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13H11 - lundi 31 août 2020

Dr Fady Gemayel, président de l’Association des industriels libanais : « La France peut aider le Liban à recouvrer son identité, celle d’un Etat libéral »

 

Docteur Fady Gemayel, vous êtes Président de l’Association des industriels libanais (AIL) et depuis juin dernier le président de la Fédération européenne des fabricants de carton ondulé (FEFCO). Vous êtes aussi le dirigeant de plusieurs entreprises françaises du secteur de l’emballage, notamment Norpaper. Emmanuel Macron arrive à Beyrouth ce soir pour la seconde fois depuis l’explosion tragique du port de Beyrouth. Où étiez-vous le 4 août à 18h et comment avez-vous vécu l’explosion dans le port de Beyrouth qui a dévasté la capitale libanaise ?

J’étais retenu en rendez-vous. A quelques minutes près, j’aurais été fauché. J’ai découvert un paysage de désolation, apocalyptique, des millions d’éclats de verre. A la fois la mort à domicile pour des milliers de mes concitoyens et un crime contre l’humanité.

 

Les visites d’Emmanuel Macron, est-ce de l’ingérence comme le dénoncent certains Libanais ?

Rappelons-nous que le président français intervient face et en réponse à un crime contre l’humanité. Nous attendons du monde libre une réaction à ce qui s’est passé, à une véritable tragédie dont l’ampleur est telle que le Liban ne peut s’en remettre seul.

Nous avons besoin d’être aidés à reprendre nos libertés. Nous avons besoin d’être aidés à construire un contrepoids face à une présence extérieure de moins en moins masquée et relayée dans le pays par des forces devenues hostiles aux intérêts du peuple libanais, lesquelles forces nous privent littéralement de nos décisions politiques mais aussi économiques. Par exemple, ce ne sont pas les Libanais qui ne veulent pas accéder à l’aide du FMI.

Donc oui, nous saluons la présence de la France à nos côtés. Elle ouvre de grands espoirs pour tous les Libanais qui veulent reconstruire le Liban et lui donner un nouvel espoir.

 

Pensez-vous que cette explosion va changer le pays en profondeur ou la corruption et les intérêts des forces politiques historiques au Liban sont trop puissants pour céder leur place à une nouvelle génération de dirigeants politiques ? 

Nous sommes face à un double défi. Pour une grande partie des Libanais, il est difficile d’accepter que les mêmes personnes qui ont mené le pays, avant l’explosion, à notre ruine socio-économique puissent être eux-mêmes la source du changement tant attendu.

D’autre part, l’hégémonie d’une partie de la classe politique, corrompue et surtout inféodée à des forces étrangères, régionales, qui veillent aux intérêts de leurs maîtres et qui se vantent d’avoir le Liban sous leur tutelle, se confirme à travers le blocage de toute solution.

Or on a du mal à croire qu’en 2020, avec les 300 000 déplacés de Beyrouth qu’a provoqués l’explosion du 4 août, ce crime puisse rester impuni. Ce crime odieux contre l’humanité doit déboucher sur une solution internationale qui ne se limitera pas à la seule réforme structurelle et économique qui risquerait de conduire à la reconduite de cette même classe politique.

Oui, nous espérons donc ce déclic vers un nouveau Liban libre et souverain, mais aussi libéral et ouvert au monde. Ce sera la condition pour que nous restions unis dans ce pays aux dix-huit religions.

 

En tant que Président de l’Association des industriels libanais (AIL), où en est l’économie libanaise depuis le 4 août ? Tous les voyants étaient déjà en rouge mais quelles sont les conséquences économiques et industrielles de la catastrophe du 4 août ?

Nous sommes très affectés et découvrons tous les jours de nouvelles conséquences de cette tragédie. Tout le monde pense à l’entraide plus qu’à l’économie. Des quartiers entiers sont ravagés et à reconstruire. Mais nous restons optimistes : si nous reprenons notre liberté, l’industrie libanaise est un puissant levier de développement et de relance de l’économie.

Les défis ne nous font pas peur mais nous sommes à la croisée des chemins et devons choisir la bonne voie.

Je préfère rester optimiste. Je ne donnerai qu’un exemple : vous savez, notre entreprise familiale a 90 ans. Elle a déjà été bombardée dans les années 80 et en huit mois nous l’avons reconstruite. Les Libanais ont une grande capacité de rebondir et de sortir des crises.

 

Vous êtes un acteur clé de l’emballage au Liban. Comment va ce secteur stratégique aujourd’hui ?

Nous connaissons le bois, le papier et l’emballage comme nul autre. Nous exportons beaucoup vers les pays exigeants et disposons d’implantations en France, aux Etats-Unis, en Afrique, dans les pays du Golfe et en Iran.

L’industrie papetière a été pionnière dès 1929 dans le recyclage et la récupération de vieux papiers sur place. Et nous sommes très actifs dans l’emballage. Nous sommes aussi très à la pointe dans l’économie circulaire et durable.

Un DESS croisé entre les universités de Grenoble et du Liban forme nos jeunes aux technologies papetières.

Notre potentiel est donc considérable en termes d’investissements et d’emplois dans ce secteur stratégique.

 

Vos homologues français du MEDEF viennent de tenir leur université de rentrée. Leur dites-vous : « comme Emmanuel Macron sur le plan diplomatique, venez au Liban nous soutenir et investir dans l’avenir » ?

Oui, car le Liban reste un pays d’opportunités en matière de production industrielle et de distribution avec des relations privilégiées avec la France. Des joint-ventures avec des PME libanaises partenaires basées au Liban permettent de rayonner sur tout le Moyen-Orient et l’Afrique. Nos jeunes sont compétents. Entre Français et Libanais, on se comprend. Nous sommes aussi des experts en gestion de crise. Donc oui, j’invite mes homologues français à faire comme Emmanuel Macron : venez et nous pourrons rebâtir ensemble le Liban de demain dans des accords win-win.

Nous nous félicitons donc de la prise de position récente de Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF, qui vient de déclarer : « Les entreprises françaises sont prêtes à travailler « au côté du peuple libanais » sur le projet de reconstruction du port de Beyrouth ».

 

Une question au nouveau président de la Fédération européenne des fabricants de carton ondulé (FEFCO). Quels sont les effets de la crise de la Covid 19 en France et en Europe sur les entreprises de votre secteur ?

La crise a démontré que notre activité de l’emballage était essentielle à toute l’économie. Certes, la crise affaiblit toute l’économie et bien sûr notre filière. Mais en même temps, à la faveur des plans de relances (je salue l’implication du couple franco-allemand pour l’adoption du plan européen), et de la prise de conscience que l’on peut relocaliser en Europe des industries basées en Chine, on peut parier que la rentrée sera celle de la reprise industrielle. D’autant que l’Europe et la France plus particulièrement ont un potentiel extraordinaire.

 

J’insiste sur ce point : avec vous, c’est un Libanais qui préside une Fédération professionnelle européenne. C’est comme si le Liban participait à l’Eurovision, ce qui n’est pas une idée absurde dans mon esprit. C’est dire l’ancrage européen et occidental du Liban. Vous reconnaissez-vous donc dans cette jeunesse libanaise qui manifeste depuis le 17 octobre et qui milite pour un Liban tourné vers l’Europe et l’Occident ? Quel message voulez-vous lui délivrer ?

Je remercie tout d’abord les collègues européens de la Fédération européenne des fabricants de carton ondulé pour la confiance qu’ils m’ont accordée.

Oui, je me reconnais dans cette jeunesse. Nous sommes un pays de culture, un pays qui veut s’ouvrir à tous. Nous aimons tout le monde et tout le monde veut prendre le Liban. C’est dans notre ADN. Notre vocation est d’être fédérateurs. Les Libanais ont le droit à un pays libre, de culture et d’ouverture.

Donc oui je me retrouve dans l’esprit de cette jeunesse et je me reconnais dans ce mouvement. Le Liban a perdu son identité et doit la retrouver : celle d’un Etat libéral, d’un pays messager. Je veux que mes enfants vivent au Liban au milieu d’un peuple qui ne soit plus assujetti ni inféodé.

Et nous attendons que la France nous aide à faire la différence.

 

Propos recueillis par Michel Taube

 

 

 

 

 

 

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