encore la crise en Nouvelle Calédonie. Peu importe la cause, du moment qu’elle génère chaos et divisions. Ce faisant vous sacrifiez le vivre-ensemble et l’avenir de mes enfants. Vous trahissez enfin votre fonction d’élus qui consiste à créer des ponts entre les différentes composantes de la société française pas des fossés.

Si j’étais musulman vivant en France, je refuserais donc d’être la variable d’ajustement électorale de La France Insoumise, je refuserais cette injure, et j’affirmerais que je vote en fonction de mes convictions et pas de ma condition. Que tout en étant sensible aux questions internationales, c’est l’avenir social, économique et environnemental de la France qui me motive et pas la haine du pays et de son modèle. Je refuserais enfin le néocolonialisme de cette gauche qui ne me voit que comme un vivier de substitution. 

Si j’étais musulman de France, je considérerais que nous sommes tous frères : car en tant que membre de la communauté nationale, nous sommes Frères. La devise républicaine n’indique-t-elle pas la Fraternité comme l’une de ses valeurs cardinales ? Et je ne permettrais pas qu’on menace mes concitoyens de confession Juive alors qu’ils furent à la pointe de tous les combats antiracistes dans les années 80. Je me solidariserais au contraire d’eux afin de démontrer par l’action que cette fraternité est possible ici et donc pourquoi pas ailleurs.

Si j’étais musulman j’hurlerais que je ne suis pas une victime. Contrairement au narratif dégoulinant de compassion condescendante de ceux qui prospèrent sur la misère, Je prouverais au contraire que nous nous en sommes sortis. Oui j’oserais m’affirmer fier de ce que nous avons réalisé. En à peine une ou deux générations, nos enfants emplissent désormais les bancs des universités, les plaques de médecins aux noms sans équivoque fleurissent dans les rues de France, des artisans bouchers, pâtissiers travaillent à la française (je reprends là le plus grand compliment que pouvait faire ma grand-mère tunisienne). Les entreprises informatiques les plus réputées s’arrachent les ingénieurs issus de la diversité, nous sommes très largement représentés au barreau de Paris, une véritable bourgeoisie française issue de nos rangs a émergé et je pourrais multiplier les exemples à l’infini. Les Français votent désormais sans aucune différence pour nos fils, nos filles, nos frères et sœurs comme en témoigne le grand nombre d’élus français héritiers de l’immigration. Dans quel autre pays au monde cela aurait été possible : presque aucun.

Je ne tomberais pas dans ce piège fatal : les gauchistes nous regardent avec un mépris intellectuel de classe qui nous assigne à devenir un symbole. C’est déjà ce regard que cette gauche portait déjà sur les miens lorsqu’au milieu du 19ème siècle ce camp politique utilisait le prétexte de la civilisation pour m’envahir. Je n’oublierais pas qu’en Algérie, en Tunisie ou au Maroc et en Afrique subsaharienne et alors que vous veniez promouvoir vos valeurs humanistes, vous avez traité mes aïeux comme des sous-citoyens. « L’enfer est pavé de bonnes intentions » pourrait être le slogan fondateur de cette gauche qui pense qu’elle va améliorer mon sort en me victimisant d’une part et en culpabilisant la France de l’autre. C’est tout l’inverse qui se produit, malheureusement. Avec des amis comme vous, pas besoin d’ennemis leur dirais-je. Je leur enjoindrais de cesser le cynisme qui consiste à provoquer le racisme pour pouvoir ensuite se présenter en sauveur, tel un pompier pyromane.

 

Mais voilà, je ne suis pas musulman. J’ai néanmoins décidé de m’adresser à mes concitoyens de cette confession car je suis révolté du sort qui leur est aujourd’hui réservé dans notre pays par ceux qui les instrumentalisent à des fins bassement électoralistes et qui abîment durablement le pays. Ceux qui les prennent en otage et les utilisent en boucliers humains pour provoquer le chaos dans l’espoir utopique d’un « Grand Soir » dont ils ne sont que la chair à canon.

 

« Il y a sur cette terre des gens qui s’entretuent, ça n’est pas gai. Il y a aussi des gens qui s’entrevivent, j’irais les rejoindre » disait Jacques Prévert. Pourquoi ne tenterions-nous donc pas de recommencer à nous « entrevivre » aurais-je envie de conclure.

 

Fabrice Haccoun

Essayiste, auteur de Rallumons les Lumières aux éditions de l’Archipel, et entrepreneur du numérique.
Auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, Fabrice Haccoun accède en 2014 au grade de Colonel (Réserve Citoyenne) de la Gendarmerie Nationale (DGGN). Magistrat Honoraire (Conseil des Prud’hommes de Paris), membre du Conseil Stratégique pour l’attractivité (Présidence de la République), il intervient régulièrement dans les médias sur les questions sociales, économiques et sociétales telles que l’emploi, l’identité, la diversité et les valeurs républicaines.
Fabrice Haccoun est chevalier dans l’ordre national du Mérite.

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