Edito
06H49 - mercredi 13 mai 2020

Pourquoi la crise du coronavirus appelle à tourner la page de la Vème République. L’édito de Michel Taube

 

Le sort des institutions n’est pas la priorité des Français. Ils auraient bien tort de le penser car elles façonnent le comportement et l’efficacité de nos gouvernants. Un exécutif plus concentré sur le chef de l’Etat élu au suffrage universel direct avec un Parlement plus puissant et associé en amont – avec les forces de la nation, notamment des collectivités locales beaucoup plus autonomes – à la réaction dès janvier face à l’épidémie en Chine puis à l’élaboration du plan de déconfinement dès la mi mars aurait changé le cours de ces deux mois dramatiques.

Chaque fois que la France traverse une crise, on entend les politiques et les commentateurs se réjouir que « nos institutions aient tenu » et se gausser de la magnifique construction qu’est notre Vème République. Comme si les institutions des autres pays démocratiques s’effondraient au premier coup de vent !

La crise sanitaire actuelle donne une nouvelle illustration de l’absurde dichotomie à la tête de l’exécutif, et il n’est pas exclu que la crise économique et sociale qui suivra en sonne le glas. Peut-être qu’Emmanuel Macron, l’homme du « en même temps » se complaît-il dans un régime qui est en même temps parlementaire et présidentiel. Parlementaire, il l’est sur le plan juridique : selon la Constitution, donc juridiquement, c’est le Premier ministre, qui détermine et conduit la politique de la nation. Politiquement, il n’est que le collaborateur du président, comme le disait Nicolas Sarkozy. Sauf bien sûr en cas de cohabitation, comme l’ont connue François Mitterrand et Jacques Chirac. Dans ce cas, le Président fait de la figuration en grande pompe, tout en restant chef des armées, ce qui est une incongruité, puisque la politique de défense comme la politique étrangère n’échappent pas au champ des compétences du Premier ministre.

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En laissant son Premier ministre gérer la crise du Covid-19, Emmanuel Macron respecte les institutions. Faut-il s’en réjouir ? Le propos n’est pas ici d’évaluer les compétences et mérites des uns et des autres. C’eut été un autre couple exécutif que la question eût été identique, ou du moins analogue, car Édouard Philippe, fer de lance de la majorité présidentielle, n’est pas membre du parti du président, et n’est pas véritablement chef de la majorité parlementaire. Il est un transfuge de LR, un parti d’opposition, dont il n’est pas exclu qu’il le rejoigne à la faveur d’un remaniement. Avec 53,7 % des sièges à l’Assemblée nationale dévolus aux députés de LREM, Emmanuel Macron n’a besoin d’aucun soutien politique (les mouvements sociaux, c’est autre chose !) pour faire voter SES lois. La scission que s’apprêtent à provoquer une cinquantaine de députés En Marche pour créer leur propre groupe politique (les frondeurs sont de retour) va certes fragiliser le parti présidentiel qui n’aura plus de majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Mais le Modem et Agir feront l’appoint.

Si le juriste, le constitutionnaliste, ne peut que souligner qu’une gouvernance assurée par le Premier ministre est conforme aux institutions, le citoyen lui objectera qu’il n’a pas été élu et, en l’espèce, que son parti n’est pas majoritaire.

La tradition de la Vème République est que le Premier ministre serve de fusible au Président en cas de crise. L’échec de l’hôte de Matignon, quand bien même n’en serait-il pas le premier responsable, ne serait ainsi pas celui du président. C’est qu’il y a bien crise ! Le bilan du tsunami Covid-19 sera vraisemblablement catastrophique, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique. Aux dizaines de milliers de morts s’ajouteront des millions de chômeurs et une augmentation de la pauvreté, car ce serait un miracle et une première mondiale qu’une récession d’au moins 10 % n’ait pas de pareils effets. Peut-être le miracle aura-t-il lieu sous la forme d’un effacement des dettes (ou d’un étalement de leur remboursement sur un siècle). L’ampleur planétaire du désastre pourrait le laisser espérer, ce qui serait une aubaine pour la France, l’un des plus mauvais élèves de l’OCDE dans la gestion de cette crise.

Si Edouard Philippe venait à perdre la confiance du chef de l’Etat, si ce dernier tentait de constituer un gouvernement d’unité nationale voire de salut public comme l’a proposé récemment Jean-Pierre Chevènement dans un accès de nostalgie révolutionnaire, une fois de plus, le régime vivrait un sursis qui cache de moins l’épuisement de notre système politique.

Un bricolage institutionnel à l’arrière-goût de politique politicienne comme le changement de gouvernement voire de premier ministre avait peut-être sa raison d’être à l’époque du général de Gaulle ou sous Mitterrand et Chirac. Mais nous sommes à une autre époque, dans un autre monde. Avoir deux têtes de l’exécutif n’existe nulle part ailleurs. Si la France est un régime parlementaire sur le plan juridique, autant qu’elle le soit aussi sur le plan politique. Car le Premier ministre n’est aux commandes qu’aussi longtemps que le veut le chef de l’État.

Un régime parlementaire ne tolèrerait plus un président tout puissant. L’alternative est le régime présidentiel, à l’américaine. Mais il peut également conduire à une forme de cohabitation, et nuire à l’efficacité de la gouvernance. Quant à l’équilibre des pouvoirs, il fonctionne très bien en Allemagne ou au Royaume-Uni, qui ne sont pas moins démocratiques que nous, et où le Parlement vote les lois que l’exécutif applique.

La crise du coronavirus, et les deux séquences décisives (la semaine du 12 mars et les atermoiements entre le discours du 13 avril et le déconfinement du 11 mai) qui ont coûté des milliers de morts et fait perdre des milliards d’euros à notre économie, a dévoilé l’échec de ce monstre à deux têtes que nous dénoncions déjà dans le duo de l’exécutif.

Il est temps de réformer en profondeur nos institutions, de concentrer les responsabilités juridiques sur le président élu et de le contre-balancer par des contre-pouvoirs en renforçant notamment ceux du législatif., le tout dans une nouvelle et grande étape de décentralisation de nos institutions publiques. Comme dans toutes les démocraties modernes.

Faut-il une VIème République ? Notre choix est fait et tous ses partisans devraient s’unir pour y œuvrer dans l’intérêt de la France.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

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