Outre-Mer
17H25 - jeudi 27 janvier 2022

Guadeloupe : comment arrêter la spirale de la violence ?

 

Sur fond de contestation du pass sanitaire et de l’obligation vaccinale des soignants, les violences qui secouent les Antilles depuis mi-novembre s’accentuent. Sentiment d’abandon de l’Hexagone, grave crise sanitaire avec des affaires qui empoisonnent la vie des Antillais depuis des décennies. Comment sortir de cette crise qui n’en finit plus ?

 

Couvre-feu abaissé à 18 h au lieu de 20 h à Point-à-Pitre jusqu’à dimanche 23 janvier, entrée en vigueur du pass vaccinal retardée… Malgré une série de mesures visant à adoucir un climat social chaque jour plus amer, la situation a franchi un nouveau cap vendredi 21 janvier. Le procureur de la République, Patrick Desjardins, a rapporté que les violences en Guadeloupe étaient « organisées et planifiées, […] entre les jeunes [principalement des gangs de Baie-Mahault, de Pointe-à-Pitre et de Grand-Camp], avec la complicité active [d’au moins] un fonctionnaire de police ».

Cette accusation permet au magistrat d’affirmer « qu’aucune scène de violence », y compris les plus récentes, « n’a été spontanée », que ce soient les routes bloquées par des barrages, les voitures et bâtiments brûlés ainsi que les commerces pillés. Parallèlement, le procureur révèle une « volonté claire d’enrichissement » des organisateurs. Au-delà du choix des lieux d’attaque, les suspects incitaient des entreprises à verser d’importantes sommes d’argent afin d’être épargnées.

Huit personnes sont désormais mises en examen. Si leur mode opératoire a été rendu public, leurs revendications manquent cependant à l’appel.

Les violences ne sont pas récentes : en juillet 2021, au plus fort de l’épidémie de Covid-19, des manifestations contre la vaccination ont émergées. Soignants venus de métropole conspués, ou encore CHU empêché de fonctionner ont rendu visible le début d’un sentiment de ras-le-bol dans la population.

Le 17 novembre, l’île des Antilles devient le théâtre d’une grève générale lancée par des opposants à l’obligation vaccinale des soignants. D’abord concentrée aux abords de l’unique CHU de la Guadeloupe, la mobilisation – qu’on accréditera rapidement à des agitateurs syndicaux – s’est exportée aux quatre coins du territoire comme une traînée de poudre.

La métropole décréta le même jour l’obligation vaccinale pour les soignants, sans quoi les réfractaires, estimés à 10 % parmi le corps médical, seraient suspendus à compter du 31 décembre 2021. Or, le taux de vaccination peine à dépasser les 50 % en Guadeloupe. Au 18 janvier 2022, 44 % des plus de 12 ans ont reçu une première injection, et 41 % une deuxième dose.

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L’implication des syndicats locaux dans les affrontements

Retour à ces derniers jours. « L’État avait estimé que sur les vingt dernières années, on n’avait pas atteint le seuil de désordre supportable. [Au 23 janvier 2022], on a dépassé l’insupportable », alerte il y a peu le sénateur PS de Guadeloupe Victorin Lurel à FranceInfo.

Des syndicalistes et des collectifs se sont rapidement saisis des affrontements au point d’être suspectés, sinon incriminés selon les cas, de les diriger. Parmi eux : le collectif LKP et son leader Elie Domota, déjà à l’origine d’une précédente crise sociale, en 2009. Sur les images du 30 décembre 2021 de la télévision locale Canal 10, la figure locale apparaît sur une route avec d’autres manifestants munis de barrières, avant d’être menottée par les forces de l’ordre.

Dès le lendemain, l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe a affirmé que l’arrestation du syndicaliste relevait de la « provocation », contraignant les autorités a levé sa garde à vue. Ce qui corrobore ce qu’a osé « dire tout haut le magistrat [Patrick Desjardins] pour la première fois […] : les bandes, les trafics, les gangs ont une influence sur les violences », rapporte Victorin Lurel, également ancien ministre des Outre-mer sous Hollande.

 

Des années d’abandon, notamment sur les questions de santé, révélées violemment

Mais tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. La population locale souffre d’un sentiment d’abandon en termes de santé publique.

Alors que l’unique Centre hospitalier universitaire de l’île a en partie brûlé en 2017, son entière réhabilitation tarde. Il doit composer, en pleine pandémie, avec un manque de matériel et de personnel ainsi que d’incessantes coupures d’électricité. Des coupures d’eau, contraignant parfois les écoles à fermer leurs portes, se produisent aussi fréquemment – en moyenne deux jours sur cinq. Tel est le quotidien des Guadeloupéens. De surcroit, 70 % des stations d’épuration sont jugées non conformes. Ce qui oblige les 380 000 habitants à acheter chaque année plus de 50 millions de bouteilles d’eau en compensation des soucis d’approvisionnement d’eau.

La pauvreté et le chômage sont aussi monnaie courante en Outre-mer. D’autant plus en Guadeloupe, où 16.2 % de la population active n’a pas d’emploi en 2022 selon l’INSEE, alors que ce même taux atteint les 8.17 % de moyenne dans le pays. Un tiers des Guadeloupéens vit de fait sous le seuil de la pauvreté — établi à moins de 1 040 euros par mois.

L’écart de niveau de vie ne cessant de s’élargir entre l’archipel et l’Hexagone, les Guadeloupéens ressentent « un délaissement excessif » de la part de Paris, selon Alain Dupouy, chroniqueur d’Opinion Internationale spécialiste de l’Outre-mer et de l’Afrique.

 

L’impression d’un bis repetita

Ne pas respecter ainsi l’insoumission délibérée des locaux au vaccin se perçoit comme une provocation de trop en Outre-mer. Cette décision unilatérale rappelle l’indignation des Guadeloupéens au sujet du chlordécone. Le pesticide, interdit en France dès 1990 pour sa dangerosité démontrée sur la santé, a continué à être autorisé, en accord avec les élus locaux de l’époque, dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises par dérogation ministérielle jusqu’en 1993.

Résultat : « plus de 90 % de la population » adulte en Guadeloupe et Martinique sera « contaminée par le chlordécone » selon Santé publique France en 2018. D’après la même source, ce pesticide est responsable du « taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde dans les populations antillaises ». Depuis, les Guadeloupéens se méfient énormément des produits importés de Paris, dont bien entendu les vaccins à ARNm.

« La raison invoquée des tensions se cristallise autour de la crise sanitaire. Toutefois, on ressent en interne qu’il s’agit en réalité d’un prétexte pour réaliser des manœuvres politiques. L’origine réelle des tensions comporte une nature davantage subversive qu’en apparence », appuie le Martiniquais Emmanuel De Reynal, qui suit de près le mouvement insurrectionnel guadeloupéen.

 

Une proposition de sortie de crise par un Grenelle de l’Outre-mer

Dès les prémices de la crise aux Antilles, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, s’est dit « prêt à parler » d’autonomie. Sauf que cette position, censée satisfaire les ultramarins, a plutôt séduit les métropolitains et provoqué l’effet inverse du côté des locaux. Si 65 % des Français adhèrent à la création d’un statut d’autonomie pour l’archipel, seule une très faible minorité des Antillais sont du même avis. La sortie du ministre a de fait suscité de vives réactions. Particulièrement auprès des insulaires, qui ont été plus de 2000 à réclamer, dans un appel relayé par Opinion Internationale, le rétablissement de l’ordre républicain en Guadeloupe, au lieu « de parler d’autonomie ».

Reste toutefois que l’interrogation essentielle questionne le dépassement des violences et les Antillais eux-mêmes. Comment interrompre définitivement les affrontements ? Comment retisser du lien entre les Antillais insulaires avec les Antillais métropolitains – c’est-à-dire partis vivre en Hexagone ?

Plutôt que de grands débats, l’Outre-mer n’a-t-il pas surtout besoin de solutions concrètes ? Les soignants ultra-marins ont donné l’exemple en se mobilisant pour appeler leurs concitoyens à se vacciner.

De façon plus générale, Alain Dupouy estime « qu’on peut avoir des arguments communs avec les organisateurs des agitations », sans toutefois « laisser faire cette anarchie à laquelle s’ajoute la participation de mafieux ».

Pour parvenir à « désamorcer l’escalade des tensions », pour « comprendre enfin les avis exprimés » et bâtir des solutions fédératrices qui dépasseront le climat de violences, Alain Dupouy et Emmanuel de Reynal plaident pour un « Grenelle de l’Outre-mer ». Son but ? « Remettre sur une même ligne de valeur les territoires d’Outre-mer et les départements de métropole ».

Il y a urgence à agir et à dialoguer. Sinon la Guadeloupe et les Antilles continueront à s’enfoncer dans la violence !

 

Noé Kolanek avec Michel Taube

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