Pendant des siècles, Les femmes racontées par les hommes, dans les fables comptines ou romans – de Perrette et son pot au lait à Emma Bovary, et j’en passe, forcément – étaient des cruches bavardes, futiles. Des créatures inutiles, si ce n’était par les plaisirs qu’elles pouvaient procurer aux hommes. Ainsi, dans sa Femme noyée, notre Jean national, De La Fontaine pour le nommer, affirmait d’entrée de jeu que, pour lui, contrairement à d’autres, une femme qui se noie ce n’est pas rien, mais beaucoup, car « ce sexe vaut bien que nous le regrettions, puisqu’il fait notre joie » ! Voici de quoi nous rassurer : le roi français de la fable ne détestait pas les femmes : il les méprisait seulement.
Ces représentations se sont gravées dans les esprits. Et ainsi, nous perpétuons les vieux schémas à l’infini, le plus souvent inconsciemment.
Je voulais vous écrire une fable à ce sujet. J’avais déjà trouvé un titre qui se suffisait presque – La Louve et l’Agnelle – et un début prometteur :
Les nerfs à vif, l’œil aux aguets
Une agnelle assoiffée
Buvait à grandes lapées
– Pas question de traîner –
Dans une flaque d’eau stagnante,
Et vraiment dégoûtante.
Il était interdit
De se désaltérer
Dans des courants d’ondes pures
Depuis cette aventure
Si souvent relatée
Une vraie tragédie !
D’un grand frère, ou cousin,
Du moins quelqu’un des siens,
Ou du berger le chien,
Mangé par un sagouin.
Un canidé sadique
Qui l’avait emporté
Et châtié sans procès.
Seulement pour le kick !
N’ayant pas le cœur à la fable, je vous résume la suite. L’agnelle sursaute, terrifiée, lorsque la louve survient à jeun. Cependant, rien à craindre. La louve a perdu l’appétit et n’a qu’une seule envie, vider son sac de bile dans une oreille attentive. Alors qu’elle partait à la chasse pour nourrir sa famille, elle a croisé un loup qui cherchait aventure. Il s’est mis à la suivre, la complimenter sur son poil et son regard brillants, lui proposer des pirouettes. « Et pourquoi pas des cacahuètes ! Il croyait quoi, ce sagouin ?! » peste la louve, ulcérée. L’agnelle remarque en passant que ce doit être encore le loup de son frère ou cousin, et que donc louve et l’agnelle ont un ennemi commun. Après, un long monologue, la louve conclut sur ces paroles :
« Parce que tu vois, petite gazelle… »
– Euh non, moi, je suis une agnelle…
« C’est pareil, ne me coupe pas.
Euh… s’il te plaît… Je n’aime pas ça.
Je trouve que c’est un vrai scandale
Que n’importe quel foutu mâle
Puisse nous transformer, nous femelles,
Toutes, mêmes les prédatrices, en proies. »
À ces mots, la petite agnelle,
Qui ne se sentait pas de joie,
S’écria fiévreusement : « Voilà !
Louves, chèvres, gazelles, même combat ! »
Ce que la fable ne raconte pas,
Mais que la rumeur colporta
C’est qu’une fois le cœur épanché
La louve retrouva l’appétit
Et s’offrit l’agnelle au goûter.
En tartare et non pas rôti.
« T’as oublié la lutte des classes »
Lança alors, la louve, sagace
En recrachant le dernier os.
De cette innocente pauvre gosse.
Mais comme je vous le disais. Je n’ai pas le cœur à la fable. J’y reviendrai donc demain. Pour parler sans fard ni attrape (je sais bien que c’est farce…) de ce sujet qui me tracasse.
Catherine Fuhg