La chronique de Didier Maus
11H47 - mardi 29 décembre 2020

L’accord de Noël post-Brexit… Et la démocratie ? Pour un débat au Parlement français. La chronique de Didier Maus

 

L’accord conclu le 24 décembre après-midi entre l’Union européenne (et la Communauté européenne de l’énergie atomique) et la Grande-Bretagne, déjà dénommé « Accord de Noël » (Brexit Xmas de l’autre côté de la Manche), n’est pas un texte simple. Ceux qui espèrent pouvoir le lire comme un roman seront déçus. L’intelligibilité n’est pas sa première vertu. Il ne peut guère en être autrement. Le document mis en ligne samedi 26 après-midi comprend sept parties consacrées respectivement aux dispositions communes et institutionnelles, au commerce, au transport, à la pêche, à l’application du droit et à la coopération judicaire en matière criminelle, à des coopérations thématiques (sécurité sanitaire et cyber sécurité), à la participation aux programmes de l’Union, aux dispositions horizontales et relatives au règlement des différents et aux dispositions finales représente d’ores et déjà 409 pages. On trouve ensuite quarante-neuf annexes (pages 410 à 1061), puis trois protocoles comprenant eux-mêmes de nombreuses annexes (pages 1062 à 1246, en l’état actuel). Autant dire que les pièges seront dans les innombrables détails de ces stipulations, pour l’instant uniquement rédigées en anglais. La traduction dans les vingt-quatre langues officielles est prévue pour le printemps 2021.

Au-delà de son contenu, qui ne concerne pas, à ce stade, les services financiers, et de sa portée politique, cet « accord commercial et de coopération » soulève de passionnantes questions juridiques. La plus importante est de savoir qui possède le pouvoir de le rendre effectif. Du côté britannique, la compétence appartient au Gouvernement, mais les usages parlementaires conduisent à soumettre le texte à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords le 30 décembre. Du côté de l’Union, la compétence appartient à la Commission, mais le Parlement européen doit donner son approbation. Quant aux États membres, leur consentement, via leur gouvernement, est indispensable pour que la Commission puisse engager définitivement l’Union. Compte tenu des très courts délais (le traité doit entrer en vigueur le 1er janvier), ces discussions relèvent plus de la formalité symbolique que d’un examen au fond. Le Parlement européen, dont le fonctionnement est, par nature, plus compliqué que celui d’un parlement national, n’examinera l’accord que début janvier, c’est-à-dire après son entrée en vigueur provisoire. Ceci étant, le risque d’un vote négatif est purement théorique. Il existe au sein de l’assemblée européenne une vraie majorité en faveur d’une sortie honorable du piège du Brexit. Certains trouveront que telle ou telle concession a été trop chèrement payée, mais la probabilité d’un refus est nulle. 

Il est donc probable que le traditionnel discours sur le déficit démocratique de l’Union va trouver ici un nouveau point d’application. À défaut de pouvoir modifier l’accord ou le rejeter, le mérite d’un large débat serait de remplir une mission d’information et d’explication à destination des citoyens européens et des forces politiques, économiques, culturelles et sociales directement concernées. Il est difficile de compter sur les membres du Parlement européen pour intervenir en véritables diffuseurs du contenu et de la portée de l’accord, mais plus le débat sera important et sérieux, plus il y a de chance qu’il ait un effet. Il faut éviter qu’à l’instar de ce qui s’est passé pour d’autres accords, les fausses nouvelles et les fausses interprétations soient relayées par des extrémistes en tous genres.

Dans la mesure où les États membres ont confié aux institutions communautaires la charge de négocier et d’approuver les accords de ce type, le rôle des parlements nationaux devient très modeste. Il sera intéressant de regarder ce que feront d’autres pays pour associer les élus nationaux à ce monument de politique européenne. En ce qui concerne le Parlement français, il serait salutaire qu’au delà du dialogue avec les commissions des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Gouvernement prenne l’initiative de prononcer une déclaration suivie d’un débat sur l’accord du 24 décembre. Si le Gouvernement ne va pas dans ce sens, la Constitution donne le droit à un groupe parlementaire de demander un tel ordre du jour. La possibilité d’un vote existe, mais sa signification est sujette à caution : on ne pourrait qu’approuver ou rejeter le soutien donné par le gouvernement français à l’accord. Certes un veto national, français ou autre, empêcherait la mise au point définitive du traité, mais la France n’est pas seule. Sa position doit s’inscrire dans l’exceptionnelle solidarité dont les vingt-sept pays ont fait preuve tout au long de la négociation. 

Régler le sort futur des relations entre notre ex partenaire d’outre Manche et le continent s’avère aussi lourd de conséquences que son entrée dans la Communauté européenne il y a quarante-sept ans. En France, le Président Pompidou avait organisé un référendum le 23 avril 1972. Aujourd’hui, une telle procédure n’a pas de sens, mais le moment est suffisamment solennel pour que l’Assemblée nationale et le Sénat soient rapidement associés à la démarche. Cela serait un plus pour la démocratie. Nous en avons besoin.

 

Didier Maus

Président émérite de l’Association internationale de droit constitutionnel