Edito
02H25 - samedi 20 mars 2021

Ringer, Houellebecq, Pancol, Pennac, Desarthe, Ferré, Grand Corps Malade : nos (futurs) Immortels pour l’Académie Française !

 

Sous la plus belle Coupole de France (l’Institut de France abrite plusieurs Académies quai de Conti, dans un des plus beaux quartiers de Paris), l’Académie française traverse les siècles et les tempêtes. Il se dit que le général de Gaulle voulait la supprimer à la Libération. L’Institution a donc survécu au plus illustre des Français.

La belle endormie joue les gardiennes du temple : la langue française, comme nous le rappelle non sans malice la Fougue de notre Catherine vedette. L’illustre Dictionnaire gagnerait à être distribué dans toutes les écoles de France, – pourquoi pas en épisodes -, mais aussi à nos nouvelles élites perméables à certaines maltraitances que lui imposent notamment la langue des hyper-sexué.e.s.

Alors qu’une dizaine de sièges sont vacants (le dernier élu est l’historien des diversités Pascal Ory), Opinion Internationale propose quelques noms d’écrivains et d’artistes qui, pour services rendus à la langue française, mériteraient d’être rendus Immortels de leurs vivants… Sélection un peu rock n’roll pour dépoussiérer une institution trop vintage comme l’âge moyen et l’uniforme ridicule des Académiciens.

Et que souffle un vent de folie sur notre Académie

Michel Taube

Dossier réalisé avec Catherine Fuhg, Jean-Philippe de Garate et Raymond Taube.

 

Catherine Ringer

Catherine Ringer n’est pas seulement une des plus grandes voix de la chanson, et surtout du rock français. Une longue histoire déjà puisqu’elle a fondé les Rita Mitsouko dans les années 1980 avec son défunt compagnon Fred Chichin. Elle est aussi une de nos plus belles « plumes musicales », une forme d’écriture qui est un art littéraire à part entière, particulièrement en phase avec notre époque. Comme les textos et autres tweets, la chanson peut dire beaucoup en peu de mots. Mais elle doit le dire avec style. L’amitié, l’amour, le sexe, la jalousie, la joie, la tristesse, la mort, les femmes… Avec « Marcia Baïla », premier grand succès des Rita Mitsouko, Catherine Ringer fit chanter et danser la France sur un texte poignant, hommage à une amie décédée du cancer. Plus tard, avec « Le petit train », elle évoque, toujours dans une énigmatique atmosphère dansante, les camps d’extermination nazis.

Comme sa musique, l’écriture de Catherine Ringer est singulière et inimitable. Elle a toute sa place dans une Académie française qui se doit, elle aussi, d’être en phase avec son époque, sans perdre sa vocation d’ultime gardienne de notre patrimoine linguistique.

 

Paroles de Marcia Bailla :

Marcia elle danse
Sur du satin, de la rayonne
Du polystyrène expansé
À ses pieds

Marcia danse avec des jambes
Aiguisées comme des couperets
Deux flèches qui donnent des idées
Des sensations

Marcia elle est maigre
Belle en scène, belle comme à la ville
La voir danser me transforme
En excitée

Moretto, comme ta bouche
Est immense quand tu souris
Et quand tu ris, je ris aussi
Tu aimes tellement la vie
Quel est donc ce froid
Que l’on sent en toi ?

Mais c’est la mort
Qui t’a assassinée Marcia
C’est la mort
Tu t’es consumée Marcia
C’est le cancer
Que tu as pris sous ton bras
Maintenant tu es en cendres, en cendres
La mort c’est comme une chose impossible
Et même à toi qui est forte comme une fusée
Et même à toi qui est la vie même Marcia
C’est la mort qui t’a emmenée

Marcia…

RT

 

Katherine Pancol

Une candidate atypique à l’immortalité. D’abord parce qu’elle sourit tout le temps. Pas de ces sourires en coin, discrets, intelligents. Qu’on vous concède, de loin, de haut. Son sourire, lui, est rayonnant. De tout son cœur, de toutes ses dents. Comme ses romans. Et, promis, c’est contagieux. Ses histoires, sur des titres poétiques – La Valse lente des tortues, Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi… –  vous entraînent comme un bon cavalier sur une piste de danse, pour un rock’n’roll débridé, et vous lâchent au dernier accord, essoufflés et joyeux.

Littérature de gare, dit-on ? De plage ? Ou, pire, de femme ? Car, selon ceux qui s’en réclament, la seule, la vraie, la grande, la seule vraie grande littérature se doit de torturer, d’essaimer au fil des pages les malheurs et les morts et de se terminer, en point d’orgue, sur une note de désespoir.

Au contraire et tant mieux, dans un style délicieusement vif, les livres de Katherine Pancol parlent d’amours, de peines, parfois de tragédies, avec légèreté et profondeur aussi. Non, l’une n’empêche pas l’autre. Leur lecture donne envie de parier sur la vie, la chance et l’avenir, de se risquer à croire en nous et en l’humanité. Elle rendrait presque espoir en la littérature française, puisqu’elle a permis à une plume aussi généreuse de paraître. C’est pourquoi recommandons à l’Académie française, pour retrouver un teint plus sain – le vert, même du laurier, a toujours l’air un peu malade –, de tenter d’introduire, par la voix de Katherine Pancol, le ver de la joie dans ses rangs.

 

 

Daniel Pennac

Lui aussi garantirait un coup de frais sous la Coupole. Je n’oublierai jamais ma réaction, bluffée, aux premières pages que j’ai lues de lui. Je ne m’attendais à rien, et sûrement moins encore à ça. Normalement, comme son nom l’indique, un bouquet final clôture, en beauté, un feu d’artifice. Chez lui, il le commençait. Pas question d’y tremper un orteil du bout de l’ongle pour s’y acclimater, ou renoncer à y aller. Il vous tirait dans le grand bain, d’un coup sec, et hop, on nageait, avec délice, comme un poisson. Le temps de sa lecture, Au bonheur des ogres fit le mien. Brillant, drôle, décapant, sensible, profond, attachant. Tellement ! Imaginez mon état quand j’ai réalisé qu’il n’avait plus, le traître, de page pour moi à tourner. Haletante, hébétée, craignant le sevrage forcé, j’ai couru chez ma libraire pour l’interroger, éperdue – j’en rajoute à dessein.

Qui était ce Pennac ? Avait-il écrit d’autres livres ? Il y en avait deux sur le marché à l’époque que j’ai aussitôt raflés, avant de rentrer chez moi, au trot, guillerette à l’idée de me régaler bientôt. Peu après paraissait le formidable Comme un roman qui a éclairci, pour moi, le mystère de cet auteur. Il déclarait par cet essai aussi remarquable qu’accessible sa passion de la lecture, et son respect des lecteurs. Prouvant que, contrairement à d’autres, nombreux, de ses collègues, il était amoureux des livres, et non pas de lui-même. Depuis, j’ai dévoré la plupart de ses œuvres, et je ne suis pas la seule. Il est un des auteurs les plus populaires en France. Et populaire, à la Pennac, ce n’est pas profane ou vulgaire, c’est comme l’accordéon, un plaisir à portée de tous. Avec Pennac sur ses gradins, l’Académie française descendrait d’un étage, gagnant en légitimité, sans perdre en dignité.

CF

 

Agnès Desarthe

Je ne t’aime pas Paulus, son premier livre publié s’adressait aux adolescents. Un public difficile qui pourtant ne donne pas accès, en France, au titre d’auteur majeur ou à la célébration. Oui, je dis bien en France. Car en Allemagne, par exemple, le nom d’Erich Kästner fait briller les yeux des adultes autant que des enfants. Et en Suède Astrid Lindgren, la mère de Fifi Brindacier, est une idole nationale – elle y a même son musée. Écrire pour les plus jeunes, les faire rêver, vibrer, ou rire, relève du plus fin des arts.

Un art qu’Agnès Desarthe maîtrise. Et comme elle se fiche des titres, elle n’a jamais renoncé au plaisir d’écrire aux enfants, pardon, pour les enfants, tout en faisant l’honneur aux grands de leur consacrer de son temps. Et celle qui parle sans tricher a conquis ce public aussi. Ses romans sentent la vie comme on l’aime. Jamais là où on l’attend. Un long fleuve d’intranquillité. « Fais à autrui ce que tu aimerais que l’on te fasse ! » Ce commandement, Agnès Desarthe l’applique dans ses romans.  

Elle qui avoue adorer être « surprise, bousculée, dérangée » nous réserve un traitement de choix. Sans jamais forcer le trait, sa plume donne chair aux personnages qui touchent le lecteur au cœur. Pas besoin de nous forcer pour entrer dans ses récits agrémentés de cet humour singulier, délicat, qui nous fait rire aux éclats.

Aussi, elle m’excusera, car je ne suis pas sûre qu’elle apprécie l’idée, mais je l’enverrais bien ajouter un peu de sel à l’esprit de l’Académie.

CF

 

Christophe Ferré

 

Et si un auteur de polars siégeait quai de Conti ? Et si le plus populaire des genres littéraires conquerrait ses lettres de noblesse en propulsant un de ses champions dans le Saint des Saints de nos belles Lettres.

L’élection d’un auteur de polars ? Digne du casse du siècle.  

Christophe Ferré connaît déjà la maison puisqu’il est déjà Grand Prix de la nouvelle de l’Académie française. Et son dernier livre, « Soleils de Sang » (France Loisirs) est un coup de cœur pour Opinion Internationale. L’homme n’a pas été que dans le polar. Cela rassurera déjà les Immortels !

Mais que ces derniers se rassurent : il y a souvent dans les faits divers et dans des meurtres élucidés par la plume romanesque d’un écrivain les vérités les plus crues, les plus humaines, les plus tragiques.

MT

 

Grand Corps Malade

Lui, je l’ai rencontré en faisant le ménage, un sport que je goûte peu, mais ce n’est pas le sujet. Rien ne nous destinait pourtant à nous aimer. J’avais appris au lycée à détester le Sprechgesang, grâce au Pierrot Lunaire, ou à Schoenberg, si vous voulez. Depuis cette triste époque, on ne m’y avait pas reprise. Mes enfants me parlaient de slam, de rap, me demandaient d’écouter, au moins pour les paroles. Mais je m’y refusai, têtue comme je suis, jusqu’à ce qu’une amie m’envoie un enregistrement sans autre commentaire que : « Tu vas adorer ». La traîtresse !

Ce jour-là, donc, je chaussai mon casque, pour mieux avaler la pilule de mon devoir de propreté, allumai l’aspirateur et appuyai sur play : « J’crois qu’les histoires d’amour, c’est comme les voyages en train… » Ok, me dis-je alors sur une moue dubitative. Je n’allais pas adorer. Sauf que, au bout d’une strophe, j’étais montée en voiture. En voyage avec lui. J’ai éteint l’aspirateur. Je me suis assise sur un lit. Fermé les yeux pour mieux entendre, et retenir les larmes, mais elles ont débordé et je les ai laissées couler. Sa langue est si simple, si tendre, si vraie qu’elle vous percute, il a l’art de l’uppercut – on peut toujours essayer. « La course contre la honte », « la nostalgie, la fiancée des bons souvenirs qu’on éclaire à la bougie », « sur l’avenir de nos enfants, il pleut de plus en plus fort », n’est-ce pas magnifique ? Il y a tant de poésie dans les vers de Grand Corps Malade !

Alors, même si son français n’est pas académique, l’Académie a besoin de lui.

Il y a les amoureux qui enferment l’objet aimé dans un écrin de velours, pour le protéger, disent-ils, surtout pour mieux le contrôler, quitte parfois à le tuer. D’autres incitent le sujet aimé à s’envoler, se transformer. C’est leur amour que je préfère. Faisons donc danser notre la langue. Osons la désaper. Osons la désemprunter. La désacraliser. Introduisons le swing dans son académie.

CF

 

Houellebecq à l’Académie : oui-oui

 

L’Académie française recèle tous les défauts qu’on lui connaît, mais il en existe un que personne n’osera lui appliquer : inutile. Sans elle, la France ne serait pas exactement la France.

Image de la puissance de l’Etat en toutes affaires, c’est-à-dire dans toutes nos affaires, elle s’immisce jusque dans cette phrase – puisque j’ai vérifié l’orthographe de « s’immiscer » en ouvrant son… dictionnaire.

L’adjudant-chef est une figure décriée de l’armée mais tout le monde sait qu’il en demeure la plus solide des vertèbres lombaires. La tête, c’est bien, la poésie et les rêves nous portent vers les merveilleux nuages, parce que la règle s’impose. Surtout quand on ne la sent pas. Et elle permet la victoire.

Voici les premiers vers de Michel Houellebecq, sous le titre « une sensation de froid ».

Le matin était clair et absolument beau ;

Tu voulais préserver ton indépendance.

Je t’attendais en regardant les oiseaux :

Quoi que je fasse, il y aurait la souffrance.

 

Pas de commentaire. Houellebecq rentrera à l’Académie. Avec son cortège d’ombres, ses « héros » – j’allais écrire ses zéros- de romans, ses dialogues autobiographiques avec BHL – tous deux exécrés d’une moitié de la France – et surtout, cette petite musique, ce mot qui bascule une phrase, qui traduit cet insistant désespoir et une forme de douceur.

On pourrait disséquer une œuvre considérable, mais non. Parler de Bret Easton Ellis, de ceci cela, mais basta. Ceux qui connaissent Meaux et Esbly savent deux trois choses qui échappent aux autres.

Le petit train pour Crécy-la Chapelle ne se prend pas à Meaux mais à Esbly, un peu à l’écart. Il faut changer de voie…

L’aurore blanche sur la Brie est d’une puissance inconnue à Paris ou en Normandie (aux couchers de soleil somptueux). L’est n’est pas l’ouest, et la beauté des matins orientaux peut provoquer un tel choc, une douleur transfixiante – non ! excruciante, écrivait Céline, avant que le mot ne soit écarté du dictionnaire par une certaine… Académie française.

Une douleur excruciante, c’est une sensation d’écartèlement dont rend compte toute l’œuvre de Houellebecq, petit garçon pas pleurnichard pour autant, mais qui aurait à l’évidence aimé, juste un peu, le monde de Oui-oui.

JPdG

 

Et l’élu à l’Immortalité est…

 

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