Edito
12H25 - jeudi 24 février 2022

Et si, pour tenir tête à Poutine, l’Ukraine adhérait à l’Union Européenne ? L’édito de Michel Taube

 

Des embouteillages monstres à Kiev, la frontière avec la Roumanie submergée : le peuple ukrainien fuit-il la guerre ? En tout cas, il l’a dont fait ! Vladimir Poutine, comme l’avait annoncé l’administration américaine, a envoyé ses troupes à la conquête du Donbass russophone et bombarde des dizaines de cibles militaires dans le pays.

Cette invasion nous renvoie brutalement aux confins de la guerre froide, en espérant qu’elle le reste pour l’Europe de l’Ouest.

Jusqu’où veut aller Poutine ? Quels sont ses objectifs de guerre ?

Veut-il installer à Kiev un dirigeant fantoche, en prélude (ou en conséquence de) l’annexion de tout le pays, même si le maître du Kremlin a dit cette nuit (dans un message vidéo enregistré déjà lundi) qu’il ne s’attaquerait pas à l’ensemble du territoire ukrainien ? Il n’en serait pas à son premier mensonge.

Poutine veut-il reconstituer le bloc soviétique ? Des troupes russes seraient entrées cette nuit sur le territoire de Biélorussie, voisin de la Pologne et des pays baltes.

Il y a quelques jours, on pouvait se demander sur le ton de la plaisanterie si le mur de Berlin allait être reconstruit. Aujourd’hui, les pays baltes et tous les pays de l’ancien bloc soviétique s’inquiètent des intentions et peut-être même de la santé mentale de Vladimir Poutine.

Vladimir Poutine dit vouloir dénazifier l’Ukraine, nouvel argument tiré d’un esprit que l’on pensait rationnel, un esprit de joueur d’échecs somme toute paniqué. Il est vrai que l’Ukraine fut l’alliée du IIIème Reich, prenant même une part zélée dans la Shoah. Mais c’est un président ukrainien juif que Vladimir Poutine accuse aujourd’hui d’être nazi et qu’il veut remplacer par un larbin à sa botte. Le nazi d’aujourd’hui, c’est Poutine !

Poutine avait d’ailleurs eu des propos inquiétants le 7 février lors de la conférence de presse avec Emmanuel Macron qui n’avait point bronché : si vous bougez, on vous vitrifie, avait-il laissé entendre en évoquant la puissance nucléaire russe. Macron aurait pu lui répondre que la France a de quoi renvoyer la Russie au Moyen-Âge, et de tuer en vingt-quatre heures plus de Russes que n’en sont morts dans toutes les guerres précédentes. C’est le principe même de la dissuasion nucléaire. C’eût été s’abaisser au niveau des garçons prépubères qui comparent leurs virilités respectives.

Même si aujourd’hui on ne peut exclure une dérive paranoïaque aigue du maître du Kremlin, le cataclysme nucléaire est encore hautement improbable. Mais il faudra que la Russie, et donc hélas le peuple russe, paye le prix de la fourberie de son dirigeant. Les sanctions économiques ne suffiront pas, sauf peut-être si elles prennent la forme d’un embargo total de la Russie. La Chine ne suffirait pas à y pallier. L’Europe, plus que les États-Unis, en subira également de lourdes conséquences, à commencer par une flambée des prix du gaz, et sans doute de nouvelles vagues migratoires.

Poutine veut-il amener au démantèlement de l’OTAN qui est, pour lui, la vraie origine du conflit ? Son extension depuis la dislocation de l’Union soviétique justifierait, selon les candidats nationalistes français, la réaction erratique de la Russie, le pompon ayant été le souhait de l’Ukraine de rejoindre l’Alliance atlantique.

Si l’OTAN, qui est surtout américaine, en était restée à sa dimension initiale, et que l’Europe avait entretenu avec la Russie des relations plus équilibrées, sans se comporter en vassal des Américains, l’Ukraine aurait-elle été envahie ? La logique, le bon sens, et même la realpolitik amènent à répondre par la négative. Mais aujourd’hui, ces termes ont-ils vocation à s’appliquer à Vladimir Poutine ?

L’Europe a aujourd’hui une occasion de se souder, d’envisager une nouvelle stratégie de défense, qui ne passera pas nécessairement par une armée européenne, mais par une coopération coordonnée, y compris en matière d’équipements militaires.

Le président ukrainien demandait ce matin à l’Union européenne de lancer enfin le processus d’adhésion de son pays à l’Union Européenne. Ce soir à Bruxelles, les 27 chefs d’Etats et de gouvernements se rencontreront en urgence. Gageons qu’ils ne se contenteront pas de multiplier les sanctions dont Poutine n’a cure. Seule une réponse politique lui serait audible. Emmanuel Macron, en tant que président en exercice du Conseil de l’Union Européenne, serait inspiré de saisir cette main tendue par Volodymyr Zelensky et de proposer d’ouvrir le processus d’adhésion de l’Ukraine. Ce serait une façon forte pour l’Europe d’exister politiquement et de tenir tête à Poutine sans la soumission à une Otan américanisée à l’excès.

 

Michel Taube

Directeur de la publication