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06H51 - mardi 9 mai 2023

Jean François Mercadier (DWF France) et Bernard Salomé : « la compliance est dans l’intérêt de tous les acteurs économiques, en Afrique comme dans le monde entier »

 

Jean-François Mercadier est gérant associé de DWF France, un cabinet d’avocats international dont le bureau parisien dispose d’un département Afrique particulièrement actif. Bernard Salomé* est ancien fonctionnaire international, conseiller de nombreux  Etats africains, et notamment de la Côte d’Ivoire, pays dont il a actuellement en charge un projet d’appui à la réforme des finances publiques. Ces deux éminents experts, l’un avocat et l’autre économiste,  sont très engagés sur les enjeux de compliance en Afrique. Ce terme anglais désigne la conformité à un ensemble de règles juridiques et éthiques, allant de l’environnement aux droits humains, même s’il est traditionnellement associé aux pratiques financières desquelles doivent être exclus la corruption et le blanchiment. La compliance est une condition sine qua non de la confiance des prêteurs et investisseurs, et donc du développement économique, en l’espèce du continent africain.

Entretien.

 

Opinion Internationale : Que représentent les enjeux de compliance dans les forums internationaux relatifs au développement de l’Afrique ?

Bernard Salomé : C’est un enjeu d’autant plus essentiel que de nouvelles règlementations ont émergé ces dernières années, notamment venant de l’Union européenne. Cela concerne par exemple les forêts et les droits humains. S’y ajoutent les travaux du Groupe d’action financière (GAFI) sur le secteur bancaire, dont le bureau parisien a publié récemment son rapport annuel mettant l’accent sur le respect – ou le défaut de respect – de règles prudentielles visant spécialement à lutter contre le blanchiment, la corruption ou le terrorisme. On peut se réjouir que le Maroc ait été retiré de la liste grise du GAFI, mais on ne peut que déplorer que certains pays africains y figurent toujours et que d’autres, comme l’Afrique du Sud, y soient entrés. 

Jean François Mercadier : L’adoption par les États africains, non seulement d’une législation de lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et la prolifération d’armes, mais également de procédures et règles de gouvernance pour la rendre effective, est fondamentale. Cette initiative, gage de respectabilité, conditionne l’émergence de banques et d’institutions financières pouvant accéder au marché financier international. Le vrai challenge n’est pas de voter une loi vertueuse, mais de l’appliquer. Le Congo illustre cette distorsion : il ne figure pas sur la liste grise du GAFI, mais bien que s’étant doté de lois spécifiques, il n’a pas fait montre de la même détermination pour les faire appliquer dans leur intégralité.

Bernard Salomé : Nous sommes vraiment au cœur du sujet. Si les pays d’Afrique, veulent accéder à ce que l’on appelle « la finance verte » impliquant notamment la certification des crédits carbone ou le développement des marchés volontaires, ils doivent intégrer le fait que la compliance ne se résume pas à une conformité législative et règlementaire. Sans véritable appareil répressif, l’effectivité des règles vertueuses ne peut être garantie. Le Burkina Faso, le Mali, le Mozambique, l’Ouganda, la RDC, le Sénégal, le Soudan du Sud et la Tanzanie figurent sur la liste grise du GAFI, et font l’objet d’un « contrôle renforcé ». Le dernier rapport de la Cour des comptes française et dans une moindre mesure celui de la Cour des comptes européenne visent également la compliance financière, laquelle ne concerne pas seulement les banques, mais aussi les intermédiaires financiers comme les agents de change, les notaires, les agents immobiliers, la bancarisation mobile, la bancarisation en microfinance. En Afrique, la question est prégnante parce que la population, par ailleurs en forte croissance, est peu bancarisée. Son accès à un système bancaire fiable est une des clés du progrès économique et social, et de progrès en termes d’équité.

 

Dans quelles mesures les réticences à la mise en œuvre complète des dispositifs de compliance freinent-elles l’attribution de financements internationaux ?

Bernard Salomé : Un pays en zone grise éprouve de grandes difficultés à lever des fonds sur les marchés à un taux d’intérêt supportable. Au-delà de l’aspect financier, cela affecte la confiance des correspondants bancaires des pays occidentaux en relation avec leurs filiales dans les pays concernés. 

En Afrique, c’est l’accès à la finance verte, notamment les « green bonds » et le marché du carbone volontaire, qui s’en trouve entravé. L’impact du défaut de compliance est donc considérable. Certes, le FMI évalue la législation des États avant de leur octroyer un financement, mais il n’intervient que dans des situations de crise, à court terme, plus spécialement pour faire face à un déficit de devises. Quant à la Banque mondiale, elle ne finance que les investissements à long terme, principalement pour compenser un déficit d’épargne. En pratique, on constate parfois une certaine confusion des genres, mais aucun de ces organismes ne contrôle l’efficacité des dispositifs de compliance. Seul le GAFI s’en préoccupe véritablement.

Jean François Mercadier : La composante ESG (« Environment, Social and Governance ») s’applique à toutes les sociétés, en particulier celles qui sont cotées sur les marchés. Parmi ces règles figurent la lutte contre le blanchiment, la corruption, et plus généralement la compliance. Par conséquent, les groupes internationaux qui investissent en Afrique doivent s’assurer de l’existence de ces règles, et autant que faire se peut, de leur effectivité. Cela implique l’obligation d’une mise aux normes pour tous les partenaires d’un projet, dont les banques.

Bernard Salomé : S’y ajoutent les règles en négociation à Bruxelles sur la chaîne de valeur : la non-déforestation, le non-travail des enfants, le respect des droits humains, le respect des valeurs fondamentales, etc. On voit que la compliance va bien au-delà du secteur bancaire. Elle est désormais le socle des valeurs fondamentales de l’Europe, règles qui imposent des évolutions des comportements. Exemple concret : il devient difficile d’acquérir les matériaux indispensables à la fabrication de véhicules électriques, comme le cobalt ou le cuivre, s’ils ont été produits dans des conditions de travail contraires à ces valeurs.

 

Ces exigences semblent récentes pour les grands groupes internationaux ?

Jean François Mercadier : En pratique, les critères ESG sont un sujet de premier plan depuis environ deux ans.

Bernard Salomé : Les discussions sur l’ESG ont débuté au début des années 2000 au niveau de la Banque mondiale et de la Société financière internationale. D’abord ne furent concernés que les investissements privés, notamment dans le secteur pétrolier, minier et gazier. Puis ces principes furent étendus au BTP, à l’agro-industrie et aux transports. Ils sont aujourd’hui en voie de généralisation à tous les secteurs, principalement sous la pression des opinions publiques qui, par exemple, ne veulent plus acheter du chocolat ou des vêtements fabriqués par des enfants.

 

Pour en revenir à l’Afrique, le secteur financier africain a-t-il intégré ces exigences de compliance dans les transactions internationales ?

Bernard Salomé : Tant que des règles n’auront pas été établies au niveau de l’Union africaine, il sera difficile de détecter toutes les activités frauduleuses. Même au sein de l’UE, l’effectivité de telles règles reste un challenge. Sans une véritable coopération judiciaire des États entre lesquels est subodorée une transaction suspecte, la tâche est complexe, d’autant plus qu’on se voit opposer des principes comme la défense des intérêts privés ou le secret bancaire. L’efficience implique également que la coopération soit assez diligente, assez rapide, ce qui n’est pas toujours le cas.

Jean François Mercadier : Lorsqu’il y a fraude, elle est souvent à l’échelle internationale, et donc très organisée. Y faire face exige, outre les procédures d’alerte comme le dispositif TRACFIN en France, de mettre en place des mécanismes d’échange d’informations et de concertation au niveau international.

 

Le sommet pour la protection des forêts tropicales s’est tenu à Libreville au Gabon début mars 2023 et le Congo-Brazzaville doit accueillir cette année encore le Sommet des trois bassins réunissant Amazonie, Bornéo-Mékong, Bassin du Congo. Quelle place doit avoir la compliance dans la reforestation de ces trois poumons de la planète et leur financement ?

Bernard Salomé : Elle doit jouer un rôle clé au vu des évolutions stratégiques que nous évoquions et elle doit s’attacher aux solutions. Il faut d’abord distinguer les projets visant à empêcher la déforestation, comme on en voit au Gabon, de ceux qui visent la reforestation. S’agissant des premiers, se pose notamment la question de la relation entre les initiatives de non-déforestation et l’accès au crédit carbone. S’agissant des seconds, quelle forme prend la reforestation et comment certifier que la tonne de crédit carbone absorbée par la nouvelle forêt sera pérenne, et donc que cet espace demeurera foresté ? S’y ajoutent les questions portant sur la reforestation adossée à des activités agricoles, comme la culture du cacao ou du café. Le bénéfice carbone qui en découle est alors extrêmement modique. 

Dans toutes ces hypothèses, la compliance et la certification sont fondamentales. Par exemple, la rentabilité d’un investissement dans une forêt gabonaise est basée sur les bénéfices de la vente des crédits carbone associés. Mais elle ne peut être garantie sans la compliance. Quelle forme prendra cette garantie : des enquêtes d’organismes certifiés, des relevés de satellites ou de drones, une assurance en cas de dysfonctionnement… ? Ces questions doivent trouver réponse au plus vite.

 

Comment se situe le cabinet d’avocats DWF en matière d’ESG et de compliance ?

Jean François Mercadier : DWF est à la pointe sur ces différents sujets. Par exemple, en matière de criminalité économique, nous nous appuyons sur de nombreux spécialistes et sur des outils d’accélération des processus d’analyse et d’audit des institutions financières qui ne sont pas conformes. Cela nous permet de les conseiller et les aider à se mettre aux normes. En matière d’économie verte, de crédits carbone et de sujets connexes, DWF dispose d’une expertise qui confère aux projets, aux initiatives, aux investissements une sécurité juridique indispensable à leur rentabilité et à leur pérennité. En outre, le groupe DWF, du fait de sa cotation en bourse à Londres,  se doit lui-même d’être à la pointe dans l’application des critères ESG, ce qui est d’une grande utilité dans le conseil à nos clients. Nous savons, en théorie comme en pratique, comment s’y conformer, et comment atteindre la neutralité carbone. Nous pouvons en quelques sortes nous prévaloir d’être un modèle pour nos clients.

 

Propos recueillis par Michel Taube, fondateur, et Radouan Kourak, rédacteur en chef d’Opinion Internationale

* Bernard Salomé est CEO d’Equateur International, conseiller des gouvernements et des entreprises internationales privées dans le domaine économique et de politique social, dans le développement des affaires pour les entreprises privées, y compris sur les infrastructures et projets miniers.

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