La chronique de Didier Maus
12H04 - mercredi 17 février 2021

Vers la proportionnelle ? Un débat qui ne sert à rien. La chronique de Didier Maus

 

Depuis qu’il a été admis que dans les démocraties le pouvoir repose sur des élections libres, ouvertes et régulières, le débat entre les partisans d’un scrutin proportionnel et ceux d’un scrutin majoritaire fait rage. Depuis que je m’intéresse au sujet, essentiel pour le choix des dirigeants, j’entends, d’un côté comme de l’autre, exactement les mêmes arguments : une loi proportionnelle permettra d’avoir une assemblée diverse, quasiment sous forme d’une photo parfaite des nuances de l’opinion publique ; une loi majoritaire permettra, plus facilement, de dégager une majorité donc d’assurer la stabilité politique. À l’intérieur de chacune des deux grandes catégories, il existe de multiples variétés de mise en œuvre (un tour/ deux tours, seuil d’accès à la représentation, prime majoritaire, cadre territorial, répartition des restes…) On hésite, par exemple à qualifier la loi électorale (au demeurant bonne) utilisée pour les élections municipales en France : proportionnelle avec correctif majoritaire ou majoritaire avec correctif proportionnel ? « Les deux, mon général ».

Pour des raisons aisées à comprendre, et parfaitement cohérentes avec son histoire, le Modem, comme d’autres partis minoritaires, plaide à nouveau pour la proportionnelle. Ses députés ont même déposé deux propositions de loi, l’une pour reprendre le système mis en place par François Mitterrand en 1986 (conjointement avec l’augmentation du nombre des sièges de députés), c’est-à-dire la proportionnelle intégrale à l’échelon départemental ; l’autre pour ne prévoir la proportionnelle que dans les départements élisant douze députés et plus. Pour reprendre une formule célèbre il s’agirait « d’instiller » une dose de proportionnelle dans le scrutin majoritaire. Le simple fait de déposer deux propositions de loi illustre bien l’ambiguïté de la situation. Les certitudes sont absentes, les hésitations permanentes.

L’expérience de 1986 donne à réfléchir : la majorité socialiste sortante a perdu les élections, mais grâce à la proportionnelle tous ses principaux dirigeants ont été réélus. Il y a une dissociation entre la défaite collective et la survie individuelle. C’est un avantage certain pour une coalition majoritaire en perte de vitesse. De plus, cet aménagement qui visait à casser la dynamique de l’union RPR-UDF n’a pas empêché la coalition victorieuse de disposer d’une très étroite marge de manoeuvre (3/4 sièges) et lui a évité d’être tentée de se tourner vers les trente-cinq députés du Front national. Le gouvernement de Jacques Chirac avait pris l’engagement de rétablir le traditionnel scrutin majoritaire, ce qui mécaniquement condamnait certains élus à disparaître, mais d’autres à retrouver un siège. Il s’agit d’un des très rares cas où une assemblée élue à la proportionnelle a accepté de revenir à une loi majoritaire. Dans la plupart des pays d’Europe, où la proportionnelle est largement dominante, les chances d’un rétablissement du scrutin majoritaire sont très, très faibles, tant la proportionnelle est confortable pour les appareils politiques.

La force de la Ve République – chacun le sait- repose, au-delà des formes constitutionnelles, sur deux éléments indissociables : un Président de la République élu par l’ensembles des Françaises et des Français, après en général (sauf en 2017) une véritable confrontation politique. Il est perçu comme le véritable chef de la majorité. De ce fait, il cherche inévitablement à disposer d’une majorité stable, cohérente et disciplinée à l’Assemblée nationale. En 1981 et en 1988, François Mitterrand a anticipé sur la désormais habituelle séquence élection présidentielle/élections législatives en procédant à la dissolution de l’Assemblée nationale. Certes les résultats de 1988 ont été moins brillants que ceux de 1981, mais la majorité ne s’est jamais disloquée. La réforme du quinquennat n’a fait que confirmer cette situation : la France élit désormais tous les cinq ans un Président et une majorité liée à lui. Pendant les cinq années qui suivent ils gouvernent ensemble, à leurs risques et périls communs. Au terme de cette période, il est demandé au corps électoral soit de confirmer le tandem sortant soit de lui substituer un autre attelage, supposé, au départ, faire mieux.

Modifier ce système, dont les sondages indiquent qu’il demeure aimé des Français, ne peut prendre que deux voies : modifier le mode d’élection du Président de la République ou instaurer une proportionnelle intégrale, modèle 1986, pour les élections législatives. Notre boîte à outils n’est pas très garnie. Imaginer qu’un candidat crédible à la présidence de la République propose qu’il soit le dernier à être élu au suffrage universel direct relève du fantasme absolu. Qu’un président élu instaure la proportionnelle intégrale avec le risque d’une disparition du phénomène majoritaire, en clair qu’il scie la branche qui lui permet de gouverner, relève de l’inconscience. Que l’une ou l’autre de ces réformes soit intellectuellement souhaitable ne change rien à la réalité politique. Celle-ci domine tout.

Alors faut-il poursuivre le débat sur une dose de proportionnelle ou la proportionnelle intégrale ? Oui, pour se faire plaisir, mais est-cela l’art de gouverner en période d’état d’urgence sanitaire ?

 

Didier MAUS

Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel

 

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