Edito
06H27 - mercredi 8 décembre 2021

Le « En même temps » pécressien contre le « en même temps » macronien. L’édito de Michel Taube

 

On ne s’y attendait pas de si tôt mais voilà qu’un sondage Elabe pour L’Express et BFMTV place la candidate des Républicains à 52% des suffrages au second tour de l’élection présidentielle. Les 7 millions de Français qui avaient voté François Fillon en 2017 seraient-ils déjà revenus au bercail comme l’a fait Valérie Pécresse elle-même ?

Il y a chez la nouvelle championne du centre droit une sorte d’effet caméléon qui est fait pour séduire un éventail très large de Français. Effet qui touche à sa personne même, nous y reviendrons, mais aussi et surtout à sa posture politique.

Et Emmanuel Macron lui sert peut-être d’exemple…

Durant la campagne de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron employa si souvent l’expression « en même temps » qu’il s’attira quelques sarcasmes ou moqueries. En réponse, il la fit scander pas ses supporters lors de son grand meeting de Paris-Bercy en avril 2017, expliquant que la formule signifie « que l’on prend en compte des principes qui paraissaient opposés ». En cela, Emmanuel Macron n’a pas tort. La vie est faite de contradictions, de paradoxes, à l’échelle de l’individu comme à celle de la collectivité. L’expression désigne par conséquent le pragmatisme et le réalisme, par opposition au dogmatisme. Mais on peut aussi considérer que politiquement, elle est synonyme de centrisme. D’ailleurs, ne disait-on pas qu’Emmanuel Macron avait brulé la politesse à François Bayrou. Ce dernier en avait rêvé (conquérir l’Élysée et y faire régner le centrisme) et Macron l’a fait.

Par la suite, il a beaucoup été reproché à Emmanuel Macron, encore avec virulence par Éric Zemmour lors de son meeting de Villepinte, d’être nulle part à vouloir être partout, en particulier sur des sujets où la tergiversation n’est pas ou ne serait pas de mise. « En même temps », ce serait donc l’incapacité de décider, de gouverner, mais aussi la forme la plus aboutie du clientélisme généralisé, conduisant à dire à chacun ce qu’il veut entendre. De la politique ordinaire, en somme !

Objectivement, Emmanuel Macron est plus que jamais englué dans son « en même temps ». Il est le favori fragile de l’élection de 2022, sans qu’il soit possible de lui accoler une étiquette politique traditionnelle. Face à une gauche moribonde dont ne subsistent que les franges extrêmes, radicales ou irréalistes, il incarnerait presque le parti socialiste d’avant l’effondrement de 2017, lui qui fut le conseiller puis le ministre de François Hollande. La gauche moderne, c’est donc Emmanuel Macron. Mais au gouvernement, les ténors de la macronie sont essentiellement des transfuges des Républicains : Matignon, Bercy, Beauvau… Au-delà des étiquettes, le défaut de cohérence de l’équipe gouvernementale donne un sentiment de bricolage opportuniste : Darmanin et Dupond Moretti, Blanquer et Maracineanu… Cherchez l’erreur. Et il y en a d’autres… Malgré les gesticulations tardives et peut-être irréalistes ou d’arrière-garde (comme au sujet du cannabis) de Gérald Darmanin, Emmanuel Macron n’a jamais renié son multiculturaliste et son penchant immodéré pour le mondialisme, principalement porté par l’économie. Sa phrase « il n’y a pas de culture française, mais des cultures en France » fut une faute politique en même temps (tient donc) qu’une contre-vérité, car il y a évidemment les deux. Sous la pression de l’opinion reflétée par les sondages, Emmanuel Macron a annoncé quelques restrictions dans la délivrance des visas, après s’être grossièrement prosterné devant le gouvernement algérien, pourtant belliqueux et ouvertement hostile à la France. S’il rempilait pour cinq ans sans traiter avec détermination et efficacité les vrais problèmes qui expliquent la montée des nationalistes, ceux-ci seront assurés d’accéder au pouvoir en 2027, et peut-être même avant si le pays devenait ingouvernable.

Face à Emmanuel Macron se dresse désormais un autre porte-parole d’une forme « en même temps » : Valérie Pécresse. Il en eut été autrement si les Républicains s’étaient choisis comme candidat Éric Ciotti, perçu dans l’opinion comme un tigre de plus dans l’arène de l’extrême droite. Bien que membre indéfectible du parti gaulliste, Éric Ciotti espérait remporter la primaire des Républicains avant de rallier les électeurs de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour, ce qui est précisément le rêve de ce dernier. Aujourd’hui, il est courtisé de toute part, et la perspective qu’il se rallie à Zemmour fait cauchemarder Pécresse et l’ensemble des dirigeants LR. Valérie Pécresse sera obligée de faire elle aussi du « en même temps », d’être fermement et même vigoureusement de droite, sans faire fuir vers Emmanuel Macron des membres et surtout des électeurs républicains, qui rejoindraient Édouard Philippe, Jean Castex, Gérald Darmanin, Bruno Lemaire… Plus que du « en même temps », c’est un véritable grand écart que devra réussir Valérie Pécresse, ce qui correspond traditionnellement à une campagne de second tour. Ne dit-on pas qu’au premier tour, on rassemble son camp, et au second, on rassemble les Français, autant que faire se peut. Or le camp républicain est-il assez uni pour être rassemblé ? Si Éric Ciotti, mais aussi Laurent Wauquiez, soutiennent sans ambiguïté la candidate désignée par les adhérents, sans provoquer de mouvement d’humeur des ténors plus modérés de la droite, Valérie Pécresse pourra espérer siphonner les voies du camp nationaliste, comme Nicolas Sarkozy sut le faire en 2007. Si à l’inverse, la droite de LR traine des pieds, sans nécessairement changer de camp, la tâche serait bien plus ardue. Mais pas impossible. Car durant les quatre débats des primaires de la droite républicaine, les thèmes chers à Éric Zemmour et Marine Le Pen furent omniprésents et portés par tous les candidats, certes avec des nuances significatives venant principalement de Philippe Juvin et de Michel Barnier, lequel a rappelé que face aux États-Unis, à la Russie, à la Chine ou à l’Inde, la défense de la souveraineté de la France était illusoire hors cadre de l’Union européenne, quand bien même celui-ci méritait d’être réformé. Valérie Pécresse, tout comme Xavier Bertrand, n’ont pas été en reste, mais la désormais candidate officielle devra encore convaincre de sa détermination et de sa capacité à maitriser l’immigration, à lutter contre l’islam radical et à rétablir l’ordre républicain et le respect, celui de l’uniforme, de la justice, de l’enseignant, du parent, du chef de l’État.

De nombreux journalistes et éditorialistes s’interrogent sur ce qui différencierait Valérie Pécresse d’Emmanuel Macron si la candidate LR ne s’alignait pas sur les programmes des Le Pen-Zemmour-Ciotti (qui ne sont pas identiques). Beaucoup en réalité, à commencer par la cohérence. Le « en même temps » pécressien semble plus raisonnable et moins dogmatique que celui du sortant. Le monde n’étant pas noir ou blanc (parfois un peu trop gris, peut-être), la nuance et l’adaptation aux réalités sont indissociables de la bonne gouvernance. Mais sur de nombreux points, tant identitaires et sécuritaires, qu’économiques et budgétaires, Valérie Pécresse, à l’image de l’ensemble de la droite républicaine, donne le sentiment de savoir où elle veut aller. Ce n’est pas le cas d’Emmanuel Macron, qui devra en sus défendre un bilan qui n’est guère exaltant. Ce ne sera pas bilan contre bilan, car présider la région Île-de-France, principalement rurale et qui ne se confond pas avec Paris (Valérie Pécresse n’est pas Anne Hidalgo, candidate des écolos bobos parisiens désormais à 3 % dans un sondage), n’est pas présider la France. Mais elle a été brillamment réélue à la tête de sa région, ce qui est un atout et peut-être un indicateur.

Alors, sera-ce « en même temps » contre « en même temps ». En même temps oui et non, finalement !

 

Michel Taube

Directeur de la publication