Edito
10H47 - mercredi 21 octobre 2020

L’Europe des droits de l’Homme est notre alliée dans la guerre contre l’Islam radical. L’édito de Michel Taube et Raymond Taube

 

À la suite de l’assassinat d’un enseignant, dont la haine fut attisée par des parents d’élèves et des leaders de l’islam radical, on évoque régulièrement la nécessité d’une réforme constitutionnelle, le cas échéant par voie référendaire. En effet, depuis juin dernier, le Conseil constitutionnel a censuré trois textes de loi, certes en partie du fait de leur rédaction perfectible (ou franchement imparfaite) : la loi sanctionnant la haine sur internet, celle créant le délit de recel d’apologie du terrorisme, et celle instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’actes terroristes, à l’issue de leur peine. Le Conseil constitutionnel invoque l’atteinte à la liberté d’expression, le défaut de proportionnalité des mesures à la gravité du risque et l’atteinte à des libertés fondamentales.

Le gouvernement s’apprête à faire adopter une nouvelle loi contre le séparatisme islamiste et pour consolider la laïcité, visant en réalité l’islam radical, mais sans le nommer pour échapper à une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Elle s’efforcera de donner un cadre législatif – ou de le renforcer – aux mesures déjà annoncées par le ministre de l’Intérieur, comme la fermeture de mosquées, la dissolution d’associations, ou l’expulsion d’islamistes, mesures qui seront contestées en justice, avec une sérieuse chance de succès.

La prochaine loi pourra assurément donner à ces mesures un cadre juridique, mais se posera alors à nouveau question de leur conformité à la Constitution. Dans l’hypothèse d’une nouvelle censure ne subsisteraient que deux possibilités :

La première consiste à entrer sur le terrain de l’exception, une exception qui risquerait de durer. L’état d’urgence en est la forme la plus modérée. En cas de recrudescence massive du terrorisme, on pourrait même envisager l’état de siège, impliquant l’intervention de l’armée, ou le recours à l’article 16 de la Constitution au titre duquel le Président de la République exercerait les pleins pouvoirs. Il faudrait un véritable chaos pour que l’on en arrive à ces mesures extrêmes. Certes, la confrontation de la République avec le fondamentalisme peut être vue comme une guerre, mais l’action de l’islamisme politique repose d’abord sur l’entrisme, le séparatisme, la victimisation des musulmans. Le terrorisme, qui si dramatique soit-il, n’est que la partie immergée de l’iceberg théocratique.

La seconde hypothèse de renforcement de l’arsenal législatif est d’adapter la Constitution à la loi, alors que l’on fait généralement l’inverse. Il faudrait donc réformer la Constitution, ce qui peut d’autan plus aisément s’envisager que le combat contre l’islamisation des musulmans de France, puis dans un second temps de la France entière, est un combat de très longue haleine.

Mais alors se poserait une autre question : la Constitution remodelée serait-elle conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme, qui est notre référence suprême ? En effet, si la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui siège à Strasbourg et juge de l’application de la Convention, ne peut casser une décision du juge national, sa jurisprudence engage les tribunaux nationaux sur leurs futures décisions, Conseil constitutionnel compris. Elle s’impose même au législateur national, en ce qu’aucune loi ne peut lui être contraire. Il convient néanmoins de nuancer la primauté du droit international, car son application dépend in fine du bon vouloir des États. La Turquie et la Russie, qui violent allègrement certaines libertés fondamentales, sont signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme, et n’en ont jamais été exclues. Pas davantage que le serait la France si elle considérait que la gravité de la situation l’oblige à prendre des mesures exceptionnelles, même constitutionnelles.

De toute manière, et contrairement à une petite musique infondée, l’Europe (celle des droits de l’homme et de la CEDH) est une alliée puissante pour un Etat comme la France qui voudrait défendre ses valeurs contre l’islamisme radical.

La vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, insistait, elle aussi, lundi 19 octobre, sur la nécessité de protéger nos libertés individuelles, en l’espèce la liberté d’expression, dans la guerre contre la haine en ligne. Puisque l’exécutif européen doit dévoiler d’ici à la fin de l’année une nouvelle législation (« Digital Services Act ») pour mieux réguler les géants de la tech, autant que tout ce beau monde révise ses fondamentaux en matière de libertés en Europe… Hier soir encore, trois textes ont rassemblé une majorité d’eurodéputés du Parlement Européen pour mieux superviser les grandes plateformes, notamment dans la lutte contre les propos haineux. Les élus incitent la Commission européenne à la fermeté dans son projet de nouvelle législation.

En effet, la CEDH, qui n’a aucune leçon à recevoir de droitsdel’hommistes qui ne connaissent même pas leur matière sur le bout des doigts, a déjà eu à se prononcer sur des mesures de lutte contre le séparatisme islamiste :

À la suite de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, une citoyenne française avait estimé que ce texte violait plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme : l’article 3 prohibant les traitements inhumains, l’article 8 protégeant la vie privée, l’article 9 protégeant la liberté de pensée, de conscience ainsi que la liberté religieuse, l’article 11 consacrant la liberté d’association, et bien entendu l’article 14 prohibant la discrimination. Dans son arrêt du 1er juillet 2014, la CEDH a admis que cette loi constitue une ingérence dans les droits des citoyens et a rejeté la motivation sécuritaire invoquée par la France, en l’absence de menaces concrètes pour la sécurité publique, au sens des articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais elle a finalement donné gain de cause à l’État français au nom de la préservation du « vivre ensemble » en tant qu’élément de la « protection des droits et libertés d’autrui », considérant que « la question de l’acceptation ou non du port du voile intégral dans l’espace public constitue un choix de société ». Cette décision, motivée sur plus de soixante pages, est un petit bijou politique autant que juridique.

Dans un arrêt du 10 novembre 2005, la CEDH avait déclaré conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme la décision de la Turquie, alors laïque, c’était avant Erdogan, de restreindre le port du voile à l’université, pour cause de sécurité publique, et notamment pour s’opposer à l’activisme de certains mouvements fondamentalistes.

La position de la cour de Strasbourg, qui n’est certes pas toujours aussi limpide, peut surprendre, car la France et la Turquie étaient alors les seuls pays laïcs du continent, voire de la planète. En Europe, c’est le libéralisme religieux qui prédomine, autorisant même les fonctionnaires à exprimer leur conviction. Au Royaume-Uni ou en Allemagne, une enseignante peut être voilée. Mais la CEDH semble faire montre d’une souplesse bien plus grande que le Conseil constitutionnel dans l’appréciation d’une situation d’exception, allant même jusqu’à accepter qu’une religion puisse être implicitement désignée. La France disait « dissimulation du visage ». La CEDH a répondu « interdiction du voile intégral dans l’espace public » au nom du « choix de société » et de ce fameux « vivre-ensemble » dont prétextent les leaders de l’islam politique (et leurs complices) pour imposer l’expression religieuse débridée.

Pour la haute juridiction européenne, la liberté religieuse est essentielle, mais lorsqu’elle est détournée à des fins politiques, elle perd sa qualité sacrée lui valant sa protection juridique. On peut par conséquent miser sur sa compréhension de la situation gravissime dans laquelle se trouve la France.

Ainsi, la France pourra se doter des outils juridiques permettant de faire face à l’islamisme radical. Mais le droit n’est rien sans volonté politique et pleine coopération de l’administration et de la justice. Lorsque les élèves reprendront le chemin de l’école le 2 novembre, à l’issue des vacances de la Toussaint, les priorités du moment auront changé. Les services de réanimation des hôpitaux seront peut-être au bord de la saturation pour cause de Covid, et dans certaines agglomérations ou régions, on envisagera à nouveau des mesures de confinement.

Il faudra donc faire montre de détermination et de constance dans la lutte contre l’islamisme radical, y compris lorsqu’il aura quitté temporairement la une de l’actualité. Après chaque attentat, nous avons eu droit à des déclarations martiales de nos gouvernants. Et puis l’on est passé à autre chose…

Au final, seule une révision de la Constitution créant un Titre « De la laïcité » permettrait de consolider les moyens de gagner cette sale guerre, d’autant que celle-ci prendra nécessairement, par la nature du conflit, par le nombre et la qualité des troupes de nos ennemis, le temps d’une génération…

 

Michel Taube

et Raymond Taube, Fondateur de l’IDP – Institut de Droit Pratique, rédacteur en chef d’Opinion Internationale

 

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