International
16H38 - mercredi 9 septembre 2020

Emmanuel Macron en Corse, Sommet Euro MED7, plan de relance, Jean Castex, autonomie… Grand entretien avec Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif corse

 

Monsieur Gilles Simeoni, vous êtes le président du Conseil exécutif corse. Jeudi 10 septembre, Ajaccio accueillera le Sommet Euro MED 7 et sera la capitale de la Méditerranée pendant 48h. Emmanuel Macron recevra ses homologues d’Italie, d’Espagne, du Portugal, de Grèce, de Chypre et de Malte à un moment de grandes tensions, notamment avec la Turquie et la crise du coronavirus. Est-ce la concrétisation du discours qu’Emmanuel Macron avait prononcé en février 2018 à Bastia et au cours duquel il avait déclaré : « Je souhaite faire de la Corse la pointe avancée de la politique méditerranéenne de la France ». Ou sommes-nous dans les effets d’annonce ? 

Le Sommet Euro MED7 et le fait de réunir sept chefs d’Etats parmi nous, c’est un acte politique fort mais il est trop tôt pour dire s’il s’agit uniquement d’un one-shot ou si cela témoigne d’une volonté d’inclure la Corse dans une réflexion euro-méditerranéenne pérenne.

Pour nous, il est important de concevoir la Méditerranée comme un projet à la fois culturel et politique. Or aussi bien les pays méditerranéens de l’Union européenne que les régions, les îles ou les peuples sans Etat de la région ont vocation à contribuer à la construction de ce projet. Nous n’avons pas eu le temps d’en discuter avec le président de la République mais il est important qu’il ait acté de l’existence de ce projet.

Dans la foulée de son discours de 2018, Emmanuel Macron avait ajouté que le plan d’action en Méditerranée de la Corse doit être conduit sous l’autorité du préfet, ce qui nous renvoyait à une vision singulièrement centralisatrice que nous regrettons.

 

La Corse est une île de la taille presque équivalente à Chypre et bien plus grande que Malte. Des nombreuses îles comme la Sardaigne voisine ont des degrés divers d’autonomie. La question de l’autonomie corse se pose-t-elle à l’échelle méditerranéenne ou se pose-t-elle uniquement dans un face-à-face Paris – Corse ?

La question se pose tout d’abord dans le cadre de la construction européenne qui reste et devient plus que hier malheureusement de plus en plus inter-étatique alors que les peuples sans Etats ou les régions à forte autonomie devraient pouvoir y contribuer.

L’autonomie de plein droit et de plein exercice est portée en Corse depuis plus de cinquante ans. Hier elle était avant-gardiste. Aujourd’hui, elle se révèle en phase avec les exigences du monde moderne. Je le rappellerai demain dans le cadre de mon entretien avec le président de la République : toutes les îles de Méditerranée ont au minimum un statut d’autonomie.

Le droit comparé et le droit interne européenne doivent conduire la République à regarder sans défiance et sans crainte cette évolution inéluctable pour la Corse.

 

Etes-vous inquiet sur le sort géopolitique de la Méditerranée à court terme ? Dans un éditorial, nous rappelons avec Michel Scarbonchi, chroniqueur d’Opinion Internationale, qu’il y a trois siècles et demi, en 1676, la Corse, a été la terre d’accueil à Cargèse de 600 Grecs fuyant les persécutions turques.

Les Grecs mais aussi les juifs qui fuyaient notamment la Syrie. La Corse a toujours été une terre d’accueil et d’intégration et a vocation à le rester.

Tous les antagonismes, notamment avec l’islamisme radical, les appétits féroces des uns et des autres, surtout avec l’expansionnisme turc en Méditerranée orientale, et les inégalités économiques sociales se concentrent en Méditerranée jusqu’à en faire un cimetière marin. C’est pourquoi seul un projet global, politique, culturel, économique et social pour la Méditerranée permettra de dépasser ces logiques de confrontation. J’espère que ce sera un des enjeux de ce Sommet.

 

Emmanuel Macron ne vient pas que pour le Sommet MED7 et il a prévu toute une série de rendez-vous insulaires. Où en est votre relation avec le président de la République et qu’attendez-vous de sa visite ce soir et demain ?

La situation est que nous faisons face, et nous le regrettons, à un déficit de dialogue politique et de blocage, y compris sur des points importants que le suffrage universel en 2017 nous avait donnés massivement pour mission de faire prendre en compte. Je pense au statut d’autonomie de plein exercice et de plein droit, la co-officialité de la langue corse, le statut de résident, revendications du mouvement nationaliste depuis des décennies.

Alors qu’Emmanuel Macron avait été élu sur une promesse de pacte girondin, le dialogue n’a pas été au rendez-vous. Et je le regrette.

S’ajoute à ce déficit politique une crise économique et sociale d’une gravité sans précédent. Imaginez que le PIB global de l’île, déjà très fragilisé, est frappé de plein fouet par la crise de la Covid-19 : dans le tourisme, on estime les pertes à plus de 1,5 milliards d’euros dans ce seul secteur, et la commande publique dans le secteur économique et social est affaiblie d’autant. Les TPE de Corse sont en péril.

Or l’Etat et le gouvernement n’ont pas pris l’exacte mesure de la gravité de la situation sociale et économique engendrée par la crise du coronavirus en Corse. Nous attendons donc aussi du rendez-vous que je vais avoir avec le chef de l’Etat qu’il prenne la mesure de la situation et qu’il dévoile des annonces fortes dès demain sur le principe, qui nous permettront ensuite de travailler avec l’Etat sur la méthode, les instruments à mettre en place et le fond. Nous sommes disponibles mais il y a urgence absolue.

 

Sur ce point, la Corse se retrouve-t-elle dans le plan de relance dévoilé par le premier ministre Jean Castex ?

Le plan de relance sera certainement au menu de nos discussions. Ses faiblesses sociales, des mesures qui se font au détriment des ressources des collectivités locales, ses déclinaisons en Corse seront discutées avec le gouvernement mais, j’insiste, il ne peut y avoir relance s’il n’y a déjà concomitamment sauvetage et sauvegarde notamment de l’emploi, du tissu de PME et des recettes fiscales de la collectivité de Corse.

 

Lorsque Jean Castex a été nommé premier ministre et que vous avez entendu son bel accent du Sud-Ouest, et qu’il a ensuite lourdement insisté sur l’importance des territoires et du couple préfet – élus locaux, vous êtes-vous dit que Jean Castex sera le girondin du jacobin Macron ?

Nous avons noté avec intérêt la personnalité et la trajectoire politique du premier ministre qui pourraient laisser penser qu’il sera un artisan de la décentralisation réelle face à des réflexes jacobins omniprésents. Mais l’impulsion doit venir avant tout du président de la République et je le lui dis à chaque fois que je le rencontre.

Ce président qui se veut celui de la rupture, d’une réforme profonde de la France et de l’Europe pourrait être celui qui crée les conditions d’une solution politique durable de la question corse, dans des termes à la fois politiques, culturels et symboliques mais aussi économiques et sociaux.

Quel paradoxe qu’au moment où le peuple corse s’est massivement exprimé en 2017 pour une telle solution, au moment où la clandestinité et le choix de la violence ont disparu, au moment où de nombreuses îles ont un statut d’autonomie, quelle ruse de l’histoire que l’Etat ne soit pas au rendez-vous pour doter la Corse d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice et l’emmener sur un chemin innovant vers une solution politique globale et durable. C’est tout le défi que doit résoudre le chef de l’Etat.

Nous sommes disponibles même si nous ne sommes pas loin d’avoir perdu cinq ans.

 

Au vu du programme corse d’Emmanuel Macron, qui fait la part belle aux élus LREM d’Ajaccio et de Bonifacio, d’aucuns lui prêtent des arrière-pensées électoralistes en vue des élections départementales et régionales de l’année prochaine ?

Il est vrai que nous regrettons qu’Emmanuel Macron ne vienne pas à Bastia dont le maire est nationaliste ni à l’Assemblée de la Collectivité de Corse qui représente les institutions et le peuple de Corse. Je n’en tire pas des conséquences définitives mais cela brosse, par petites touches impressionnistes, un tableau qui peut laisser deviner de réelles arrière-pensées électorales.

Si le chef de l’Etat veut créer un front républicain contre le front nationaliste, ce serait, comme en 2017, électoralement suicidaire et politiquement dangereux.

Mais je vais vous dire, l’essentiel est que la Corse, la troisième île de Méditerranée, le peuple corse, nous aspirons modestement à jouer notre partition en Méditerranée et dans un monde en profonde mutation.

Notre démarche est de construire par le dialogue et de donner sa place à chacun. A Emmanuel Macron de créer l’espace de ce dialogue et des solutions politiques et économiques qui sont au bout du chemin.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

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